France
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Santé : le temps des urgences

Comment bien se soigner, bien vivre, bien vieillir ? Rendez-vous à Caen, les 9 et 10 décembre, au MoHo avec le LibéCare pour débattre avec médecins, intellectuels et experts. En attendant l’événement, réalisé en partenariat avec la région Normandie, la MGEN et l’ADMD, Libération publiera dans un espace dédié articles, tribunes et témoignages.

Elle est l’éternel et grand souci. Sondage après sondage, la santé caracole en tête des préoccupations des Français, au coude-à-coude avec le pouvoir d’achat. Des Français qu’on dit d’ailleurs traditionnellement chanceux, en la matière, avec leur sacro-sainte Sécu, leur médecin de proximité, leurs médicaments gratuits, leurs grands hôpitaux publics… Autant de «biens précieux, […] indispensables quand le destin frappe», soutenait, lyrique, le président Macron en mars 2020. Indispensables, certes, mais menacés. La pandémie a eu, à ce titre, valeur d’électrochoc : le système a tenu, il a sauvé mille vies, mais il en sort plus essoré que jamais. Les quelque 3,5 millions de personnes qui le font survivre depuis des années ne cessent d’en témoigner, à longueur de manifs, de tribunes et d’interpellations du politique.

En 2020, le Ségur de la santé a prétendu une mobilisation générale de l’Etat, accompagnée d’une revalorisation salariale des infirmiers et aides-soignants des hôpitaux. Las, deux ans plus tard, un rapport sénatorial de mars 2022 regrettait «le saupoudrage de ces mesures […] et leur extension sans réflexion d’ensemble et par à-coups aux “oubliés du Ségur”», notant au passage «une amertume qui ne tarit pas». Le 3 octobre, François Braun, ministre de la Santé, lançait cette fois le volet «santé» du Conseil national de la refondation, annonçant un bilan pour janvier 2023. Espérons alors que les actes suivront car les urgences, elles, s’amoncellent…

Hôpital public : réorganiser et réhumaniser

Il est probablement celui qui souffre de la crise la plus aiguë, au point d’être menacé, prédisent certains, de s’écrouler. Les symptômes de l’usure de l’hôpital public sont tels qu’en dresser la liste exhaustive est impossible. Il y a les services d’urgences, asphyxiés par la hausse continue de leur fréquentation (+3,5 % par an), le manque de personnel et les cadences insoutenables. Il y a les fermetures de lits d’hospitalisation complète (plus de 5 700 en 2020, 4 300 en 2021). Il y a aussi la pédiatrie, que la récente épidémie de bronchiolite a mise au supplice ; la gériatrie et la psychiatrie, tout autant sevrées de soignants au moment où les besoins explosent. Il y a les démissions, les burn-out et les suicides.

Bref, l’urgence est absolue : sauver un hôpital affamé de moyens, d’autonomie et d’humain. Concrètement, plaident les premiers concernés, il faut réformer le financement, plombé par le trop rigide objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et perverti par la «T2A» (la tarification à l’activité). Il faut soigner l’attractivité des métiers – en 2019, la France était 18e sur 35 pays de l’OCDE en termes de rémunération des ­infirmiers. Renouer les liens avec la médecine de ville, valoriser la spécialisation des infirmiers, redonner de l’autonomie aux services cliniques… Et recruter, recruter, et encore recruter.

Déserts médicaux : repeupler le vide

Soulager l’hôpital passe aussi par le retricotage d’une médecine de ville pleine de trous. Selon Santé publique France, près d’un tiers de la population vit dans une «zone d’intervention prioritaire», un désert médical. Dans certaines régions – le Centre-Val de Loire, l’Ile-de-France –, ce taux côtoie les 60 %. Signe de cet accès au soin entravé : 11 % des Français de plus de 17 ans n’ont pas de médecin traitant, alertait le Sénat dans son rapport de mars 2022. Un pourcentage qui grimpe à 20 % pour les 17-30 ans. Or la pénurie de médecins, qui concerne autant les généralistes que les spécialistes, va s’accentuer. Selon la Direction de la recherche des ministères sanitaires et sociaux (Drees), le creux de la vague pour l’ensemble des médecins aura lieu en 2024, et les effectifs ne reviendront à leur niveau actuel qu’à l’horizon… 2030.

En traitement d’urgence, l’Académie de médecine préconise la création d’un service citoyen médical d’un an pour tout médecin nouvellement diplômé. Le gouvernement, lui, encourage les médecins retraités à rempiler, en cumulant emploi et retraite. Primes d’installation, majoration des honoraires, augmentation du numerus apertus (qui a remplacé le fameux numerus clausus, enterré en 2021), ou encore développement des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), plus attractives pour les jeunes médecins, figurent aussi parmi les leviers.

Tout comme la généralisation de la télémédecine. Depuis la pandémie, les cabines connectées essaiment en France. Sans faire de miracle, toutefois : les téléconsultations sont retombées à moins de 10 % des consultations, et affichent leurs limites, comme un accès compliqué pour les générations âgées – le téléconsultant français a en moyenne 30 ans. Pour y remédier, le principe de la téléconsultation assistée (par un infirmier ou un aidant) fait son chemin.

Prévention : rattraper le retard

«On entre dans l’ère de la prévention», annonçait en septembre le ministre François Braun dans les pages du Journal du dimanche. Il était temps, car la France, dont le système de santé est historiquement focalisé sur le soin, accuse un retard endémique en la matière. En 2021, la Cour des comptes n’avait pas été tendre : «Les résultats obtenus sont globalement médiocres, et ce, malgré un effort financier comparable à celui des pays voisins.» Entre autres écueils, une «adhésion trop faible» aux programmes de prévention médicalisée, à l’instar des dépistages des cancers ou du diabète de type 2.

L’enjeu est immense car la prévention est le nerf d’une guerre qui s’annonce redoutable : celle contre l’épidémie des pathologies chroniques. Les cinq principales – cancers, diabète, maladies cardiovasculaires, respiratoires, psychiatriques – sont en progression. Le bilan de la Sécu dit bien leur poids : 62 % des dépenses totales (104 milliards d’euros sur un total de 168 milliards). Le retour des maladies infectieuses (anciennes ou émergentes) complète un tableau qui, en sus, change de dimension avec le vieillissement. L’Insee table sur 4 millions de seniors en perte d’autonomie en 2050.

Il y a donc fort à faire. Plus, estiment en tout cas les spécialistes, que la dernière mesure annoncée par le gouvernement : des bilans de santé gratuits à «trois âges clés de la vie, 25 ans, 45 ans et 65 ans». La priorité ? Une prévention large spectre, qui coordonne les acteurs bien au-delà du seul secteur médical : école, clubs sportifs, associations, services sociaux, collectivités territoriales, etc.

Inégalités sociales : réparer les fractures

Dans son rapport sur «L’état de santé de la population en France» paru en septembre, la Drees rappelait un constat cruel : «De la naissance aux grands âges, les problèmes de santé évoluent, les inégalités demeurent.» Les chiffres parlent d’eux-mêmes… Le risque de diabète ? Celui des 10 % les plus modestes est 2,8 fois plus élevé que celui des 10 % les plus aisés. Un risque qui est multiplié par 2,4 pour les maladies du foie ou du pancréas, par 2 pour les maladies psychiatriques, par 1,4 pour les maladies cardio-neurovasculaires. Prématurité et petits poids des bébés, obésité, tabagisme… Les inégalités sont partout et renforcées par un recours aux soins moindre : en France, être pauvre multiplie par trois le risque de renoncement.

Pour les professionnels, le défi est de renforcer une médecine dite du «aller vers» : vers les populations isolées, vers les travailleurs pauvres, vers les personnes âgées des Ehpad, etc. Concrètement, elle passe par la multiplication des équipes mobiles et de leurs moyens, à l’instar de celles de psychiatrie-précarité (EMPP). Dernière priorité, la santé dite «communautaire», une approche efficace fondée sur les besoins des patients à l’échelle d’une communauté territoriale, en mobilisant une pluralité d’acteurs : paramédicaux, médiateurs de santé, assistants sociaux.