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Séisme en Syrie : «Ceux qui n'ont pas été loyaux envers le régime seront les derniers secourus»

ENTRETIEN - Le séisme du 6 février a durement touché les Syriens déjà meurtris par dix ans de guerre civile. Pour le géographe Fabrice Balanche, l'aide humanitaire réclamée par Bachar al-Assad sera assurément bloquée par les politiques clientélistes.

Fabrice Balanche est maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2. Il est également chercheur associé au Washington Institute for Near East Policy (WINEP).

LE FIGARO. - La Syrie est frappée par un séisme au sortir de plus d'une décennie de guerre. Qui contrôle les zones touchées ?

FABRICE BALANCHE. - La région touchée par le tremblement de terre, au nord du pays, est divisée en quatre zones contrôlées par des entités différentes. D’abord la ville d’Alep et ses alentours, contrôlée par le gouvernement. Puis la région d'Idlib, aux mains du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) héritier d'Al-Qaïda. Au nord d’Alep, le long de la frontière, se trouvent les rebelles pro-turcs opposés à ceux d'Idlib. Cette zone est en fait contrôlée par la Turquie. Enfin à l’Est se trouve la zone kurde, tenue par les forces démocratiques syriennes (FDS).

C'est sans compter les fragmentations au sein même de ces zones. Les rebelles pro-turques sont divisés entre de multiples milices qui tiennent chacune leur propre canton. La ville d'Alep elle-même est divisée : le quartier kurde de Cheikh Maqsoud est par exemple sous contrôle des FDS, tout comme la périphérie nord autour de Tel Rifaat. Ces multiples fractures n'augurent rien de bon pour l'acheminement de l'aide humanitaire aux populations.

Quels sont les différents obstacles à l'intervention des ONG ?

Ce matin encore, 48 heures après le séisme, des rebelles pro-tucs ont tiré avec l'artillerie sur Tal Rifaat, l'enclave kurde au nord d'Alep. C'est dire que toute idée de cessez-le-feu et de coopération après la catastrophe naturelle est absolument impensable.

Par ailleurs, très peu d’ONG se trouvent dans la zone gouvernementale. La quasi-totalité a quitté le pays en 2011-2012, pour des questions sécuritaires, et parce que les bailleurs de fonds prédisaient la chute du gouvernement. Les expatriés travaillant pour les grandes ONG internationales, comme Médecins sans frontières ou Médecins du monde, sont basés à Antioche ou Gaziantep en Turquie, et se contentent de ce qu'on appelle des “visites flash” pour évaluer les besoins. L'aide onusienne à destination des zones rebelles transite par la Turquie, à travers le corridor de Bab al Hawa.

Or, cela pose un réel problème de redistribution. Regardez la région d'Afrin, au nord-ouest du pays. Plus de la moitié de la population kurde a été chassée en 2018 quand la Turquie en a repris le contrôle. Pensez-vous que les rebelles arabes ou pro-turcs permettront l'acheminement de l'aide humanitaire aux Kurdes encore présents ? Ces autorités qui font l'intermédiaire entre les ONG et la population civile sont de véritables prédateurs, enfermés dans une optique politico-clientéliste. Durant la guerre civile, une connaissance chez OCHA (la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, ndlr) me racontait que les rebelles indiquaient des nombres de victimes complètement délirants. C'est volontaire, pour obtenir un maximum d'aide humanitaire, et in fine faire main basse dessus.

Le risque est d'autant plus important que les rares organisations actives dans la région, telles AFAD, l'agence gouvernementale turque de gestion des catastrophes, sont rarement neutres dans le conflit.

Le gouvernement syrien a pourtant réclamé l'aide de la communauté internationale. Peut-on le croire ? N'est-ce pas une occasion pour lui de reprendre la main sur certains territoires ?

On peut craindre légitimement que Bachar el-Assad ne laisse pas beaucoup d'aide humanitaire parvenir aux zones rebelles. Son objectif reste à terme de reconquérir l'ensemble de ces territoires. Pour cela, quoi de mieux que les asphyxier ? Plusieurs ONG ont demandé des accréditations ces dernières années pour intervenir dans les zones sous contrôle de Damas, mais Bachar-el-Assad a toujours refusé, à moins d'abandonner leur action dans les zones rebelles.

Il va certainement faire en sorte que toute l'aide transite par Damas, et non plus via la Turquie - comme c'est le cas actuellement pour les zones rebelles, et montrer ainsi qu'il exerce son pouvoir régalien sur l'ensemble du territoire. Mais l'aide de Damas parviendra en priorité aux populations loyales au régime, et délaissera les autres. Or, les zones rebelles reprises en 2016 par l'armée syrienne - par exemple tout l'Est d'Alep - sont parmi les plus touchées par la guerre civile. Elles sont composées de constructions informelles, aux structures rafistolées, maintes fois ébranlées par les bombardements ou rebâties au rabais, car les constructeurs trichent notamment sur la quantité de fer qui doit être mélangée au béton pour soutenir les édifices. Tout cela s'est écroulé comme un château de cartes lors du séisme. Les populations qui en ont le plus besoin, parce qu'elles n'ont pas été loyales au régime, seront les dernières servies, c'est évident.

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Côté géopolitique, peut-on s’attendre à un rapprochement avec l’Occident ?

Pour le moment, 45 pays ont répondu à la demande d’aide de la Turquie. Pour la Syrie, il n'y en a eu qu'un seul, la Russie, suivie dans un second temps par les Émirats arabes unis. Côté français, le centre de crise du Quai d'Orsay va-t-il allouer des fonds d'urgence à la Syrie gouvernementale ? En 2017, Emmanuel Macron avait tenté de restaurer des liens avec la Syrie à travers l'aide humanitaire. Diverses associations de défense des droits de l'Homme, intellectuels ou journalistes avaient alors vivement critiqué ce qu'ils considéraient comme une réhabilitation du «boucher de Damas». Je ne pense pas que le président français souhaite une nouvelle polémique de ce type, qui plus est dans le contexte de la confrontation avec la Russie dont Bachar al-Assad est un allié fidèle.

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Pourtant, on pourrait espérer qu’un tel désastre fasse prendre conscience aux différents acteurs qu’il est urgent de trouver une issue au conflit syrien. À la veille du séisme, la situation était déjà effroyable. Tout le monde souhaite quitter le pays, le terrorisme est alimenté par cette misère et Daesh ressurgit… Il faudrait s'en préoccuper, mais je crains que les oppositions géopolitiques soient trop fortes. En pleine guerre contre la Russie, l'heure ne semble à la détente ni en Ukraine, ni au Moyen-Orient. Comme d'habitude, l’émotion internationale va durer quelque temps, puis retomber.

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