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Sans toit ni droits, leur santé dépend de la solidarité

Le grand bâtiment de Médecins du monde ne désemplit pas. Avec 4 000 personnes par an accueillies sans rendez-vous et sans aucune condition, ce centre d’accès aux soins et d’orientation (Caso), situé dans une rue résidentielle de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), est l’un des plus fréquentés parmi les 14 établissements du même type implantés sur le territoire français.

Les traits tirés, Binaté attend son tour, recroquevillée sur son siège . « Un monsieur m’a hébergée deux nuits, puis il m’a dit de venir ici. J’ai dormi dehors, j’ai mal au ventre, je suis fatiguée », souffle la frêle Ivoirienne de 31 ans, arrivée en France cinq jours auparavant. Pour elle comme pour la grande majorité des personnes qui s’adressent au Caso, ce lieu est le seul accessible pour se faire soigner. En effet, les blocages à l’ouverture de droits aux soins pour les personnes de nationalité étrangère (97 % des bénéficiaires des Caso) ne manquent pas. Depuis 2020, en Seine-Saint-Denis, les personnes doivent déposer physiquement leur dossier de demande d’aide médicale d’État (AME) à un guichet unique, situé à La Courneuve. Pour passer la porte de cette agence spécifique de l’assurance-maladie, il faut un rendez-vous qui s’obtient en composant le 36 46. Mais il faut souvent plusieurs tentatives et un temps d’attente infini pour avoir quelqu’un au bout du fil et obtenir une date de dépôt… Et une fois la demande d’AME acceptée, il faut reprendre rendez-vous, par Internet cette fois, pour aller chercher sa carte. « Pour ceux qui ne maîtrisent pas l’outil informatique, c’est tout simplement impossible. De plus, il n’y a pas d’interprète sur place pour renseigner les personnes non francophones. Et, pour celles et ceux qui ont des problèmes de santé, cela peut être difficile de se déplacer. Enfin, il faut savoir que beaucoup de médecins de ville refusent l’AME, arguant de délais de remboursement trop longs de la part de la Sécurité sociale… » déplore Lynda Boutaleb, coordinatrice du Caso de Saint-Denis.

Particularité de cet établissement de Médecins du monde : il est le seul de France à bénéficier d’une délégation préfectorale pour domicilier les personnes. C’est normalement aux mairies de le faire, mais sans preuve d’attache, certaines, comme à Paris, le refusent pour les personnes vivant dans des lieux informels. Or, sans adresse, pas d’accès à une protection sociale, si minimale soit elle ! « On a reçu, l’été dernier, un monsieur qui sortait de l’hôpital avec une amputation de la main et des broches à la hanche, à la suite d’un accident du travail. Il était à la rue, n’avait pas de couverture sociale et ne pouvait donc même pas faire changer ses pansements… » rapporte Lynda Boutaleb. Les personnes qui s’adressent au Caso le font donc pour voir un médecin, mais aussi pour recevoir un accompagnement dans l’accès à leurs droits. En raison du délai de carence de trois mois de présence sur le territoire pour obtenir l’AME, certains étrangers malades n’ont d’autre choix que de ce se déplacer dans ce centre.

« Si notre structure n’existait pas, ces malades seraient en grave danger »

« C’est la PMI qui m’envoie. Le cordon ombilical de ma fille ne cicatrise pas bien », explique Rosalie, 28 ans, qui a accouché par césarienne d’Océane, il y a quinze jours. Elle est venue en transports en commun de Puteaux, où elle est hébergée avec la petite par le 115. Arrivée du Cameroun il y a trois mois, elle n’a pas encore le précieux sésame. Assis à quelques mètres de la jeune femme dans la salle d’attente, Ali attend aussi de voir le médecin. Depuis qu’il a rejoint, l’été dernier, ses grands enfants installés en France, cet Algérien de 49 ans qui souffre d’hypertension vient chaque mois pour recevoir son traitement. « Je viens d’Épinay. C’est un peu loin, mais je n’ai pas les moyens de payer le médecin et les médicaments. Ici, c’est gratuit », explique-t-il. « On reçoit beaucoup de personnes en rupture de traitement ou de suivi, alors qu’elles ont une pathologie chronique, notamment quand le renouvellement de la carte d’AME ne peut pas être fait assez rapidement. Si notre structure n’existait pas, elles seraient en grave danger », précise Lynda Boutaleb.

Pourtant, les Caso de Médecins du monde n’ont pas vocation à se substituer aux structures de droit commun et aux missions de l’État. « Quand c’est possible, nous réorientons les personnes vers d’autres dispositifs », indique Alain, 71 ans, médecin généraliste à la retraite. Au sein de l’équipe de 60 bénévoles, il assure ici deux demi-journées de consultations par semaine. « La prise en charge de nos patients vers des lieux adaptés est souvent compliquée car toutes les autres structures manquent de moyens. En Seine-Saint-Denis, les PMI ne prennent plus d’enfants de plus de 2 ans, les maternités sont saturées, les lits en psychiatrie introuvables… déplore la coordinatrice du Caso. L’été dernier, grâce à une association qui vient ici chaque semaine faire du dépistage du VIH par test rapide, une jeune femme a découvert sa séropositivité.­ Elle était effondrée et le psychiatre du Caso a demandé une hospitalisation en urgence, car elle était suicidaire. Faute de lit, aucun hôpital psychiatrique n’a été en mesure de l’accueillir, elle a dû passer plusieurs jours aux urgences… c’est inadmissible. »

Dès l’entrée, un service de traduction facilite les échanges

« En général, les patients qui viennent souffrent de maladies de peau, de troubles anxieux, d’affections musculo-squelettiques… Nous avons aussi régulièrement des cas de tuberculose et une prévalence un peu plus importante du VIH chez ces patients. C’est très lié à leurs conditions de vie très difficiles. Beaucoup sont à la rue, en habitat précaire ou insalubre, et souffrent d’épuisement physique et psychologique dû à des parcours d’exil qui se rallongent et se durcissent », détaille le médecin, qui ne cache pas une certaine admiration pour ses patients : « Je viens de recevoir une dame béninoise qui a fui son pays pour protéger sa fille de l’excision. Et, la semaine dernière, j’ai à nouveau reçu Lansana, un Ivoirien qui s’est lancé, à plus de 70 ans, dans un parcours d’exil d’autant plus compliqué qu’il est presque paralysé. C’est toujours une richesse de découvrir des personnes du monde entier. Quel courage ont ces gens ! »

Le système de traduction par téléphone qui est proposé sur place facilite aussi grandement le travail des médecins et des assistants sociaux. Dès la porte d’entrée, les bénévoles peuvent l’utiliser si nécessaire pour comprendre la demande des personnes qui se présentent. Médecins du monde a une convention avec ce service, qui propose des traducteurs dans différentes langues sur demande. Le fait que cela se fasse au en téléconférence permet de respecter la confidentialité des personnes et le secret médical. « Par respect, nous refusons qu’un enfant traduise pour ses parents ou qu’une tierce personne entre dans le cabinet du médecin. C’est un système qui marche très bien. Certaines personnes, qui disposent d’une couverture maladie, viennent ici car elles sont sûres qu’elles pourront se faire comprendre. On plaide pour que ce système d’interprétariat soit mis en place dans toutes les administrations et les structures de santé de droit commun », insiste la coordinatrice.

Ce qui pousse aussi les personnes à revenir au Caso, c’est l’empathie et la bienveillance des équipes, bénévoles, qui œuvrent sur place. Au rez-de-chaussée du bâtiment, quelques vêtements sont stockés pour être distribués en cas de besoin, de même que des collations et des boissons chaudes. « La plupart des personnes qui se présentent au Caso cumulent les vulnérabilités : habitat précaire, pas ou peu de revenus, arrivée très récente sur le territoire français… On essaie de prendre tout cela en considération. Toute personne qui arrive chez nous passe d’abord devant un travailleur social qui évalue ses besoins primaires (manger, se laver, dormir), l’aide à faire valoir ses droits, lui indique des activités qui pourraient lui permettre de se socialiser, et ensuite, elle va en consultation avec un médecin si nécessaire, indique Lynda Boutaleb. Nous militons pour que les personnes ne soient pas réduites à leur pathologie, mais que leurs besoins au sens large soient pris en compte. » Une vision de la prise en charge qu’il serait salutaire d’étendre aux autres structures, comme les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) des hôpitaux.