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REPORTAGE - Une journée avec les délégués des tutelles

REPORTAGE - Une journée avec les délégués des tutelles
Pauline Perrot connaît bien Jean-Paul, à Rougnac, ancien ouvrier du bâtiment qui s’est retrouvé démuni à la mort de sa mère et de son frère avec qui il vivait.

Photo Julie Desbois

Par Lénaëlle SIMON - l.simon@charentelibre.fr, publié le 29 mars 2023 à 19h19.

Près de 2.000 Charentais sont sous tutelle ou curatelle. Quand il n’y a pas de proche, ce sont des mandataires de l’Udaf qui gèrent leur budget. CL les a suivis sur le terrain.

À la fin du mois, il reste 124€ sur le compte de Claude, habitant de Dignac. « C’est possible d’avoir 10€ de plus par semaine pour mettre de l’essence dans ma voiturette ? Ça a trop augmenté. » Pauline Perrot, mandataire judiciaire à l’Udaf Charente, valide. Isabelle, la compagne de Claude, demande aussi une rallonge pour faire les courses. « 100€ à deux, c’est trop juste, se désole le couple sous curatelle. On ne prend que de la réclame, mais une fois arrivés en caisse, on se demande où elle est passée. »Pauline Perrot valide, décline, tempère, décrypte les factures, conseille. Elle a en charge soixante majeurs...

À la fin du mois, il reste 124€ sur le compte de Claude, habitant de Dignac. « C’est possible d’avoir 10€ de plus par semaine pour mettre de l’essence dans ma voiturette ? Ça a trop augmenté. » Pauline Perrot, mandataire judiciaire à l’Udaf Charente, valide. Isabelle, la compagne de Claude, demande aussi une rallonge pour faire les courses. « 100€ à deux, c’est trop juste, se désole le couple sous curatelle. On ne prend que de la réclame, mais une fois arrivés en caisse, on se demande où elle est passée. » Pauline Perrot valide, décline, tempère, décrypte les factures, conseille. Elle a en charge soixante majeurs protégés, placés sous curatelle ou sous tutelle sur décision du juge. Un métier dont on ne connaît souvent que la face émergée, quand les choses se passent mal.

Pourtant, son quotidien, c’est de gérer leur budget et de leur éviter des dettes. Une journée par semaine, la jeune femme de 29 ans, qui exerce depuis sept ans après plusieurs diplômes dans le social, est sur le terrain. Nous l’avons suivie une journée chez ces Charentais fragilisés par la vie ou aux facultés mentales altérées. Isabelle et Claude la tutoient, c’est plus simple pour eux. « Si on ne l’avait pas, laisse tomber, on vivrait au fond du bois », juge Claude qui peine à faire la différence entre son solde mensuel et la petite épargne qu’il a de côté. Pauline Perrot règle le loyer, les factures, déclare les impôts, gère les comptes Ameli, verse une somme d’argent de vie quotidienne chaque semaine. « Ce qu’il reste après, c’est pour eux. »

Depuis sept ans, Pauline Perrot suit Isabelle et Claude, un couple attachant de Dignac.
Depuis sept ans, Pauline Perrot suit Isabelle et Claude, un couple attachant de Dignac.

Photo Julie Desbois

Mais la mandataire s’assure que les projets sont viables. Claude voudrait acheter une nouvelle caravane, 5.000€, pour mettre sur son terrain. « Avant, j’ai besoin de m’assurer que vous n’ayez pas d’autres dépenses à faire sur la voiturette, que vous puissiez vous déplacer et aller chercher votre fille », en famille d’accueil la semaine. Dans le salon qui transpire l’humidité, le chauffage est à fond, sinon il fait froid. La maison a été jugée indécente par le GIP Charente Solidarités. Pauline Perrot fait signer à Isabelle et Claude un courrier de mise en demeure d’engager des travaux qu’elle va envoyer à la propriétaire. Ici, toutes les détresses s’emmêlent. La dernière facture d’électricité, 700€, est passée tout juste.

Équilibrer le budget

Jean-Paul, 61 ans, sous curatelle, doit la même somme. Il habite seul à Rougnac depuis la mort de sa mère et de son frère, avec qui il vivait, et une très grosse déprime. La mandataire n’a d’autre choix que de prendre sur son livret A pour payer EDF. Il signe l’autorisation. « Pourtant, j’allume la télé une heure et le chauffage que le soir dans ma chambre », répète-t-il. Jusqu’à il y a peu, Pôle Emploi versait encore quelques droits qui complétaient la pension d’invalidité de cet ancien ouvrier que 40 années de bâtiment ont cassé. « Votre budget est négatif. Ça veut dire que si vous me demandez de l’argent supplémentaire, ce ne sera pas toujours possible, décode Pauline Perrot. Vous faites déjà le minimum mais vous avez de petites ressources et je m’occupe de votre demande de retraite. »

En plus, sa machine à laver vient de lâcher. Jean-Paul n’a pas de voiture, pas de permis, marche difficilement. La mandataire va appeler Envie 16 à la recherche d’une pièce d’occasion. « Ce n’est pas dans mes missions mais ça ne prend pas beaucoup de temps et sinon personne ne le fera .» Régulièrement, elle outrepasse sa feuille de route. Dans la campagne, les personnes pauvres sont de plus en plus pauvres, les personnes seules de plus en plus seules. Les majeurs sur qui elle veille cumulent souvent. « Il y a aussi de plus en plus de problèmes psychiatriques et les gens vieillissent avec de moins en moins d’acteurs autour d’eux. » Illustration avec une vieille dame sous curatelle. « Jusqu’à présent, une aide à domicile de l’ADMR l’emmenait chaque semaine retirer son argent et faire ses courses. » Mais l’ADMR n’a plus assez de personnel et la vieille dame n’a plus personne. Portage de repas, service de prestation de courses, Pauline Perrot bricole des rustines.

Face à la détresse

Les « tournées » racontent une vie à l’euro près et les mandataires sont parfois les seules personnes à qui parler. Pascal, 57 ans et une santé précaire, le souffle court, le cœur en vrac, a attendu la fin de l’entretien avec Lauretta Valente, mandataire depuis 24 ans dans le Bas-Rhin, tout juste arrivée à l’Udaf Charente, pour se libérer. « Si demain, il m’arrive quelque chose, il se passe quoi ? » « Vous avez de l’argent de côté, ça peut s’anticiper. Vous pouvez demander dès maintenant des devis dans des sociétés de pompes funèbres », conseille Lauretta. La réponse soulage l’ancien chauffeur de car. « Je ne veux pas embêter mes frères avec ça. » Lui a dégringolé après une rupture déchirante. “On rentre parfois avec le mal au ventre, réagit Lauretta Valente. On doit gérer de l’argent quand il n’y en a pas, des projets quand les gens sont à la rue. Il faut réussir à garder de la distance. Je ne suis pas leur psy. Si je sens de la détresse, j’oriente. »

D’autant que leur travail a ses limites. Elles ne peuvent pas forcer quelqu’un à entrer en Ehpad. Ce n’est pas leur rôle de dire qu’un logement est sale, qu’une personne qui a le syndrome de Diogène doit ranger. « Par contre, si je pense que la personne est en danger, je peux saisir le juge », dit Pauline Perrot. Elle l’a fait une fois quand pompiers et aides à domicile avaient dit leur impuissance face à une personne âgée très diminuée.

Un manque de reconnaissance

Après sept ans à l’Udaf, Pauline Perrot gagne 1.800€, 1.600€ avant d’avoir la prime Segur. Un manque de reconnaissance qui explique les difficultés de recrutement. À l’Udaf Charente, 34 mandataires gèrent 11.915 mesures de protection. En 24 ans, le métier est devenu « beaucoup plus procédural, il faut justifier de tout, tout le temps, c’est frustrant, on fait moins de terrain », dit Lauretta Valente. « Le juge dit qu’il faudrait qu’on passe six fois par an chez chacun. Avec 60 dossiers, c’est impossible. J’y vais quatre à cinq fois », témoigne Pauline Perrot.