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RSE: pour une exclusion stricte de l’industrie du tabac

En raison de ses activités, l’industrie du tabac est responsable de 8 millions de morts chaque année dans le monde, un trop lourd tribut à payer pour nos sociétés. Mais les conséquences désastreuses du tabac et de sa production s’étendent bien au-delà de la sphère sanitaire et concernent aussi l’environnement et le respect des droits humains. L’Alliance contre le tabac (ACT), fédération des associations de lutte contre le tabagisme en France, se bat aujourd’hui pour que le gouvernement exclut l’industrie du tabac de son label Investissement socialement responsable (ISR). Explications avec Marion Catellin, directrice générale de l’ACT.

Slate: Alors que le gouvernement réforme actuellement son label ISR afin que celui-ci soit plus transparent et crédible, l’ACT milite pour que l’industrie du tabac soit bien exclue de ce label. Pourquoi est-ce une nécessité ?

Marion Catellin: Aujourd’hui, pour plus de la moitié des Français, la finance durable est un moyen d’avoir un impact sur notre société. Le ministère de l’Économie et des Finances a créé en 2016 le label ISR afin de distinguer et de mettre en avant les fonds d’investissement incluant des investissements responsables, c’est-à-dire vertueux sur le plan de l’environnement, de l’inclusion sociale et des entreprises. Pointé du doigt à plusieurs reprises pour son manque d’exigence, une réflexion est menée depuis le début de l’année 2022 pour la refonte de ce label.

Cet été, nous avons appris qu’il y aurait a priori, dans cette nouvelle mouture, une exclusion des énergies fossiles comme le charbon et le pétrole, sans que soit évoquée une exclusion de l’industrie du tabac. Et pourtant, cette industrie n’a rien de responsable, tant sur le plan social qu’environnemental! Il est donc essentiel de se battre pour que les prochains fonds labellisés ISR ne financent plus, de près ou de loin, le secteur du tabac.


S.: Justement, pouvez-vous expliquer quel est l’impact du tabagisme et de l’industrie du tabac sur la planète?

M.C.: Les méfaits de l’industrie du tabac vis-à-vis de la planète sont peu connus, mais ils sont nombreux! A commencer par la culture des feuilles de tabac qui nécessite un défrichage massif de forêts, dans des pays comme la Chine, l’Inde ou encore le Malawi. Chaque année, on estime que 200 000 hectares de terres, soit l’équivalent d’un pays comme le Luxembourg, sont défrichés à cet effet. C’est aussi une culture qui consomme énormément d’eau. La production mondiale de tabac consomme en eau chaque année l'équivalent de 7,5 millions de piscines olympiques!

La culture du tabac est également la sixième plus grosse consommatrice de pesticides et pollue ainsi durablement les sols. Sans compter la pollution générée par les transports nécessaires à l’acheminement et à la vente de produits de tabac finis. Au total, cette industrie émet 84 millions de tonnes de CO2 par an. C’est autant d’émissions de gaz à effet de serre qu’un pays de la taille du Pérou ou d’Israël.

La consommation de tabac est, elle aussi, génératrice de pollution puisque 4 500 milliards de mégots sont jetés dans la nature chaque année dans le monde. Ce constat est terrible lorsque l’on sait qu’un mégot met en moyenne plus de 10 ans à se dégrader. Dans ce mégot, on retrouve des résidus de plastiques, comme de l’acétate de cellulose, et des restes de tabac. Or le tabac contient 7 000 composés chimiques dont des métaux lourds qui se déversent dans les sols et les océans, les polluant durablement.

S.: De quelles façons le secteur du tabac porte-t-il atteinte aux droits humains et notamment à ceux de l’enfant?

M.C.: On ne peut vraiment pas dire que l’industrie du tabac soit responsable d’un point de vue social! Elle bafoue les droits humains dans les pays en voie de développement dans lesquels elle privilégie la production de ses produits. On estime ainsi que 1,3 million d’enfants dans le monde sont exploités dans les champs de tabac. Pour eux, l’atteinte est multiple. Non seulement ils sont déscolarisés, mais ils sont aussi directement exposés aux feuilles de tabac, nocives pour leur santé.

Cette exposition directe et prolongée provoque notamment la «maladie du tabac vert». Il s’agit d’une intoxication à la nicotine par le contact de la peau qui peut entraîner des nausées, des maux de têtes et même parfois des problèmes de développement cérébral. Les enfants ou les adultes dont la peau est en contact direct avec les feuilles de tabac absorbent l’équivalent en nicotine de 50 cigarettes par jour, soit deux paquets et demi de cigarettes. Il s’agit d’une atteinte considérable à leur intégrité physique et à leur santé.

L’industrie du tabac ne peut exister sans l’exploitation des enfants pour la production de ses produits comme pour la survie de son marché. Car plus une personne commence à fumer tôt, plus elle est accro toute sa vie au tabac et, bien souvent, à la même marque. En France, l’âge moyen de la première cigarette est de 14 ans et 90% des fumeurs ont commencé à fumer avant 18 ans. C’est d’ailleurs pour cette raison que des médecins qualifient le tabagisme d’épidémie pédiatrique. Et comme le tabac tue un fumeur sur deux[1], l’industrie doit sans cesse renouveler son marché, les enfants ayant même été qualifiés dans certains rapports de l’industrie du tabac de «fumeurs de remplacement»[2].

Enfin, le tabagisme passif porte gravement atteinte à la santé des enfants. D’après nos études, un quart des enfants ont dans leur entourage un proche qui fume. Ce sont autant d’enfants exposés à la fumée de tabac qui cause de réels problèmes de santé, comme des maladies respiratoires, de l’asthme et même des troubles du développement cérébral, en cas d’exposition pendant la grossesse.

S.: Le tabagisme reste la première cause de mortalité évitable en France. Quelles seraient les mesures à prendre pour protéger les enfants du tabagisme?

M.C.: Pour protéger nos jeunes et les futures générations du tabagisme, nous nous battons à l’ACT pour l’application de plusieurs mesures-clés. La première est la décommercialisation progressive des produits du tabac à l’horizon 2032. Concrètement nous souhaitons qu’à partir de cette date, plus aucun enfant ou jeune ne puisse acheter ce produit qui est tout sauf banal. Nous demandons également la généralisation des espaces sans tabac dans les lieux à usage collectif et en particulier devant les établissements scolaires. Cela permettrait de combattre les effets néfastes du tabagisme passif, d’une part, et de la banalisation de l’acte de fumer, d’autre part.

Enfin, nous demandons beaucoup plus de transparence dans les relations qu’ont les décideurs publics avec le lobby de l’industrie du tabac. Pour ce faire, il faut d’abord rendre obligatoire le sourcing des amendements. Cela dissuaderait les parlementaires de déposer des amendements lorsqu’ils sont suggérés par des représentants de l’industrie du tabac. Nous souhaitons aussi que les échanges entre décideurs politiques et représentants de l’industrie du tabac soient systématiquement rendus publics, comme le prévoit le droit international.

Crédit photo: pixabay