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Réforme des retraites : qui sont les gagnants et les perdants ?

La réforme des retraites, examinée à l’Assemblée nationale depuis lundi et contre laquelle les syndicats appellent à faire grève mardi, fera beaucoup de perdants et quelques gagnants. Illustration avec huit profils types.

L’exécutif le répète à l’envi depuis des semaines : sa réforme des retraites est une "réforme de justice sociale". Tout est fait pour tenter de démontrer que le recul de l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans bénéficiera aux Français. Dans son étude d’impact, où les mots "justice, équilibre, progrès" sont inscrits en page de garde, il est ainsi expliqué, démonstration à l’appui, que le montant des pensions de retraite sera plus élevé grâce à la réforme. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a assuré quant à lui, dans Le Journal du dimanche du 22 janvier, que "ce sont les pensionnés les plus pauvres qui verront leur pension à la liquidation augmenter le plus". "Il n’y a pas de perdant", a-t-il même osé.

"Une présentation marketing" de la réforme, selon Patrick Aubert, économiste et statisticien à l’Institut des politiques publiques (IPP), pour qui la grande majorité de la population sera en réalité affectée négativement par le projet de loi du gouvernement. "S’il y a effectivement quelques gagnants avec cette réforme, le but annoncé étant un retour à l’équilibre grâce à des économies liées au recul de l’âge légal de départ, on peut sans risque affirmer qu’il y aura une majorité de perdants", juge-t-il.

>> À lire aussi : "La réforme des retraites est-elle 'indispensable', comme l’affirme le gouvernement ?"

Patrick Aubert critique également les comparaisons proposées dans l’étude d’impact. "Celles-ci comparent le montant d’une pension entre une personne qui partirait à 62 ans dans le système actuel et à 64 ans dans le système proposé par la réforme. Mais, de fait, en travaillant deux ans de plus, on cotise deux années de plus, ce qui fait mécaniquement augmenter le niveau de la pension. Pour vraiment prendre conscience des implications de la réforme, il faut comparer à situation équivalente", explique-t-il.

De plus, si les gagnants existent bel et bien, ils ne représentent qu’une petite partie de la population active. Ainsi, parmi les futurs retraités, seules 54 000 personnes devraient être concernées en 2023 par la revalorisation de la pension minimale à 1 200 euros brut, selon l’étude d’impact du gouvernement – un chiffre qui grimpera toutefois petit à petit jusqu’à 200 000 en 2030.

Alors qui sont les gagnants et les perdants de cette réforme des retraites ? Pour y voir plus clair, France 24 a imaginé sept profils d’actifs et un profil de retraité.

Actuellement, Céline doit cotiser 43 années pour obtenir une pension de retraite à taux plein (c'est-à-dire sans la décote de 1,25 % par trimestre manquant qui s'applique sur la retraite de base et la retraite complémentaire) et sans proratisation (diminution uniquement du montant de la pension de retraite de base en fonction du nombre de trimestres manquants), ce qui porterait son âge de départ à 66 ans si elle n’avait pas eu d’enfants. Mais les naissances de ses deux enfants avant 2010 lui donnent droit à quatre années d’assurance validées (quatre trimestres par enfant au titre de la compensation du congé de maternité durant lequel les mères ne cotisent pas et quatre trimestres par enfant en contrepartie de leur éducation – depuis 2010, les quatre trimestres liés à l’éducation peuvent être répartis entre le père et la mère), permettant ainsi à Céline de partir à la retraite à 62 ans.

Le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, comme envisagé par la réforme souhaitée par le gouvernement, obligerait par conséquent Céline à travailler deux années de plus. Une "injustice" visant les femmes, selon les opposants à la réforme, qui font valoir que cette même réforme n'affecte pas de la même façon les hommes. Exemple avec Paul : lui aussi né en 1978, lui aussi salarié depuis ses 23 ans et lui aussi père de deux enfants nés avant 2010, il doit déjà travailler jusqu’à 66 ans pour avoir une retraite complète. La réforme du gouvernement ne l’obligera donc pas à travailler plus longtemps.

>> À voir, notre Débat : "Retraites : bras de fer entre syndicats et gouvernement. Vers un mardi noir ?"

Dans le système actuel, Christophe doit cotiser 43 années pour partir avec une retraite complète et pourrait donc cesser de travailler à 62 ans. Considérant que sa future pension ne sera pas assez élevée et qu’il sera apte à poursuivre son activité professionnelle, Christophe envisage de travailler jusqu’à 64 ans, soit deux années de cotisation de plus, pour bénéficier d’une surcote de 10 % et ainsi gonfler un peu sa pension de retraité.

La réforme des retraites ne modifie pas l’âge légal de départ pour Christophe, qui entrera dans le dispositif des carrières longues et pourra donc quand même prétendre à un départ à 62 ans. En revanche, il perdra le bénéfice de la surcote qu’il envisageait grâce à un départ à 64 ans. Il lui faudra désormais travailler jusqu’à 66 ans pour bénéficier d’une surcote de 10 %, soit 47 années de cotisation.

Actuellement, Nathalie, qui a travaillé toute sa vie comme comptable sans la moindre interruption, peut envisager de partir avec une retraite complète à 63 ans, après 42 années et un trimestre de cotisation.

Le recul progressif de l’âge légal de départ à la retraite voulu par la réforme ne change rien pour elle, les personnes nées en 1965 devant attendre 63 ans et trois mois. En revanche, l’accélération de la réforme Touraine, qui porte progressivement de 42 à 43 le nombre d'années de cotisation nécessaire, l’obligera à travailler trois trimestres de plus – avec la réforme, les personnes nées en 1965 deviendront en effet les premières à devoir cotiser 43 ans, alors qu'actuellement, ce sont celles nées à partir de 1973 qui sont concernées.

>> À lire aussi : "Réforme des retraites : le 47.1, l’arme du gouvernement pour éviter l’obstruction"

Dans le système actuel, Laurent, qui travaille dans l’informatique depuis ses 20 ans, peut espérer partir à 62 ans et demi après 42 ans et demi de cotisation.

Mais étant né en 1968, la réforme envisagée par le gouvernement le touche de plein fouet. Il fait en effet partie de la première génération qui devra atteindre 64 ans pour partir à la retraite. Laurent devra par conséquent travailler un an et demi de plus, soit au total 44 années de cotisation au lieu des 43 normalement requises.

Âgé de 64 ans, Philippe est retraité depuis deux ans après une carrière complète d’agent d'entretien. Payé toute sa vie au salaire minimum, sa pension actuelle représente environ 75 % du Smic net, soit environ 1 000 euros par mois.

La réforme des retraites envisagée par le gouvernement va revaloriser le minimum contributif pour porter le minimum de pension pour une personne ayant effectué une carrière complète au Smic à 1 200 euros brut par mois.

>> À lire aussi : "'Illégal' mais 'moral'... Les 'Robins des Bois' de la CGT dégainent l'arme de l'électricité"

Ayant interrompu sa carrière durant 19 ans pour suivre son mari expatrié en Asie et élever ses trois enfants, Sylvie a actuellement cotisé 21 ans. Même si ses trois enfants lui permettent de bénéficier de six années d’assurance, elle devra attendre ses 67 ans pour partir à la retraite sans décote dans le système actuel. Elle aura alors validé 136 trimestres (28 ans comme salariée au Smic et six années grâce à ses trois enfants), soit 33 de moins que le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d’une retraite pleine. Sylvie touchera donc une petite pension de retraite car celle-ci sera calculée avec un salaire de référence au niveau du Smic, auquel sera en plus appliqué une proratisation.

La réforme des retraites portée par le gouvernement ne changera pas l’âge de départ de Sylvie, qui devra toujours travailler jusqu’à 67 ans si elle veut éliminer la décote du calcul de sa pension. En revanche, le montant de sa pension sera plus élevé grâce à la revalorisation du minimum contributif, sans toutefois atteindre les 1 200 euros brut par mois en raison de ses 33 trimestres manquants.

Actuellement, Julie pourrait envisager de partir en retraite anticipée dès 55 ans en raison de sa situation de handicap. Il lui faut toutefois valider 33 années d’assurance, dont 28 années effectivement cotisées (un trimestre cotisé est un trimestre travaillé alors qu'un trimestre en arrêt maladie ou au chômage ou en congé maternité est pris en compte, donc validé, pour le nombre de trimestres requis sans toutefois être soumis à cotisation). Or, Julie n’est pas certaine de parvenir à travailler au moins 28 ans en raison de l’aggravation de son handicap et d’une interruption de travail de sept années lors de l’arrivée de ses deux enfants.

Avec la réforme gouvernementale, les trimestres effectivement cotisés ne seront plus nécessaires pour les personnes handicapées. Julie aura donc beaucoup moins de mal à valider le nombre de trimestres nécessaires pour partir en retraite anticipée à 55 ans.

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Dans le système actuel, Nicolas fait partie de ces personnes ayant effectué de longues études et sachant qu’elles devront donc nécessairement travailler au-delà de 64 ans pour partir avec une retraite complète. Les 43 années de cotisation nécessaires dans son cas font qu’il devra attendre 67 ans pour partir avec une retraite à taux plein (sans décote) mais avec une proratisation (car il manquera quatre trimestres à Nicolas) ou 68 ans pour partir avec une retraite complète. Son enfant étant né après 2010, Nicolas peut éventuellement bénéficier de quatre trimestres au titre de l’éducation (ces trimestres peuvent être répartis entre la mère et le père) et ainsi partir à 67 ans avec une retraite complète.

Le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans et l’accélération de la réforme Touraine concernant les années de cotisation ne changent donc rien si Nicolas souhaite partir à la retraite sans décote et sans proratisation.