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Réforme des retraites : quels sont les points du projet qui cristallisent les débats ?

Toutes les parties qui s’opposent concernant la réforme des retraites ont leurs « lignes rouges ». Parmi celles-ci, l’âge de départ, la durée de cotisation, les trimestres acquis, l’index seniors…

La « ligne rouge » est, dans la novlangue politique, parmi les concepts les plus populaires en ces temps de conflit social concernant les retraites. Telle organisation ne veut pas entendre parler d’augmentation des cotisations, telle autre estime qu’il faut des dérogations pour les carrières longues, etc. Nous avons tenté de recenser au moins une partie de ces limites voulues infranchissables dans le cadre de la réforme des retraites présentée par le gouvernement d’Elisabeth Borne.

Age : 64 ans, ce « n’est plus négociable » selon la première ministre

→ L’âge de départ à la retraite sera repoussé de 62 à 64 ans si la réforme est votée en l’état ; elle accélère également le « calendrier Touraine » de la réforme de 2014, qui augmente progressivement le nombre de trimestres à cotiser selon son année de naissance.

Les oppositions : c’est le point le plus emblématique de la réforme, celui qui crispe le plus ses adversaires. Les syndicats de salariés s’y opposent, tout comme les groupes d’opposition à l’Assemblée, à l’exception des députés Les Républicains (LR). Plusieurs centaines d’amendements ont été déposées pour abroger ce recul de l’âge de départ, inclus dans l’article 7, et 4 600 en tout concernant ce dernier et ses autres dispositions – comme les 172 trimestres de cotisation (soit quarante-trois ans) de la réforme Touraine qui ne devaient s’appliquer qu’à celles et ceux nés après le 1er janvier 1973, finalement ce sera huit ans plus tôt, le 1er janvier 1965.

Le gouvernement : Elisabeth Borne n’entend pas discuter le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. « C’est nécessaire pour assurer l’équilibre du système », déclarait, dimanche 29 janvier, la première ministre, et c’est « le compromis que nous avons proposé après avoir entendu les organisations patronales et syndicales ». Au départ, l’âge de 65 ans avait été mentionné par le chef de l’Etat, avant de céder une année de cotisation et d’arriver à 64 ans, après négociation avec son allié du MoDem François Bayrou.

Augmenter les cotisations : une « ligne rouge » pour le gouvernement

→ Afin de garantir l’équilibre du système, il est techniquement possible d’augmenter les cotisations patronales et/ou salariales plutôt que d’allonger le temps de cotisation.

Les oppositions : plusieurs personnalités politiques ont proposé d’augmenter les cotisations des salariés et des entreprises pour améliorer le financement du système de retraites : 4,50 euros par mois pour Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts, EELV), « 2 ou 3 euros » mensuels pour Cyril Chabanier, le président de la CFTC.

Plusieurs amendements ont été déposés afin de souligner que le déficit du système actuel ne dépasserait pas 0,5 à 0,8 point de PIB d’ici à 2032, avant un retour progressif « à l’équilibre à l’horizon 2070 », comme dans celui de la députée du Rhône Marie-Charlotte Garin (Nouvelle Union populaire écologique et sociale, Nupes). Un déficit qui pourrait être jugulé en augmentant les parts payées respectivement par les salariés et par leurs employeurs.

Le gouvernement : questionné sur l’activation de ce levier pour combler les déficits à venir, le gouvernement s’est montré inflexible, ayant pour totem de ne « pas augmenter le coût du travail ». C’est « une ligne rouge », répète Mme Borne, par exemple le 3 janvier sur Franceinfo.

Durée de cotisation pour les carrières longues : un totem pour Les Républicains

→ Sans une dérogation, les salariés qui ont commencé à travailler avant 21 ans pourraient devoir cotiser plus que les quarante-quatre ans prévus par la réforme pour éviter la décote.

Le Monde

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Les oppositions : le vice-président exécutif des Républicains, Aurélien Pradié, estime « qu’il est injuste » de faire partir les salariés à 64 ans quand ceux-ci ont commencé à travailler avant 21 ans. Le député du Lot a averti le gouvernement qu’il s’agissait là d’un « principe [qui] n’est pas négociable ». Les députés LR sont indispensables au gouvernement pour obtenir une majorité sur le texte des retraites. Ils font donc pression pour que les salariés ayant commencé à travailler à entre 16 et 20 ans puissent partir après quarante-trois ans de cotisation et non quarante-quatre, comme le prévoit la réforme.

C’est également le sens d’un amendement déposé par le député LR Ian Boucard (Territoire de Belfort), qui évoque une réforme « brutale et injuste » qui va avoir des conséquences néfastes pour celles et ceux « qui ont eu des carrières longues, hachées ou des métiers pénibles ». On retrouve aussi des amendements du même ordre ailleurs dans l’Hémicycle, comme celui d’Alexis Corbière (La France insoumise-Nupes, Seine-Saint-Denis) qui demande à exclure les « vendeurs en alimentation » de cette réforme, du fait qu’ils exercent dans des « magasins de vente au détail [qui] sont des lieux de travail à risques ».

Le gouvernement : Matignon fait savoir que son projet est de « conforter » le dispositif des carrières longues, en proposant un départ anticipé sans décote. Le texte original du projet de loi prévoit « la prise en compte des trimestres acquis au titre de l’assurance-vieillesse du parent au foyer et de l’assurance-vieillesse des aidants pour le bénéfice de la retraite anticipée pour carrière longue, dans une limite de quatre trimestres », soit une année.

Emploi des salariés en fin de carrière : l’« index seniors » hérisse le patronat

→ La France est en deçà de la moyenne européenne pour l’emploi des 55-64 ans. Le projet de loi propose la création d’un « index seniors » afin d’« objectiver la place des seniors en entreprise ».

Les oppositions : faire cotiser les Français plus longtemps n’a pas de sens si une majorité d’entre eux sont au chômage lors de leurs dernières années de vie active, estime l’opposition. Plusieurs amendements ont été déposés afin de supprimer l’article créant ce dispositif, au motif qu’il n’est assorti d’aucune obligation de résultat. Il est construit sur le modèle de l’index « égalité professionnelle » créé en 2019 et qui, selon un amendement de suppression d’EELV (rejeté en commission), « a montré rapidement son incapacité à avoir un impact réellement transformateur sur les pratiques des entreprises pour résorber effectivement les inégalités dans le monde du travail ».

Pour sa part, le Medef s’y oppose fermement, quand les syndicats de salariés jugent qu’il n’est pas suffisant tel qu’il est proposé et qu’il ne remplit pas l’objectif fixé de favoriser l’emploi des seniors.

Le gouvernement : ce dispositif est à même de favoriser l’emploi des salariés le plus âgés en obligeant les entreprises d’au moins 300 salariés à publier chaque année un indicateur de l’emploi de leurs salariés seniors – un amendement de la majorité propose d’abaisser ce chiffre à 50 salariés.

Le principe est que les sociétés doivent également y détailler les actions qu’elles ont mises en place pour favoriser l’emploi de cette catégorie d’âge. Les employeurs qui ne s’y plieraient pas devraient verser une « contribution assise sur un pourcentage de la masse salariale ».

Clause de revoyure pour le MoDem et LR

→ Avec une clause de revoyure afin d’évaluer la réforme à la fin du quinquennat, la « pilule » pourrait être plus facile à faire avaler.

Les oppositions : MoDem et LR ne l’ont jamais caché, ils sont favorables à une réforme – libérale – des retraites. Néanmoins, il y a une mesure qui fait l’unanimité jusque chez Edouard Philippe (Horizon) : l’instauration d’une clause de revoyure en 2027 afin de faire évaluer la réforme par le comité de suivi des retraites et envisager la poursuite de son application.

Une douzaine d’amendements ont été déposés en ce sens par le MoDem, LR et les membres du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires.

La date d’entrée en vigueur : une question d’« acceptabilité » d’après LR

→ Décaler la date d’entrée en vigueur permettrait de rendre la réforme plus acceptable.

Les oppositions : dans le projet actuel, la réforme doit entrer en vigueur le 1er septembre 2023, mais Olivier Marleix, patron des députés LR, demande d’attendre le 1er janvier 2024 dans un « souci d’acceptabilité, de rythme » pour les assurés sociaux. C’est une demande qui ne risque pas d’être entendue car, comme le rappellent Les Echos, un projet de loi de financement de la Sécurité sociale doit avoir un impact financier sur l’année en cours.

Discussion possible concernant les trimestres des femmes

→ Le report de l’âge légal de deux années va mathématiquement amoindrir le bénéfice des trimestres acquis par les femmes pour maternité ; une dérogation pourrait permettre un rééquilibrage en leur faveur.

La droite : les députés du MoDem, mais également certains membres de Renaissance et de LR, déplorent que le report de l’âge légal atténue le bénéfice des trimestres acquis pour maternité. Ils proposent d’abaisser de deux trimestres l’âge légal de départ en retraite par enfant afin de réparer cette « injustice ».

Le gouvernement : dans son interview du 29 janvier, la cheffe du gouvernement ne s’est pas montrée hostile à une discussion au Parlement sur une meilleure utilisation des trimestres « éducation » et « maternité » obtenus par les femmes au cours de leur carrière, sans pour autant donner davantage de précisions.

Mme Borne a annoncé être « attentive à la situation de ces femmes qui ont des carrières difficiles », elle « regarde » qui sont ces femmes qui ont des difficultés à « utiliser [ces trimestres] à plein » pour compenser le niveau de leur retraite.

Un taux plein à 65 ans plutôt qu’à 67 ans dans certains cas

L’âge de la retraite à taux plein est actuellement fixé à 67 ans ; il n’est pas prévu qu’il soit modifié : « L’âge d’annulation de la décote est maintenu à 67 ans » dans le projet de loi.

Le MoDem, allié du gouvernement, a envisagé de l’abaisser à 65 ans pour « les cotisants ayant eu une carrière hachée – pour cause de maladie, licenciement, maternité, congé “proche aidant” ». Il était question de le proposer aussi pour « les assurés âgés de 65 ans victimes d’un licenciement économique ». Ces amendements ont été jugés irrecevables.

Pierre Breteau