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Réforme des retraites : rappel de quatre batailles épiques à l’Assemblée

L'obstruction parlementaire, que le camp présidentiel reproche à la gauche contre la réforme des retraites, est un classique de la Ve République depuis le début des années 1980. L'hémicycle a offert plusieurs vifs débats sur certaines grandes lois ces dernières décennies.

L'obstruction, aussi appelée « flibuste » parlementaire, vise à ralentir les débats avec une série d'amendements parfois absurdes, des répétitions, du tumulte, voire un débit de voix volontairement lent. C'est une pratique ancienne, attestée dès la IIe République en France, selon la juriste Chloë Geynet-Dussauze, autrice d'une thèse sur le sujet.

Les cocotiers de Toubon en 1981

Moins présent au début de la Ve République, le phénomène repart de plus belle en 1980. Dans l'opposition, « la gauche s'en empare pour gagner en visibilité alors qu'elle sent qu'un résultat est possible en 1981 », dit cette spécialiste. Puis la droite lui rend la pareille, après l'élection de François Mitterrand, afin de combattre certains projets de loi considérés comme des marqueurs politiques.

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Un amendement d'obstruction de Jacques Toubon (RPR) contre les ordonnances sociales (retraite à 60 ans…) provoque un tollé. Il propose de « planter dans chaque commune des cocotiers en nombre proportionnel à la population âgée de 60 ans et plus et de rendre obligatoire, une fois par an au moins, l'escalade de ces arbres par l'ensemble de la population majeure ». Le député retire finalement son amendement, mais ses « cocotiers » lui seront régulièrement reprochés.

Boutin et sa prise de parole de cinq heures vingt-cinq contre le pacs en 1998

L'obstruction n'a depuis cessé de prendre de l'ampleur. Le pacte civil de solidarité (pacs) – union civile entre deux personnes de sexes différents ou de même sexe – donne lieu à une bataille homérique à la fin de l'année 1998. Le 9 octobre 1998, alors que la gauche plurielle n'est pas assez nombreuse dans l'hémicycle pour repousser une exception d'irrecevabilité, la garde des Sceaux Élisabeth Guigou tente en vain de gagner du temps en répétant des propos déjà tenus dans la matinée. « Mascarade », « débat truqué », s'indignent des élus de droite. L'irrecevabilité est adoptée et le gouvernement, contraint de redéposer un texte.

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Catholique traditionaliste, Christine Boutin (UDF à l'époque) sera l'une des plus farouches opposantes au pacs dans l'hémicycle. Dans la nuit du 3 au 4 novembre, elle prend la parole durant cinq heures vingt-cinq, lit 58 pages dactylographiées. Elle cite l'Ancien Testament et fustige « les officines des lobbys homosexuels » dans une ambiance survoltée.

« Les plaidoiries les plus longues ne sont pas forcément les plus convaincantes », réplique Guigou. Cette fois, l'irrecevabilité est repoussée et le texte ira à son terme. De telles interventions fleuves ne sont plus permises par le règlement depuis.

Debré agacé par une pile d'amendements en 2006

En septembre 2006, la gauche ferraille contre la privatisation de Gaz de France. Le projet de loi dédié à l'énergie nécessitera 121 heures et 36 minutes de débat avec plus de 137 000 amendements, un record absolu sous la Ve République.

En guise de coup politique, le président de l'Assemblée, Jean-Louis Debré ,se fait prendre en photo au perchoir derrière d'immenses piles de papiers, représentant les amendements. « Je voulais montrer l'absurdité de 90 % des amendements virgules, points-virgules, qui visaient seulement à nous faire prendre du retard », raconte-t-il à l'Agence France-Presse.

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L'image agace la gauche. « Le président de l'Assemblée nationale se livre à une pantomime médiatique devant les objectifs et les caméras », tance le socialiste Henri Emmanuelli. L'ombre du 49.3 (adoption sans vote) plane sur les débats comme aujourd'hui, mais les députés parviennent finalement au bout du texte sans y recourir.

Les retraites, le 49.3 et le Covid en 2020

Début 2020, en parallèle d'un important mouvement social, notamment dans les transports, la bataille parlementaire s'engage sur le système de retraites universel par points voulu par Emmanuel Macron. Noyée sous 22 000 amendements, dont 19 000 des Insoumis, la commission spéciale mise en place à l'Assemblée est contrainte d'interrompre ses travaux sans balayer l'ensemble du texte.

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Pour l'hémicycle, 41 000 amendements sont déposés, dont 23 000 des Insoumis sur le volet principal de la réforme. Les débats tournent au ralenti, et il faudra huit jours pour adopter le premier des 65 articles.

Las, le Premier ministre Édouard Philippe finit par dégainer l'arme constitutionnelle du 49.3, au 13e jour. Les motions de censure de gauche comme de droite seront repoussées début mars et le texte sera adopté en première lecture. Mais il sera stoppé net par le Covid. La France est confinée et la réforme, finalement abandonnée.