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Roland-Garros : « Il n'était pas reclus chez lui à boire », confie l’ami d’enfance et coach de Lucas Pouille

Ami d’enfance de Lucas Pouille, Enzo Py est aujourd’hui un peu plus que cela. Alors que le Nordiste a traversé une longue phase de dépression et qu’il était à deux doigts de mettre un terme à sa carrière, il a finalement su retrouver la motivation nécessaire pour tenter un come-back aussi inespéré que réussi. Et c’est vers Enzo Py qu’il s’est tourné en début d’année pour l’accompagner dans les méandres des tournois Challengers, de la Thaïlande aux Etats-Unis.

Celui qui ne devait être au départ qu’un soutien moral pour l’ancien n°10 mondial s’est finalement mué en coach à plein temps. Aux premières loges pour assister à la fois au naufrage de son ami, il y a un peu plus d’un an, et à sa résurrection actuelle, celui-ci a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes, alors que son copain/poulain affronte Cameron Norrie au deuxième tour de Roland-Garros ce mercredi.

Il y a un an, quand Lucas a décidé de totalement couper, qu’il était à deux doigts de dire stop au tennis, vous auriez cru un tel retour possible ?

C’est compliqué de dire qu’on le savait, mais, oui, on y croyait et on l’espérait fortement. Quand je dis nous, c’est l’entourage, même si dans l’entourage il y a toujours des gens qui y croient plus que d’autres. Moi je suis content de faire partie de ceux-là. La petite distance qui existe entre être de la famille et être un des plus proches amis, ça permet d’avoir un peu plus de recul et de peut-être mieux sentir s’il faut y croire ou se dire que c’est terminé. Moi j’y ai toujours cru. Quoi qu’il en soit tout le monde poussait dans la même direction et on est tous heureux de voir ce qui lui arrive.

On peine à imaginer à quel point cette période de doute, de dépression comme il l’a dit lui-même, a dû être dur à vivre pour ses proches. Comment avez-vous traversé ça ?

Ça d’abord été très dur pour lui. Il ne faut pas oublier que lui, c’est son métier, c’est ce qu’il fait quatre, cinq, huit heures par jour depuis qu’il a quinze ans. Pour le reste, oui, ça a été dur aussi pour nous, ses amis, et pour sa famille, sa femme. Voir un de tes amis proches ou, dans le cas de Clémence, voir ton mari souffrir de faire son métier, c’est terrible. Le mal est connu, ça s’appelle le burn-out. Lui a appelé ça une dépression. A l’arrivée, c’est pareil, on parle de quelque chose de profond et de grave. Après, durant la période où il a totalement arrêté de jouer au tennis, l’été dernier, il était assez bien, il n’était pas reclus chez lui à boire des coups toute la journée comme j’ai pu le lire à droite ou à gauche.

Lui-même l’a dit, il ne dormait pas plus d’une heure par nuit et s’est retrouvé à boire tout seul dans sa chambre d’hôtel…

Oui, mais qui n’a pas bu une bière ou deux, ou dix même, chez lui, tout seul, un soir où on n’est pas bien et où on se pose mille questions ? Ça a été une période, et je pense que c’est important de bien repréciser ça, où… (il cherche ses mots) On ne s’est pas dit qu’il allait se suicider quoi, mais bon, c’était très dur. Et il a vécu ça seul car il est comme ça, c’est un taiseux. D’ailleurs, avec quelques copains, on se disait qu’on aurait bien aimé qu’il nous appelle s’il avait des canons à boire (rires) !

On arrive à le sentir que l’autre est mal ?

Non. On savait que ça n’allait pas fort, mais Lucas il faut peut-être lui poser la question 5.000 fois d’affilée pour qu’à la fin il ne te réponde pas et que tu comprennes que ça ne va vraiment pas. C’est quelqu’un qui a une telle sensibilité qu’il s’est construit une gigantesque carapace au fil des années. Si tu lui demandes si ça va, il te répondra toujours oui, même quand c’est faux. Et même si on sentait bien que ce n’était pas le cas, tu ne peux pas non plus forcer la personne à mettre des mots sur son mal-être, comme il a fini récemment par le faire chez vos confrères de L’Equipe. Voilà, la dépression, un peu de picole, ça a fini par sortir et je pense que ça lui a fait du bien.

Comment expliquer, comme il l’a lui-même admis, son contrecoup vers 24 ans, alors qu’il venait d’intégrer le top 10 ?

A un moment donné, quand tu arrives presque tout là-haut, il faut parvenir à se fixer de nouveaux objectifs et ce n’est pas toujours facile, surtout si tu sens qu’ils vont être durs à atteindre, que tu as peut-être atteint ton max. Il faut réussir à mettre la barre plus haut et trouver du sens dans ton travail au quotidien. Je ne sais pas si c’est normal, mais je trouve qu’il y a une forme de logique à se démobiliser et, pendant un temps, de ne plus savoir où tu veux aller. Une fois que t’es 10, l’objectif ce n’est pas d’être 9 ou 8, ou 7. C’est quoi alors ? C’est d’être tout là-haut, c’est de gagner un grand chelem. Sauf qu’en face pendant ces années t’avais les trois monstres Federer, Nadal et Djokovic, qui n’ont laissé que des miettes à la concurrence. A ce moment-là, peut-être qu’il n’a pas su se trouver ces nouveaux objectifs.

Comment a-t-il vécu son retour par la petite porte, les tournois Challengers au bout du monde, l’argent qui ne rentre plus dans les caisses ?

Très mal au départ, forcément, ça fait mal à l’ego, ça fait mal au confort. Mais une fois que t’acceptes ça, tu te dis que tu n’as pas le choix de toute manière. Et après il y a ce que tu mets dans tout ça. Je crois que ça lui a fait du bien au final. Il avait dit dans une interview « j’ai arrêté le train avant qu’il déraille, avant que je prenne le mur ». Moi je pense au contraire qu’il l’a pris, le mur, et que vu ce qu’il est en train de nous faire aujourd’hui, on peut dire qu’il l’a traversé et qu’il s’en est relevé. Il y en a qui s’arrête une fois le mur pris, c’est fini, ils sont morts. Lui, non, et je trouve ça fort et courageux de sa part. Ça ne te laisse pas indemne, c’est certain, tu te casses des trucs mais tu te reconstruis et tu reviens peut-être plus fort sur certains aspects. Aujourd’hui on peut le dire, il a un moral d’acier. Je le trouve serein, posé et à nouveau en confiance. Or, on sait que c’est le plus important au tennis. La confiance, ça met très longtemps à s’acquérir et ça se perd en deux minutes. L’objectif c’est que ça continue dans ce sens.

Il a récemment expliqué que c’est un coup de fil de Pierre-Hugues Herbert qui lui proposait d’aller s’entraîner avec lui au CNE dix jours avant le Master 1000 de Bercy, qui a tout changé. Ça tient à rien quand même !

Ouais, on ne saura jamais si, sans le coup de fil de Pierre-Hugues et sans cet entraînement au CNE, il aurait vraiment arrêté, et tant mieux j’ai envie de dire. Tant mieux pour sa fille, tant mieux pour Clémence, son épouse, qui ne voulait absolument pas le voir arrêter. Je pense, moi, qu’il aurait repris quoi qu’il arrive. Mais peut-être parce que c’est juste que j’espérais au plus au fond de moi.

Comment se retape-t-on physiquement après une telle pause ?

Faire des mois sans jouer, c’est une chose, ton corps se déshabitue à l’effort, mais il se déshabitue aussi et surtout à la douleur. Tous ces mecs-là, ces 100, 200, 300 joueurs pros, tous les jours ils se réveillent et ils ont mal, tous les jours. Ca fait partie du métier. Et ça, tu finis par l’oublier quand tu poses la raquette, ce n’est pas simple de s’y remettre. Donc, forcément, le corps a besoin de quelques mois pour se réhabituer à ça, à réenclencher le mode pro, mais cette phase-là est passée. Il reste une interrogation légitime aujourd’hui qu’on n’a pas encore levée, c’est sa capacité à durer cinq sets sur le court. A mon sens il est prêt. Il va jouer Cameron Norrie, un joueur redoutable, on verra jusqu’où il faut aller.

Lucas Pouille singing La Marseillaise (French National Anthem) with the Roland-Garros crowd on Court 14 to celebrate his first Grand Slam win in four years 🥲 pic.twitter.com/JhbvWZutfx

— Bastien Fachan (@BastienFachan) May 28, 2023

Que représentent les JO 2024 dans son esprit ?

Ce qu’on a vu sur le court 14 entre Lucas et le public, de façon répétée pendant toute la semaine, plus son match au premier tour, je n’ai pas souvenir d’avoir souvent vu ça. Bien sûr il y a souvent de l’ambiance avec les joueurs français, mai j’ai senti un truc vraiment particulier avec Lucas. Je parle de ça car cette relation au public français est fondamentale pour Lucas. Je crois que les gens sont sincèrement heureux de le voir revenir, de voir ce qu’il a traversé et d’assister à cette résurrection. Et Lucas c’est un patriote, c’est quelqu’un qui adore jouer pour son pays, il a gagné la Coupe Davis avec l’équipe de France, donc pour lui les Jeux Olympiques représentent énormément. Il pense à ça tous les jours et je le comprends, faire des Jeux à la maison, ça arrive une fois dans une vie, et encore. C’est un réel objectif pour lui, une réelle source de motivation, ça fait partie des raisons pour lesquelles il a tant travaillé pour revenir de nulle part.