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S’en prendre au pétrole russe tout en évitant un nouveau séisme, le “savant équilibre” de l’Occident

Ce vendredi 2 décembre, l’Union européenne a franchi une nouvelle étape dans ses efforts pour rogner la rente pétrolière avec laquelle la Russie finance sa guerre contre l’Ukraine. Alors que les sanctions mises en œuvre depuis des mois contre des secteurs stratégiques de l’économie russe ont été largement amorties par les cours très élevés des hydrocarbures, les Vingt-Sept se sont accordés pour plafonner à 60 dollars le baril venu des vastes réserves pétrolières de Moscou. C’est un coup de plus porté à la principale source de devises du régime de Poutine – mais ce ne sera certainement pas le coup fatal.

La mesure ne concerne pas directement les pays de l’UE eux-mêmes, qui sont par ailleurs convenus d’un embargo sur le pétrole russe entré en vigueur le 5 décembre. Il s’agit surtout de réduire les revenus que tire Moscou de ses ventes à d’autres pays, comme la Chine et l’Inde, qui ces derniers mois profitent de la manne créée par l’anathème occidental contre le pétrole russe. Pour les Occidentaux soucieux d’éviter que les cours de l’or noir subissent un nouveau séisme mondial, les flux pétroliers doivent impérativement se maintenir – si les robinets du pétrole russe étaient totalement coupés, le reste de la production mondiale ne pourrait satisfaire toute la demande.

Bien que ni la Chine ni l’Inde ne se soient ralliées au plafonnement des Européens (rejoints en revanche par le G7 et l’Australie), la mesure aura bien des conséquences sur les exportations de pétrole russe vers ces deux pays. En effet, nombre des armateurs et des compagnies d’assurances intervenant dans le transport sont situés dans des États appliquant le plafonnement. Certains observateurs cependant, dont la banque américaine JP Morgan, estiment que Moscou pourra à l’avenir utiliser ses propres navires pour acheminer son brut vers l’Asie, déjouant ainsi la mesure des Occidentaux. Pour autant, on ne construit pas des supertankers du jour au lendemain, et ceux actuellement en circulation sont pour la plupart soumis au droit occidental, ou à la législation de pays satellites de l’UE et des États-Unis. [Le Financial Times a toutefois révélé que la Russie avait acquis ces derniers mois une centaine de vieux tankers.]

Ne pas se tirer une balle dans le pied

L’Occident oscille entre la volonté de frapper fort pour porter le coup le plus rude possible au Kremlin, et le souci de garder une certaine mesure pour ne pas se tirer une balle dans le pied. L’accord conclu le 2 décembre se trouve précisément là, à mi-chemin entre les propositions faites par les plus intransigeants (emmenés par la Pologne, qui a obtenu que le plafonnement soit régulièrement révisé afin de se situer toujours au moins 5 % au-dessous des cours du marché) et le pragmatisme des grandes capitales (qui, derrière Berlin, tenaient à préserver autant que possible les équilibres ô combien délicats des marchés mondiaux de l’énergie).

Le principe général est clair : le pétrole russe qui auparavant était acheminé vers l’Europe doit aller désormais vers les économies émergentes, mais à un prix réduit pour entamer la rente pétrolière de Moscou. Un savant équilibre qui est dans l’intérêt de l’UE elle-même : plus le pétrole russe se raréfie sur le marché mondial, plus grandit le risque de voir flamber les cours de cette matière première essentielle au fonctionnement des économies européennes.

La Russie, qui avec 10 % des exportations mondiales de brut se classe deuxième derrière l’Arabie saoudite, vend depuis des mois son pétrole sensiblement au-dessous des prix du marché afin d’attirer de nouveaux acheteurs, à commencer par la Chine et l’Inde. Le “brut de l’Oural”, ainsi qu’on appelle ce pétrole russe, a pu valoir moitié moins que le baril de brent, la référence en Europe. Grâce à cette ristourne, le Kremlin a pu continuer à vendre à d’autres son or noir, devenu depuis l’invasion de l’Ukraine indésirable aux yeux des capitales occidentales – ce qui a aussi permis au marché mondial du pétrole de ne pas sombrer dans une violente spirale aux conséquences imprévisibles.

Il suffit d’observer la balance commerciale russe pour comprendre pourquoi l’UE, et l’Occident en général, a les combustibles fossiles en ligne de mire. En effet, la chute drastique des volumes de ventes depuis l’invasion a été compensée pour une bonne part par la flambée des cours – c’est particulièrement le cas pour le gaz. Selon les derniers chiffres du Centre for Research on Energy and Clean Air [Crea, un groupe de réflexion écologiste basé en Finlande], les combustibles fossiles ont rapporté depuis le 24 février plus de 122 milliards d’euros à Moscou – le pétrole 67 milliards, le gaz 52 milliards et le charbon 3 milliards. Sur les dix premiers mois de 2022, les recettes engrangées par l’État russe étaient trois fois supérieures à celles de l’année dernière.