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Retraites : à Ivry-sur-Seine, le piquet de grève mêle éboueurs, étudiants et cheminots

Le panache de fumée qui s’échappe habituellement de la cheminée de l’incinérateur de déchets d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) ne reprendra pas, ce mardi 28 mars au matin. Pas un camion-benne ne passera les grilles du site pour y déverser ses déchets. Pour la deuxième journée consécutive depuis les réquisitions qui ont eu lieu vendredi 24 mars sur ordre de la préfecture de police, un barrage a été installé à l’aube pour empêcher les éboueurs contraints d’assurer le service de déverser les ordures des rues de la capitale dans les fosses du plus grand incinérateur d’Europe.

« Grâce au renfort de plusieurs centaines de personnes, et notamment de nos camarades cheminots, nous avons pu stopper 300 camions, soit 2 400 tonnes de déchets », se félicite le secrétaire général du Syndicat de la production de la région parisienne, Marc Bontemps, qui espère que ces actions auront « de fortes répercussions économiques ». Gilet FNME-CGT sur le dos, le délégué syndical veille au bon déroulé des opérations en accord avec les forces de l’ordre. Sans qu’ils n’aient jamais besoin d’intervenir : les camions poubelles de la société privée Derichebourg, dont les salariés ont eux levé leur préavis de grève, font immédiatement demi-tour et repartent en direction de l’incinérateur de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), à l’autre bout de Paris.

De la pénibilité du métier d’éboueur

Après vingt-deux années passées en tant que chauffeur d’un camion poubelle à la mairie de Paris, Fabrice, 50 ans, prend la parole pour expliquer l’intérêt de cette opération à la centaine de manifestants venus soutenir les éboueurs : « L’incinérateur d’Ivry-sur-Seine est particulièrement stratégique. En bloquant son accès, on oblige les camions-bennes à ralentir leur tournée pour tout le Sud-Est parisien et plusieurs communes du Val-de-Marne. » Un périmètre qui touche pas moins de 1,5 million d’habitants. Et ce salarié gréviste de décrire la pénibilité inhérente à son exercice professionnel : « Tous les jours, nous sortons du garage à 5 h 30. Les gars n’arrêtent pas de sauter du camion en marche, de lever des charges lourdes. Comment voulez-vous que l’on tienne encore comme ça deux ans de plus ? »

Si la réforme des retraites est définitivement validée par le Conseil constitutionnel, éboueurs et agents d’assainissement partiront à la retraite à 59 ans, au lieu de 57 ans. Devant ce témoignage, de nombreux jeunes venus en signe de solidarité avec les éboueurs se mettent à entonner : « La retraite à 60 ans, on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder. » Comme un cri d’indignation amplifié par la réquisition de douze agents municipaux vécue comme « un énième passage en force du gouvernement ».

Une grève finalement « pas si impopulaire »

Étudiants en science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Florian et Ousmane, respectivement 24 et 22 ans, ont décidé de se rendre sur le piquet de grève des éboueurs après une assemblée générale dans leur établissement. « Nous devons aller au-delà des murs de nos facultés car, en tant qu’étudiants nous ne sommes pas pris au sérieux. Il est temps de mettre à profit ce que nous avons appris en amphi », opine ce premier, en faisant référence à « la convergence des luttes ouvrières et étudiantes en Mai 68 ». « Et puis, ça fait plaisir de voir les bourgeois de Saint-Germain-des-Prés se pincer le nez devant les montagnes d’ordures », sourit son acolyte.

La preuve que la grève des éboueurs, à l’origine de polémiques sur la salubrité de la voie publique à Paris, n’est « pas aussi impopulaire qu’on voudrait nous le faire croire », reprend le représentant syndical Marc Bontemps. À quelques heures du dixième acte de la mobilisation sociale, le volume de déchets dans les rues de la capitale était encore de 7 000 tonnes, selon les chiffres de la mairie (contre 10 500, vendredi). D’ailleurs, Fabrice, qui a travaillé la veille, souligne l’ampleur du défi pour écluser les déchets accumulés depuis le début de la grève, le 6 mars dernier : « Avec un camion de 7 tonnes, je fais deux rues au lieu de 25 en temps normal. »

« Une grève visible, donc efficace »

Au fil de la matinée, des écharpes d’élus de gauche s’approchent des braseros où les manifestants se réchauffent tant bien que mal. À l’instar de l’adjoint communiste à la mairie de Paris Ian Brossat et de la députée Insoumise Danielle Simonnet. « Ce n’est pas un hasard si les incinérateurs sont devenus des centres névralgiques de contestation de la réforme des retraites, selon l’élue francilienne. Ces métiers pénibles que l’on a beaucoup applaudis pendant le confinement sont restés invisibles. Aujourd’hui, c’est une grève visible dans les rues de Paris, donc efficace. »

La ritournelle des « professions essentielles » parle aussi à une enseignante en collège dans le Val-de-Marne, présente ce jour-là : « Forcément, quand les éboueurs cessent de ramasser nos déchets, nous prenons aussi conscience des tâches ingrates qu’ils assurent à notre place. »