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Roland-Garros : « Quel message envoie-t-on ? » l'attitude gênante face au diabète de Zverev

A Roland-Garros,

Ce fut une longue pause, un livre dont on avait cessé la lecture, laissé en évidence sur une étagère avec la certitude de le rouvrir à la page cornée, des jours, des semaines, des mois plus tard, peu importe. Il aura fallu à Alexander Zverev pile un an pour reprendre son histoire là où elle s’était arrêtée, en demi-finale de Roland-Garros. On vous passe les détails, du réchauffé : le pied bloqué dans la terre, le hurlement de douleur, les béquilles et les larmes face au rêve envolé. La galère, aussi, pour revenir à un niveau de prétendant à la gagne, Porte d’Auteuil. Mais, étonnamment, le retour de Sascha à Paris n’aura pas tant tourné autour de son histoire larmoyante que d’un autre événement majeur du cru Zverev 2022.

Début août de la même année, l’Allemand révélait être atteint d’un diabète de type 1 depuis l’âge de 3 ans, au moment où il lançait sa fondation avec son frère Mischa. Une initiative dont le but est de « venir en aide aux enfants souffrant de diabète de type 1 et aider les gens à prévenir un éventuel diabète de type 2 en menant une vie saine et active. » L’occasion de rappeler quelques souvenirs d’enfance traumatisants. « J’ai eu beaucoup de mauvaises expériences quand j’étais petit, racontait alors le 27e mondial. Parfois, j’étais invité aux anniversaires de copains d’école et leurs parents ne me laissaient pas manger de gâteau. Ils me disaient : "tu as la maladie du sucre, tu n’as pas le droit d’en manger". J’étais exclu. »

La polémique Zverev

Le grand Alexander a également ses petits soucis à gérer vis-à-vis de sa maladie depuis le début de la quinzaine. A tel point que le tournoi de Roland-Garros 2023 est devenu bien malgré lui une excellente campagne de sensibilisation à la question du diabète dans le sport professionnel au détour du match Zverev-Tiafoe, au 3e tour. Car si l’ATP a été briefée sur l’utilisation du stylo à insuline par l’ancien numéro 2 mondial lors des changements de côté, il semblerait que les instructions ne soient pas remontées jusqu’à tous les officiels du tournoi parisien.

« Sur le circuit ATP, je fais ça sur le banc mais ici, ils ne m’y autorisent pas, expliquait Zverev en conférence de presse. Puisque je n’ai pas le droit de le faire sur le court, je dois sortir à chaque fois. » Problème, les joueurs n’ont désormais le droit qu’à une pause toilettes pendant un match (deux en cas de 5e set), une règle clairement incompatible avec les besoins en insuline l’Allemand, qui a bien tenté de raisonner les officiels. « Les gars, je risque d’avoir besoin de sortir quatre ou cinq fois du court. Dites-moi simplement ce que vous voulez que je fasse mais ne me faites pas faire des allers-retours à répétition. »

Diabète et sport de haut niveau, explications

Pour comprendre les habitudes de Zverev liées à sa maladie, il faut expliquer rapidement ce qu’est le diabète. Petit cours de SVT avec l’OMS : « c’est une maladie chronique qui apparaît lorsque le pancréas ne produit pas suffisamment d’insuline ou que l’organisme n’utilise pas correctement l’insuline qu’il produit. L’insuline est une hormone qui régule la concentration de sucre dans le sang. » Selon un rapport de l’université de Liège sur le diabète et la pratique du sport de haut niveau, « le risque d’hypoglycémie est présent durant et après de longs exercices d’intensité moyenne, de type aérobie, et l’hyperglycémie durant des exercices répétitifs, courts et de haute intensité. » Le tennis se trouve plutôt dans la 2e catégorie.

Ajoutons à cela que le stress, extrêmement présent chez les sportifs pro, est un facteur hyperglycémiant chez beaucoup d’entre eux. L’Américain JC Aragone, également diabétique de type 1, témoignait à L’Equipe du poison que peuvent constituer les nerfs pour un sportif malade. « J’ai déjà crampé à cause de ça : quand tu es trop haut, ton corps essaie d’évacuer le sucre de ton corps par les urines, donc tu te déshydrates, tes muscles manquent d’eau et les crampes arrivent. La pression sanguine est catastrophique. Ça m’est arrivé pendant mon premier tour de qualifications à l’US Open en 2017, contre Cecchinato. A cause de ma nervosité, ma glycémie était tellement haute que tout mon corps a crampé. » D’où l’utilité d’un contrôle optimal de sa glycémie. Fin de la parenthèse.

Une erreur totale dans l’appréhension de la maladie

L’affaire Zverev ne s’arrête pas là. Le même soir, alors qu’il se prépare à une injection, fait face à la résistance d’un superviseur clairement pas au courant de son diabète. « Il a paniqué quand j’ai fait mon injection. Il m’a dit que je devais appeler un docteur si je devais injecter quoi que ce soit. Mais ça n’avait aucun sens puisque le docteur ne savait pas du tout la quantité d’insuline que je devais m’injecter. »

Quiconque côtoie de près ou de loin la maladie sait en effet qu’il s’agit d’une grossière erreur : à part l’endocrinologue/diabétologue en charge du patient, personne n’est mieux placé que ce dernier pour agir. « Ce qui est compliqué avec le diabète c’est que le patient devient expert de sa propre maladie, confirme Alizée Agier, double-championne du monde de karaté et atteinte de diabète de type 1 depuis l’âge de 19 ans. Quand j’ai vu qu’ils auraient souhaité que ce soit un médecin qui fasse l’injection à sa place, je me suis dit "pire idée ! Catastrophe". »

Zverev who published in 2022 that he has type 1 diabetes since he is 3 years old and started a foundation was asked in german press about the discussion today. He said other than at ATP tournaments here he is not allowed to inject Insulin on court "cause it looks weird"

answer👇 pic.twitter.com/93xmuGkFwu

— Jannik Schneider (@schnejan) June 5, 2023

Au match suivant, face à Dimitrov, Zverev a pu compter sur la bienveillance de l’arbitre Aurélie Tourte, présente sur le circuit ATP et au fait de sa situation, la Française n’ayant pas assimilé les pauses injection à des pauses toilettes. Mais, interrogé en conférence de presse par des confrères allemands, il s’indignait de devoir se cacher pour le faire. « C’est perturbant : ils semblent dire que je fais quelque chose de bizarre quand je m’injecte mon insuline […]. Je leur ai demandé après : ‘’est-ce que vous pensez que ça ressemble à quelqu’un qui se dope sur le court ?’’. »

L’insuline fait partie des substances interdites par l’AMA. Mais, comme toute personne diabétique, le demi-finaliste bénéficie d’une AUT (autorisations d’usage à des fins thérapeutiques). Pour Alizée Agier, associer ces injections vitales à un acte de dopage est purement contreproductif du point de vue de la perception de la maladie.

Le diabète touche des millions de personnes, dont des enfants. Quel message envoie-t-on en affirmant que c’est bizarre de s’injecter de l’insuline, alors qu’on doit le faire tous les jours à tout moment, que ce soit dans les transports en commun, chez soi, à la salle d’entraînement ? »

Sascha aura la paix jusqu’à la fin du tournoi

Et c’est d’autant plus dérangeant que la victime de ce malheureux amalgame révélait pas plus tard que l’an passé avoir longtemps caché sa maladie par « honte ». Réduire au silence le diabète de Zverev, c’est aussi se priver de toutes les répercussions positives liées à l’identification à un athlète. La karatéka française en sait quelque chose pour avoir assisté à un match de Sascha en première semaine : « C’était génial ! J’observais ses changements de côté. Car justement, je me posais la question de la gestion de sa glycémie, de ses injections, etc. Je voulais savoir, il y avait des questions auxquelles je n’avais pas trop de réponses. J’ai par exemple pu voir qu’il a vérifié sa glycémie à un moment donné, parce que j’ai repéré l’appareil avec lequel il le fait. »

Lors de sa plus récente conférence de presse, le double vainqueur du Masters a affirmé avoir obtenu la paix jusqu’à la fin de la quinzaine. « Ensuite, ils décideront pour Wimbledon. » Nos sollicitations auprès de l’organisation de Roland-Garros sont restées sans réponse, malgré l’absence apparente de cadre légal. « Il faut le prendre comme le bon moment pour faire évoluer les choses dans le cadre du tennis, sur ce tournoi en particulier, termine Agier. Et être à l’écoute de l’athlète. »