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Responsabilité de l’homme, vers un monde à + 2,7°, besoins de financements… : les points clés du rapport du Giec

Huit années de travail, six rapports et une dernière ligne droite houleuse. Avec deux jours de retard et après de courtes nuits, les experts climat de l’ONU, réunis à Interlaken (Suisse) depuis la semaine dernière, dévoilent ce lundi la synthèse des travaux qu’ils ont réalisés depuis 2015. Ce rapport, très riche, met à jour l’état de la science sur le changement climatique. Il s’accompagne d’une «synthèse de la synthèse» : un résumé de 37 pages à l’attention des décideurs, c’est-à-dire des élites politico-économiques mondiales. Pourquoi l’accouchement de ce dernier texte a-t-il été aussi long et difficile ? Parce que, une fois écrit par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), celui-ci a dû être validé à l’unanimité par 195 Etats des Nations unies. Or leurs intérêts divergent et tous sont tous conscients que le climat est un enjeu géopolitique majeur.

L’urgence à agir est au cœur du message des experts : les solutions sont déjà à notre disposition pour éviter le chaos climatique, mais les flux financiers qui doivent y être consacrés sont loin d’être à la hauteur, affirment en substance les auteurs. De nombreux fossés restent à combler. Plutôt que d’insister sur les souffrances qui nous attendent sans sursaut immédiat, le Giec s’applique à détailler les leviers et les bénéfices d’une transformation profonde, avec le souci de ne pas accroître les inégalités. «Ce rapport de synthèse souligne l’urgence de prendre des mesures plus ambitieuses et montre que, si nous agissons maintenant, nous pouvons encore assurer un avenir durable et vivable pour tous», a insisté le président sud-coréen du Giec, Hoesung Lee.

1. L’homme est «sans équivoque» la cause du changement climatique

Pour l’heure, l’humanité court à sa perte. Le Giec rappelle que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent à augmenter, boostées par la «combustion d’énergies fossiles et les procédés industriels». En conséquence, le réchauffement climatique est aujourd’hui de +1,1 °C par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900) et les activités humaines en sont «sans équivoque» la cause. C’est la première fois que cette certitude est au cœur d’une synthèse du Giec, ce qui revêt une importance historique aux yeux de nombreux chercheurs. Nos «modes de vie et modèles de consommation et de production» non durables sont notamment pointés du doigt.

Aujourd’hui, les changements du climat sont déjà «étendus et rapides» à la fois dans l’atmosphère, les océans et sur terre. Ils sont palpables «dans toutes les régions du monde» et se manifestent par des événements extrêmes (canicules, pluies diluviennes, sécheresses, feux…) plus fréquents, mais aussi par une élévation du niveau des mers, le réchauffement et l’acidification des océans ou encore la fonte des glaces et le dégel du permafrost (parties du sol qui ne dégelaient jamais).

2. Nous nous dirigeons actuellement vers un monde à +2,7 °C degrés d’ici à la fin du siècle

Malheureusement, les conséquences vont «continuer à s’intensifier» car la température grimpera au moins jusqu’en 2040 à cause de l’inertie du système climatique. Et après ? Tout «dépend des choix actuels et à court terme», répond le Giec. Dans le pire des scénarios la planète sera 4,4 degrés plus chaude à la fin du siècle, dans le meilleur la température se stabilisera un peu en dessous de +1,5 °. Tous scénarios confondus, de nombreux risques ont été revus à la hausse depuis 2014 et «les impacts à long terme sont jusqu’à plusieurs fois plus élevés que ceux actuellement observés». «En raison de l’élévation inévitable du niveau de la mer, les risques pour les écosystèmes côtiers, les personnes et les infrastructures continueront d’augmenter au-delà de 2100″», ajoutent les scientifiques. Mais une élévation rapide du niveau de l’océan, qui conduirait à gagner 1 mètre à la fin du siècle (contre 20 centimètres actuellement), peut encore être évitée.

Compte tenu des engagements climatiques pris par les Etats, nous nous dirigeons actuellement plutôt vers un monde à +2,7 °C degrés d’ici à la fin du siècle. Les 1,5°C devraient être dépassés d’ici 2035, voire à la fin de cette décennie dans le pire des scénarios.

3. Dépasser le moins possible les +1,5°C est vital

Chaque dixième de degré compte et, dans tous les cas, les efforts pour se préparer au monde de demain sont pour l’heure insuffisants, martèle le Giec. Or plus le réchauffement augmente, plus les conséquences se multiplient, plus il devient compliqué et coûteux de s’adapter. Au-delà de +1,5 °C, seuil que les Etats se sont engagés à ne pas (trop) dépasser dans l’accord de Paris, les effets en cascade deviennent plus compliqués à gérer. Les ressources en eau deviendraient critiques pour les petites îles et les régions qui dépendent des glaciers, et la perte grandissante de biodiversité des écosystèmes menacera en premier lieu les peuples autochtones et amenuisera les ressources alimentaires. Les puits de carbone que sont l’océan et les forêts perdront, eux, progressivement en efficacité.

Pour atteindre nos objectifs, le retard ne peut pas durer davantage. «Les émissions devraient déjà diminuer et devront être réduites de près de moitié d’ici 2030, si l’on veut limiter le réchauffement à 1,5°C», rappelle le communiqué. Cette décennie sera déterminante pour prendre, ou pas, le chemin de la neutralité carbone visée en 2050. Dans le meilleur des scénarios, grâce à une réduction massive des gaz à effet de serre, l’humanité dépasserait temporairement les +1,5 °C puis la température retomberait légèrement sous ce seuil pour se stabiliser à 1,4 °C. «Des réductions profondes, rapides et durables des émissions de gaz à effet de serre conduiraient à un ralentissement perceptible du réchauffement en deux décennies environ», calculent les scientifiques. S’attaquer au méthane pourrait avoir un effet accéléré. Ce gaz au pouvoir réchauffant trente fois supérieur à celui du CO2 est en bonne partie émis par la production d’énergies fossiles et par l’élevage de ruminants. Le déploiement de technologies pour capter directement le dioxyde de carbone dans l’atmosphère pourrait aussi aider à contrebalancer les émissions difficiles à éliminer. Mais le Giec fait part d’«inquiétudes» concernant «la faisabilité et la durabilité» de cette méthode.

4. Il faut mener de front les efforts d’atténuation et d’adaptation

La palette des autres possibles pour atténuer le changement climatique est large et accessible, «notamment l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’électrification des systèmes urbains, les infrastructures vertes urbaines, l’efficacité énergétique, la gestion de la demande, l’amélioration de la gestion des forêts et des cultures-prairies, et la réduction du gaspillage et des pertes alimentaires, sont techniquement viables, deviennent de plus en plus rentables et sont généralement soutenus par le public», énumèrent les auteurs.

Le Giec insiste aussi sur les bénéfices multiples d’une transformation profonde de nos sociétés. Mener de front les efforts d’atténuation et d’adaptation aura des effets combinés : «L’accès à l’énergie et aux technologies propres améliore la santé, en particulier pour les femmes et les enfants ; l’électrification à faible émission de carbone, la marche, le vélo et les transports publics améliorent la qualité de l’air, améliorent la santé, les opportunités d’emploi et assurent l’équité», détaille le communiqué.

En conséquence, il pourrait être possible d’éradiquer l’extrême pauvreté et d’assurer un niveau de vie décent dans les pays peu émetteurs «sans croissance importante des émissions mondiales», à condition d’inclure les communautés les plus vulnérables, de développer le transfert de technologies et de financements.

5. Les flux financiers restent insuffisants

Bien entendu, l’argent reste le nerf de la guerre climatique. «Les flux de financement publics et privés pour les énergies fossiles sont toujours supérieurs à ceux dédiés à l’adaptation et l’atténuation du changement climatique», qui restent très insuffisants malgré les progrès, constatent les auteurs. «Il y a suffisamment de capitaux mondiaux pour combler les déficits d’investissement, mais il y a obstacles à la redirection des capitaux vers l’action climatique», notent-ils. Les instruments économiques de régulation, par exemple les taxes sur le carbone et l’échange de droits d’émission, font partie des pistes efficaces. Et gare aux investissements de court terme mal pensés qui aggravent la situation (les experts parlent de mal-adaptation), accentuent les inégalités ou les vulnérabilités.

La solidarité des pays du Nord envers ceux du Sud est un autre point saillant. «Certains peuvent faire beaucoup tandis que d’autres auront besoin de soutien pour les aider à gérer le changement», plaide Hoesung Lee. La coopération internationale doit jouer un rôle accru. Le «soutien financier accéléré aux pays en développement de la part des pays développés» est «essentiel» pour plus de justice climatique, pointe le Giec.

Et ce d’autant plus que les pays du Nord, émetteurs historiques de gaz à effet de serre, sont en grande partie la cause des malheurs qui frappent en premier ceux du sud. Les experts du Giec le rappellent : la responsabilité est différenciée selon les Etats, sachant que les 10 % des ménages les plus riches représentent 40 % des émissions. «Cela a entraîné des impacts négatifs généralisés et des pertes et dommages à la nature et aux personnes», notent les experts. Les communautés qui ont le moins contribué au changement climatique en font les frais de manière «disproportionnée», ajoutent-ils. Aditi Mukherji, l’une des 93 auteurs de ce rapport de synthèse, précise : «Au cours de la dernière décennie, les décès dus aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes ont été quinze fois plus élevés dans les régions très vulnérables», où vit près de la moitié de la population mondiale.

6. «La bombe à retardement climatique fait tic-tac», avertit le secrétaire général de l’ONU

En conclusion d’une semaine intense, Antonio Guterres, le nouveau héraut de la cause climatique, a souhaité prendre la parole. «La bombe à retardement climatique fait tic-tac», avertit ce lundi le secrétaire général de l’ONU. Lui voit dans cette synthèse «un guide de survie pour l’humanité». Il est plus que temps de «sortir du gâchis climatique», poursuit-il. «Nous n’avons jamais été mieux équipés pour relever le défi climatique – mais nous devons maintenant passer à l’action climatique à grande vitesse» pour tous les Etats et dans tous les secteurs.

Guterres appelle les dirigeants du monde à des efforts communs mais différenciés. Il invite ceux des pays développés à atteindre la neutralité carbone «le plus près possible de 2040», soit dix ans plus tôt que ce que visent la France et l’Union européenne. Et ceux des «économies émergentes», à y parvenir «le plus près possible de 2050». Pour cela, il est nécessaire, à ses yeux, de mettre au point des plans climat détaillés, chiffrés et à la hauteur, y compris pour les entreprises.

In fine, la nouvelle synthèse publiée ce lundi sera un point d’appui lors de la prochaine COP28. Organisée par les Emirats arabes unis à la fin de l’année à Dubaï, celle-ci fera un premier bilan mondial des politiques climatiques menées dans les différents pays pour tenir les objectifs des accords de Paris. Parmi les transformations inéluctables figurent une «élimination progressive du charbon d’ici 2030 dans les pays de l’OCDE et 2040 dans tous les autres pays», la fin immédiate de «toute licence ou financement de nouveau pétrole et gaz» ou encore l’augmentation des financements dédiés à l’adaptation ainsi qu’aux pertes et dommages pour les pays qui subissent déjà les effets dévastateurs du changement climatique.