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Sainte-Soline : pourquoi les secours ont été ralentis

« La police assassine ! Nous vengerons les blessés de Sainte-Soline ! Nous nous vengerons de la gendarmerie ! » Tout de noir vêtu, le visage masqué, mégaphone à la main, ce militant anticapitaliste en tête du cortège de la manifestation contre la réforme des retraites, mardi 28 mars à Brest, donne le ton des prochains face-à-face avec les forces de l’ordre. À Brest et dans tout le pays. À Sainte-Soline, l’État et les forces de l’ordre auraient délibérément laissé des blessés sans soins lors des affrontements samedi 25 mars.

C’est ce qu’affirme peu ou prou un médecin finistérien, militant ayant participé à la manifestation de Sainte-Soline et porté secours à plusieurs blessés le week-end dernier : « L’État voulait que des gens meurent ! ». Selon lui, il s’agissait d’un véritable « traquenard » : « Deux groupes commençaient à encercler la bassine, s’approchant à une centaine de mètres. J’étais dans l’un d’eux, on se tenait la main. Un autre groupe, à 500 ou 600 m de la bassine, a été attaqué à coups de gaz lacrymogène et de LBD. Il y avait aussi des grenades assourdissantes et de désencerclement ». Le médecin militant assure que les gendarmes « ont attaqué les premiers, sur les quads ! » (les autorités affirment l’inverse).

Un « ordre des forces de l’ordre »

État et forces de l’ordre auraient également délibérément bloqué les secours ? C’est aussi la conclusion, hâtive, qu’il faudrait lire à l’écoute d’un échange téléphonique entre un autre médecin sur place et un régulateur du Samu, le samedi 25 mars. Ce dernier affirme au téléphone : « On n’enverra pas d’hélico ou de Smur (Structures mobiles d’urgence et de réanimation, ndlr) sur place, parce qu’on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre. »

Depuis, les positions répétées du responsable du Samu, assurant que les forces de l’ordre n’avaient « pas empêché ses équipes d’accéder au site », n’y changent rien. Le mal est fait. Même quand les explications sont apportées : « La doctrine est simple : on n‘envoie pas de médecins dans la zone d‘exclusion - la zone de combat - car nous n‘avons pas l’équipement de protection pour y aller sans nous mettre en danger », précise le responsable à nos confrères du Parisien.

« On ne met jamais en danger ses intervenants »

« Tant qu’un danger ou un risque n’est pas maîtrisé, les secours n’interviennent jamais, confirme au Télégramme François-Xavier Volot, directeur aux affaires générales de l’association Protection civile. Si on m’avait demandé d’engager mes équipes sur une zone d’affrontements, j’aurais aussi refusé. On ne met jamais en danger ses intervenants. » « Un secouriste au tapis, c’est un blessé en plus, et d’autres blessés qui ne pourront pas être secourus », appuie un autre urgentiste. « C’est une règle militaire au départ, poursuit-il. Les civils l’ont découverte dans la douleur à l’occasion de l’attentat du Bataclan : il était impossible d’accéder au site tant que le danger n’était pas écarté. »

« Le seul objectif des assaillants : les forces de l’ordre »

Pour Sainte-Soline, plusieurs témoins estiment de leur côté que les affrontements avaient cessé et que les secours pouvaient donc intervenir. « Si certaines zones paraissaient plus calmes, l’extrême rapidité de déplacement des groupes pouvait faire courir le risque à des secouristes de se retrouver brusquement sous des jets de pierres et d’engins incendiaires », indique dans un rapport la préfète des Deux-Sèvres, qui a dirigé les opérations de maintien de l’ordre et de secours. La gendarmerie évoque à ce propos « près de 800 à 1 000 radicaux, dont 400 à 500 black blocs (…) organisés par groupes de 20 et coordonnés par talkies-walkies et mégaphones ».

Selon les autorités, l’objectif des assaillants, armés de « pierres, frondes à billes d’acier, mortiers d’artifice et engins incendiaires », ne visait même pas le chantier de la réserve d’eau, mais « les forces de l’ordre, en causant le plus de dommages humains et matériels possibles ». Sur ce point, le rapport de la préfète précise encore : « J’ai veillé à informer le public susceptible de s’y rendre des risques encourus. »

« C’est forcément un cauchemar »

Reste un fait : les secours ont éprouvé de nombreuses difficultés à parvenir jusqu’à certains blessés. Les opérations ont parfois pris beaucoup de temps, estiment de nombreux témoins. Encore faut-il préciser que l’organisation de manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes impose au préalable la mise en place d’un plan de secours et d’évacuation des blessés. Malgré l’interdiction de l’événement, la préfète assure avoir pris contact avec les organisateurs en ce sens. « Mon courrier est resté sans réponse », rapporte la représentante de l’État, qui a néanmoins mis en place des moyens de secours (montée en charge jusqu’à 5 équipages Samu et 37 véhicules pompiers).

« Comment voulez-vous, dans ces conditions, sans référents, sans liaison dédiée, sans cartographie commune, que l’évacuation de blessés puisse se dérouler normalement ? C’est juste impossible. C’est forcément un cauchemar. C’est de l’inconscience ! », s’affole l’organisateur d’un grand festival breton. « C’est le brouillard épais assuré, et une catastrophe à coup sûr », abonde un professionnel du secours.

Médecin de la gendarmerie « pris pour cible »

De fait, la localisation de certains blessés s’est avérée « incertaine et imprécise », affirme encore le rapport préfectoral, qui mentionne également des secours dépêchés à plusieurs reprises, sans blessés à leur arrivée. L’équipe du Samu envoyée pour l’un des blessés en urgence absolue a également été stoppée à plusieurs reprises par des manifestants qui la sollicitaient pour prendre en charge d’autres blessés. Ce que confirme le responsable du Samu. Un duo médical de la gendarmerie a lui aussi été engagé sur ce cas. Sur site pour les premiers secours et jusqu’à l’arrivée du Samu, il a ensuite « été la cible de projectiles à son départ », selon les autorités.

Les critiques et attaques laissent au responsable des urgences un goût amer : « Quand j‘entends dire que nous sommes vendus à l‘État car je démens toute interdiction d‘intervenir ou que nous avons été en dessous de tout, cela est très dur pour les équipes qui ont fait le maximum dans des conditions extrêmement difficiles », confiait-il au Parisien.