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Reforme des retraites : bisbille entre Elisabeth Borne et Aurélien Pradié à propos du dispositif des carrières longues

Quiproquo entre la majorité et Les Républicains. Censée convaincre le parti de droite de soutenir la réforme des retraites, une proposition faite ce week-end par Elisabeth Borne a visiblement été mal comprise par leurs représentants. Dans le JDD dimanche, la Première ministre a ainsi décidé de faire un pas en avant sur les «carrières longues», en décidant d’ouvrir ce dispositif aux personnes ayant commencé à travailler entre 20 et 21 ans.

Pour y voir plus clair, il faut examiner le fonctionnement, un peu complexe, de ce dispositif. Ce système permet actuellement à des personnes qui ont travaillé tôt – avant 20 ans – de partir à la retraite avant l’âge légal (62 ans aujourd’hui). A condition d’avoir cotisé un certain nombre de trimestres durant leur carrière, et d’afficher un certain nombre de trimestres en début de carrière.

Ainsi, une personne qui a commencé avant 16 ans (avec quatre à cinq trimestres cotisés avec la fin de l’année civile de ses 16 ans) peut aujourd’hui prendre sa retraite à partir de 58 ans, sous réserve d’avoir la durée de cotisation pour le taux plein + deux ans. Une personne qui a commencé avant 20 ans (avec quatre à cinq trimestres cotisés avec la fin de l’année civile de ses 20 ans) peut liquider ses droits à partir de 60 ans, si elle affiche une carrière complète pour le taux plein (donc sans majoration).

«Nous entendons leur demande»

Dans son projet de réforme qui repousse l’âge légal de départ à 64 ans, le gouvernement propose de maintenir un droit au départ à compter de 58 ans pour ceux qui ont travaillé avant 16 ans, en diminuant même la durée de cotisation requise d’un an (un an de plus que de la durée du taux plein au lieu de deux). Il propose aussi de conserver un droit au départ à partir de 60 ans pour ceux qui ont débuté avant 18 ans, mais en augmentant d’un an la durée de cotisation requise (soit la durée du taux plein + un an). Pour ceux qui ont commencé avant 20 ans, enfin, le projet reporte la possibilité de départ anticipé à 62 ans (contre 60 ans aujourd’hui), avec la même durée de cotisation requise qu’aujourd’hui (durée normale pour le taux plein, sans majoration). Soit, in fine, un assouplissement pour ceux qui ont débuté avant 16 ans (de moins en moins nombreux), mais un durcissement pour ceux qui ont commencé avant 18 et 20 ans.

Rien, cependant n’était prévu pour ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans, et qui devaient donc travailler jusqu’à 64 ans, soit jusqu’à quarante-uatre années, contre quarante-trois années pour ceux qui ont commencé après 21 ans, et quarante-trois années (voire moins pour les générations nées avant 1965) pour certaines personnes qui ont commencé avant 20 ans et qui bénéficient du dispositif carrières longues.

Dès lors, dans le JDD ce dimanche, à la question de nos confrères : «Allez-vous reprendre l’amendement déposé par Les Républicains (LR), visant à limiter à quarante-trois ans la durée de cotisation de ceux ayant commencé à travailler avant 21 ans ?» ; la locataire de Matignon a répondu : «[…] Nous allons bouger en étendant ce dispositif de carrières longues à ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans. Ils pourront ainsi partir à 63 ans, conformément aux règles prévues par le dispositif. Vous le voyez, nous entendons leur demande. C’est une mesure qui coûtera entre 600 millions et un milliard d’euros par an, et qui concernera jusqu’à 30 000 personnes par an.»

Réplique le jour même sur Twitter du LR Aurélien Pradié : «Elisabeth Borne ne devrait pas se moquer de nous. Comment un travailleur qui débute à 20 ans pourrait valider 5 trimestres avant ses 21 ans comme l’impose le dispositif carrière longue ? Cette annonce est une tromperie qui ne respecte ni les Républicains ni les Français.»

Incompréhension autour des règles du dispositif

A ce stade, pour comprendre leurs échanges, il faut entrer un peu plus encore dans la complexité du dispositif carrières longues. Avec la mesure annoncée par Borne, les personnes qui auront commencé à travailler entre 20 et 21 ans pourront donc partir à compter de 63 ans. Mais comme le rappelle la Première ministre, cela se fera «conformément aux règles prévues par le dispositif». Et notamment à une règle qui veut que ces personnes aient validé 4 à 5 trimestres avant la fin de l’année civile de leurs 21 ans. Et non pas, comme le soutient Pradier, avant la fin de leurs 21 ans.

Ainsi, une personne née le 1er avril, et qui commence à travailler le 1er octobre à l’âge 20 et demi, aura bien validé au moins ses 5 trimestres à la fin de l’année de ses 21 ans, l’année suivante. D’autant qu’il est possible de valider un trimestre en un mois de travail à temps complet au smic. Ainsi, cette personne pourra même avoir commencé le 1er décembre de l’année de ses 20 ans, à l’âge de 20 et 8 mois, et valider ses 5 trimestres à la fin de l’année suivante, celle de ses 21 ans.

Cette incompréhension autour des règles du dispositif carrières longues est cependant due, en grande partie, au gouvernement lui-même. Dans la présentation de son projet de réforme comme dans son étude d’impact, l’exécutif parlait le plus souvent, au sujet du nombre de trimestres exigés en début de carrière, de trimestres validés avant la date anniversaire, et très rarement avant la fin de l’année civile de la date anniversaire.

Ce qui n’a pas empêché Pradier de déposer un amendement selon lequel, d’après le JDD, «seule la durée de cotisation s’appliquerait pour ceux qui auraient validé un premier trimestre avant 21 ans». Une condition «sine qua non pour voter la réforme».

Réponse de Borne à nos confrères du JDD : «Je ne vois pas à quoi il fait référence, et je ne sais pas s’il a mesuré toutes les conséquences de son amendement… mais il coûte 10 milliards d’euros ! C’est incompatible avec un retour à l’équilibre du régime. Dès que vous travaillez au moins un mois au smic, vous validez un trimestre pour la retraite. Avec sa proposition, tous ceux qui ont fait un job d’été avant leurs 21 ans, quel que soit ensuite leur parcours dans la vie active, partiraient avant l’âge légal. D’où le coût.»

Propos inexacts

Sur BFM TV ce lundi, Aurélien Pradié a expliqué qu’il visait, avec cette proposition, les autres possibilités de départs anticipés : «Est-ce que quelqu’un qui a commencé à travailler à 16 ans va cotiser 43 annuités comme les autres ? Non, il va continuer à cotiser 44 annuités. Celui qui a commencé à 14 ans, de la même manière. Celui qui a commencé à 17 ans, il va cotiser non plus 43 annuités comme aujourd’hui mais 44 demain. Celui qui a commencé à 18 ans, il ne cotisera pas 43 annuités comme aujourd’hui, mais 44 demain. L’annonce d’Elisabeth Borne sur le dispositif carrières longues ne règle pas ce problème.»

Ce qui, là aussi, n’est pas tout à fait exact : comme évoqué au début de l’article, ceux qui ont commencé avant 16 ans devront travailler une année de plus que la durée du taux plein, mais une année de moins qu’avant la réforme. Ce sont ceux qui ont débuté entre 16 et 18 ans qui devront en effet cotiser une année de plus. Quant à ceux qui ont commencé entre 18 et 20 ans, ils devront afficher la durée du taux plein, comme aujourd’hui. Mais à partir de 62 ans au lieu de 60 ans aujourd’hui.