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Retraites: arrêtez de nous parler de «pédagogie»!

Temps de lecture: 3 min

Plus le gouvernement explique sa réforme, moins elle est comprise. Plus il la décrit comme nécessaire, moins elle est acceptée.

En deux semaines, le rejet est passé de 59 à 72% d'après un sondage Elabe/BFMTV. Même les sympathisants du parti présidentiel sont désormais majoritairement hostiles au report de l'âge légal de départ de 62 à 64 ans.

L'exécutif avait pourtant peaufiné son plan de communication. Et même son plan de bataille. Ce devait être une grande offensive tous azimuts: des ministres envoyés au front, de plateau télé en réunion publique, pour repousser le scepticisme, trancher les doutes, faire taire la contestation.

Leur arme fatale? La «pédagogie», comme demandé par Emmanuel Macron et Élisabeth Borne. Grâce aux explications détaillées, l'obscure réforme allait devenir lumineuse, et les Gaulois réfractaires, d'abord méfiants, se rendraient à l'évidence: cette loi sur les retraites est juste et nécessaire, «pour sauver notre régime par répartition, auquel nous sommes tous attachés».

Bien sûr, ce dernier élément de langage les aurait fait tiquer. Trop convenu, trop rabâché. Tout comme l'argument sans cesse resservi, la voix vibrante: «Nous vivons plus longtemps, et c'est une formidable nouvelle. Mais...»

Ainsi, à force de pédagogie, un flot d'enthousiasme devait finir par emporter les derniers réticents. Las! À la veille d'une nouvelle journée de mobilisation, il n'en est rien.

«Pédagogie», le mot-vautour

Le gouvernement aurait dû se méfier. En politique, le terme «pédagogie» est annonciateur de mauvaises nouvelles. Souvent, il se met à tourner au-dessus d'une réforme en perdition comme le vautour qui sent sa proie proche d'expirer.

En 1995, Alain Juppé, englué dans sa réforme de la sécu et des régimes spéciaux, affirmait: «La communication est souvent un art difficile. Nous allons nous employer à faire de plus en plus de pédagogie. Je crois que quand on explique bien la nécessité des réformes, les Français le comprennent...» La suite lui donna tort.

Le précédent Juppé aurait pu alerter le gouvernement actuel. Quel est le sous-texte de cet «appel à la pédagogie»? Le voici: si vous êtes contre la réforme, c'est que vous ne l'avez pas comprise. Difficile de donner l'impression d'être plus méprisant. Voire infantilisant. D'ailleurs, l'étymologie du mot «pédagogie» ne renvoie-t-elle pas à l'éducation des enfants?

En 2010, voici comment Frédéric Lefebvre (UMP) expliquait la défaite de son camp aux élections régionales: «Je pense qu'il a manqué une vraie pédagogie sur le rôle de la région.» Autrement dit, si les gens ont mal voté, c'est parce qu'ils n'ont rien pigé. Attention à l'aspect arrogant qu'un tel raisonnement peut dégager...

Certes, il n'est jamais inutile qu'un gouvernement détaille un texte de loi. Mais en l'occurrence, si l'on retire tous les artifices de communication, la réalité brute de cette réforme est assez simple. Une grande partie des actifs va devoir travailler plus longtemps, pour améliorer l'état des comptes de la sécu –la majorité et l'opposition se disputant sur la nécessité de ce dernier point.

Tout à sa volonté d'explications, l'exécutif a fait réaliser une «étude d'impact» de la réforme, transmise à la presse. Cette étude démontre que les femmes, en moyenne, pâtiraient davantage du report à 64 ans que les hommes. Pour l'avoir admis avec honnêteté, le ministre Franck Riester a offert un argument en or aux oppositions. Comme quoi, la «pédagogie» a ses limites.

Les pédagogues en chef du gouvernement, envoyés tels des missionnaires auprès des Français, se sont d'ailleurs enfoncés dans les sables mouvants du texte. «Neuf fois sur dix, on se pète les dents sur une situation qui n'est pas représentative, dont on n'a pas tous les paramètres et à laquelle on est confronté à répondre en direct», se lamente un conseiller auprès du Monde.

Assez de pédagogie!

Les ministres les plus politiques ont d'ailleurs rayé le concept de leur vocabulaire, comme de leur stratégie. Ainsi d'Olivier Dussopt, le ministre du Travail: «La pédagogie laisse toujours entendre que si les gens ne sont pas d'accord avec nous, c'est parce qu'ils n'ont pas compris, et donc s'ils n'ont pas compris, il faut leur expliquer différemment [...] Généralement, lorsque les gens ne sont pas d'accord avec nous, ils savent pourquoi […] La pédagogie n'a finalement pas grand-chose à voir avec l'acceptation ou non d'une réforme.» Alléluia!

La bataille de la persuasion par A+B étant perdue, Gérald Darmanin déplace le combat sur un autre champ: celui des valeurs. D'où les attaques du ministre de l'Intérieur, ce dimanche dans Le Parisien, contre la gauche «paresse et bobo» qui n'aime pas le travail.

Les partisans du labeur contre les apôtres de la flemme. Ainsi posé, le débat permet de générer du clivage. Manichéen? Bien sûr. Caricatural? Assurément. Mais politiquement, beaucoup moins risqué que de se perdre dans les méandres des trimestres cotisés et du dispositif «carrières longues».

Fin de la pédagogie, place à la démagogie?