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Ruffec : « La littérature permet de se mettre à la place des autres »

C’est génial que des librairies existent à la campagne : je m’y sens plus à l’aise que dans les librairies bourgeoises des grandes villes.

Dans votre roman, la grande ourse n’est pas une constellation mais un animal dont le cadavre est retrouvé dans une vallée de l’Ariège. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire sur le conflit entre éleveurs et partisans de la réintroduction des ours dans les Pyrénées ?

Maylis Adhémar. Je n’habite pas loin à Toulouse. Mais j’ai surtout grandi dans un village du Tarn, dans un environnement très rural au contact des agriculteurs, avant d’évoluer dans un milieu urbain. J’avais envie de parler de ce décalage et le sujet de l’ours s’est vite imposé pour moi qui ai l’habitude de séjourner dans une vallée de l’Ariège où vivent beaucoup d’ours réintroduits. Une amie vétérinaire y compte souvent les cadavres de brebis alors qu’à Toulouse, on a souvent une vision idyllique de la réintroduction des ours en montagne.

Vous racontez l’histoire de Zita, descendante d’une famille de bergers, partie loin travailler pour l’agro-industrie avant de revenir sur ses terres. C’est un personnage tiraillé entre deux mondes. Une position intermédiaire est-elle possible entre les deux camps farouchement opposés ?

C’est justement ce qui m’intéressait avec le personnage de Zita, enfant du milieu rural qui évolue dans un monde urbain et a peut-être un regard plus juste que d’autres sur ce conflit. Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet, j’étais face à un roc : les associations pro-ours ne voulaient communiquer que dans des médias favorables à leur cause et les éleveurs étaient réticents à parler, eux qui sont souvent jugés comme des arriérés par les urbains. Quand on sort des positions très partisanes, il y a en fait beaucoup de tristesse et de désarroi mais aussi des liens historiques forts avec l’ours. Parmi les ancêtres des éleveurs, certains étaient montreurs d’ours, des oursons grandissaient dans les villages, il y a d’ailleurs des fêtes de l’ours dans les Pyrénées et encore des contes et des lieux qui témoignent de ces liens. C’est plus compliqué que de dénoncer une haine de l’ours.

Qu’apporte pour vous la littérature quand elle s’empare d’un tel sujet de société ?

Elle permet surtout de se mettre à la place des autres, d’être en empathie avec des gens qui n’ont pas la même vie, la même réalité ou préoccupation que les lecteurs. J’ai d’ailleurs des retours d’agriculteurs qui ont l’impression que je leur ai donné une voix.

Votre premier roman, « Bénie soit Sixtine », s’inspire aussi de votre réalité et raconte l’émancipation d’une jeune catholique sous l’emprise d’une famille bourgeoise intégriste. La forme romanesque est-elle plus forte que le témoignage ?

Il y a un fort lien avec mon enfance. J’ai grandi dans une famille traditionaliste catholique, fréquenté des camps intégristes. Il y a beaucoup de choses vécues, comme dans La grande ourse. Mais pour moi qui suis journaliste, la fiction représente une vraie liberté. Toute petite déjà, j’écrivais des histoires, j’imaginais des personnages. J’y prends beaucoup plus de plaisir qu’à écrire un documentaire. D’autant que je n’ai aucune envie d’écrire sur ma vie. La fiction, c’est la puissance de l’imagination, même quand elle s’appuie sur des faits réels.

« Bénie soit Sixtine » a connu un vrai succès critique et public. Était-ce une façon de montrer que le fondamentalisme catholique respire encore, même s’il est passé au second plan derrière les intégristes musulmans ?

Je l’ai écrit sans même penser à le publier au départ. Je ne voulais pas montrer quelque chose. C’est après coup que j’ai jugé important de parler de ces microcosmes encore bien vivants aujourd’hui. La montée de l’extrême droite va de pair avec cette mouvance-là représentée notamment par des gens bien installés dans la société. En dédicaçant le livre un peu partout, beaucoup de lecteurs me disaient : « Ici aussi il y a une communauté intégriste ». À mon grand plaisir, le livre va être adapté en téléfilm par France Télévisions.

Vous vous êtes rebellée contre votre éducation. Est-ce pour cela que vous avez passé un bac agricole avec l’idée de devenir bûcheronne ?

C’est un mélange de plein de choses. Enfant, je ne me retrouvais pas forcément dans le système scolaire et j’avais envie d’envoyer balader le milieu de mes parents, très bourgeois, où les filles devaient faire des études de filles et les garçons des études de garçons. Je rêvais de vivre au fond des bois. Mon bac agricole m’a permis d’être en immersion avec des enfants d’agriculteurs. C’était passionnant. Il y a d’ailleurs des parties de moi dans le personnage de Zita qui part à l’étranger, loin de chez elle. J’ai été prof de français en Chine, j’ai voyagé en Amérique du Sud tout en étant très attachée à ma région. Je partage ça avec Zita.

Vous êtes devenue journaliste indépendante et animez notamment des stages d’initiation au journalisme pour les jeunes du monde rural. C’est important pour vous d’être sur le terrain à la rencontre des lecteurs d’une ville rurale comme Ruffec ?

Oui, j’animerai d’ailleurs des ateliers jeudi et vendredi pour les collégiens de Ruffec. ça me tient à cœur d’être sur ce terrain-là. En ville, les jeunes ont plus d’opportunités et il y a plein de choses à raconter aussi sur le monde rural. C’est génial que des librairies existent à la campagne : je m’y sens plus à l’aise que dans les librairies bourgeoises des grandes villes.