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Retraites : les petites pensions, l'autre dossier explosif du gouvernement

Agriculteurs, commerçants, artisans, indépendants... de nombreux Français connaissent une chute drastique de leurs revenus au moment du passage à la retraite. Selon un rapport sur les petites pensions remis à l'ancien Premier ministre Jean Castex en mai 2021, ils seraient 5,7 millions à toucher une pension inférieure à 1.000 euros par mois en France, soit le tiers des retraités de l'Hexagone.

Alors que le gouvernement a entamé cette semaine des concertations sur la future réforme des retraites au ministère de l'Emploi rue de Grenelle, le dossier des petites retraites pourrait être un sujet d'affrontement explosif avec les syndicats opposés au relèvement de l'âge de départ proposé par le président de la République Emmanuel Macron.

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Lors de la campagne présidentielle, le chef de l'Etat a promis dans son programme la mise en place d'une pension minimum de 1.100 euros, soit un niveau comparable au seuil de pauvreté fixé à 1.102 euros par mois. Mais ce relèvement proposé par le locataire de l'Elysée pourrait bien être insuffisant face la poussée de fièvre des prix ces derniers mois.

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Carrières incomplètes, garde d'enfant, activité à l'étranger

Dans cette population, les femmes sont surreprésentées. Elles sont 52% à percevoir une retraite inférieure à 1.000 euros contre 20% des hommes selon le rapport de la mission petites retraites. Une telle disparité s'explique par des carrières incomplètes en raison de la maternité notamment. Beaucoup de femmes s'arrêtent de travailler au moment d'avoir des enfants ou se mettent à temps partiel. « Il y a une explication genrée. Les femmes constituent 75% des retraites inférieures à 1.000 euros », a souligné Nicolas Turquois, rapporteur de la mission précitée et député (MoDem) de la Haute Vienne lors d'un colloque organisé par le conseil d'orientation des retraites (COR) ce lundi 28 novembre dans les locaux de France Stratégie. Les indépendants et les agriculteurs sont également en surnombre chez les allocataires de petites pensions.

Les montants les plus faibles sont versés aux cotisants de la mutualité sociale agricole (MSA) et la sécurité sociale des indépendants soulignent les auteurs du rapport. « Les faibles pensions liées à ces régimes d'affiliation peuvent s'expliquer par des revenus d'activité variables et souvent par des taux de cotisations plus faibles », soulignent-ils. Enfin, les personnes ayant travaillé à l'étranger représentent une proportion importante des petites pensions tout comme les chômeurs de longue durée, les personnes malades pendant plusieurs années.

Des pensions inférieures aux minimas sociaux

L'un des problèmes soulevé par le rapport sur les petites pensions est que certains retraités touchent des montants après une carrière complète inférieurs au minimas sociaux comme l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). « Si les augmentations récentes du niveau de l'ASPA à hauteur de 903 euros sont un réel progrès, ce minimum social ne peut constituer l'unique solution pour traiter la question des petites pensions », expliquent les rapporteurs.

Ils font d'ailleurs un ensemble de propositions dans le but « de réhabiliter les cotisations ». Ils suggèrent notamment d'augmenter « l'assiette minimale de cotisation des artisans et commerçants (à hauteur de 600 smic horaires) afin de permettre la validation de quatre trimestres par an, de limiter dans le temps l'usage des statuts pénalisants en termes d'acquisition de droit à la retraite comme ceux de conjoint-collaborateur ou d'auto-entrepreneur, ou encore la possibilité d'acquérir de nouveaux droits en cas de cumul emploi retraite ».

Les retraités en première ligne face à l'inflation

Ces retraites pauvres risquent de payer un lourd tribut face à la flambée des prix. La reprise économique en 2021 et la guerre en Ukraine ont propulsé l'inflation vers des sommets. Après avoir atteint un pic à 6,2% en novembre, l'indice général des prix à la consommation pourrait continuer de flamber à l'approche de l'hiver. En novembre, les prix de l'énergie se sont envolés à un rythme spectaculaire de 18,5%. L'envolée des prix de l'énergie est trois fois supérieure à celle de l'inflation moyenne.

Compte tenu du poids des dépenses d'énergie dans le budget des ménages les plus âgés, les retraités sont en proie à de fortes difficultés pour payer leur facture à la fin du mois. « Les retraités ont une exposition plus importante à l'inflation de l'énergie que les ménages les plus jeunes.  Entre les 75 ans et plus et les moins de 30 ans, il y a deux points d'écart. Cela est lié à la structure de consommation des ménages. Les retraités dépensent plus en consommation d'énergie », note Frédérique Nortier-Ribordy, membre du secrétariat général du conseil d'orientation des retraites. Alors que les températures devraient continuer de baisser ces prochaines semaines, l'annonce des détails de la réforme des retraites en plein cœur de l'hiver pourrait s'avérer très risquée.

Retraités en France : un taux de pauvreté deux fois inférieur à celui de l'Europe

En dépit du poids de ces petites pensions en France, les retraités sont plus épargnés qu'auparavant par la pauvreté. « Les retraités sont relativement moins touchés par la pauvreté monétaire au niveau national. En 2018, 9,3 millions étaient en risque de pauvreté, soit 14,3% de la population. Chez les retraités, ce niveau est de 8%, soit 1,5 million de personnes », a indiqué Anne Jaubertie, cheffe de la division Revenus et patrimoine des ménages à l'Insee.

Au niveau de l'Europe, la France tire son épingle du jeu. « En 2019, 8,8% des retraités était pauvres contre 16% en Europe. Parce qu'on a un système de retraite par répartition et des minimas vieillesse, on a un taux de pauvreté deux fois inférieur à celui de l'Europe, » a ajouté Louis Schweitzer,  président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Les experts présents lors du colloque ont souligné le rôle de l'Etat-Providence.

« Le système de protection sociale en France a un rôle performant dans la prévention de la pauvreté [...]  Cette performance est liée à la montée en puissance de l'Etat social au sortir de la seconde guerre mondiale » , a déclaré le sociologue spécialiste de la pauvreté Nicolas Duvoux.

En revanche, les intervenants ont pointé le risque d'un appauvrissement dans les prochaines années.  « Après une forte baisse depuis le milieu des années 70, on constate une augmentation du taux de pauvreté des retraités sur les dernières années, » a ajouté Louis Schweitzer.