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Signalement, irresponsabilité pénale… Tout comprendre à la nouvelle loi de protection des lanceurs d’alerte

Edward Snowden, Julian Assange, Irène Frachon, Pierre Hinard, pour n’en citer que quelques-uns… Depuis des années déjà, les lanceurs d’alerte font partie intégrante du paysage, ayant révélé des scandales de grande ampleur. Pour leur donner une protection, la loi Sapin II a instauré pour la première fois, en 2016, un statut de lanceur d’alerte. Six ans plus tard, c’est cette fois-ci la loi Waserman qui est entrée en vigueur, le 1er septembre dernier. Son but : aller plus loin en transposant une directive européenne tout en gardant certains acquis de la loi Sapin II.

Pour mieux comprendre les enjeux de ce nouveau texte, Pauline Delmas, juriste à la Maison des lanceurs d’alerte (MLA) *, nous explique ce qu’il change concrètement. Promis, on va faire clair.

Fini le signalement en interne

La première chose à retenir de cette loi est la notion de pallier. Avant, avec la loi Sapin II, lorsque le lanceur d’alerte voulait signaler un dysfonctionnement, il devait respecter un processus en trois étapes. Un signalement interne - auprès d’un supérieur hiérarchique, par exemple ; puis un signalement externe (autorité administrative, judiciaire, professionnelle) ; et enfin si, trois mois plus tard, rien n’était fait, il pouvait recourir à une divulgation publique dans les médias. « La nouvelle loi permet au lanceur d’alerte de faire un signalement directement à une autorité externe. Il est beaucoup moins exposé », explique Pauline Delmas.

Exemple (fictif) avec François, 54 ans, qui travaille chez un concessionnaire auto. « Un jour, il se rend compte qu’un de ses collègues fait des pots-de-vin pour obtenir des marchés publics. Sous l’ancien droit, il devait signaler les faits au sein de son entreprise. Manque de bol, son supérieur est très ami avec ce fameux collègue… François, consciencieux, signale tout de même les pots-de-vin. Mais ça ne passe pas auprès de son supérieur, qui le traite de ''délateur''. François est sanctionné, puis licencié. » Avec la loi Waserman, plus besoin donc de faire remonter les faits en interne.

Avec le nouveau droit, Antoine Deltour n’aurait pas été inquiété

Autre changement : le mécanisme de provision. François toujours, notre lanceur d’alerte fictif, mis à pied, se lance dans un combat judiciaire. Mais au bout de six mois de procédure, il commence à peiner financièrement. Pour rétablir un semblant d’équilibre, la nouvelle loi propose une provision pour frais. Le lanceur d’alerte peut demander au juge que la partie adverse - dans le cas de François, son supérieur - lui paye ses frais de justice avant que le procès ne soit tranché. Et s’il perd son procès, il peut tout de même garder cette provision.

Pauline Delmas évoque un autre point important : l’immunité pénale complète. « Sous la loi Sapin II, un lanceur d’alerte qui avait gardé des documents pour prouver des dysfonctionnements dans son entreprise pouvait être attaqué par son employeur pour vol et recel. Il n’était pas protégé sur la manière dont il avait obtenu les preuves. » La juriste évoque ainsi le cas d’Antoine Deltour, à l’origine des LuxLeaks. « Il travaillait comme auditeur dans le cabinet PricewaterhouseCoopers, au Luxembourg. Il a constaté qu’il y avait beaucoup d’optimisation fiscale, et a donc utilisé des documents internes pour le prouver. Des documents qu’il a gardés, même après son licenciement. » Son employeur l’a poursuivi pour vol et recel. Avec le nouveau droit, Antoine Deltour n’aurait pas été inquiété, « tant que les moyens pour obtenir les informations sont licites ». Ce qui était le cas.

Quelques « trous dans la raquette »

Si la loi Waserman apporte donc une meilleure protection, la Maison des lanceurs d’alerte remarque quelques « trous dans la raquette ».

Le premier concerne les facilitateurs, soit toute personne physique ou morale qui vient en aide au lanceur dans son processus de signalement. Enfin reconnus, ils peuvent aussi bénéficier de certaines protections, notamment la provision évoquée plus haut. Mais là où le droit pêche, selon la juriste, c’est que « contrairement aux journalistes, les facilitateurs ne bénéficient pas du secret des sources ». Ils sont donc obligés de dévoiler l’identité du lanceur s’ils portent plainte pour lui et que son nom est réclamé. « Il n’est pas impossible que demain, une plainte en diffamation soit déposée contre une association ou un syndicat pour leur rôle de facilitateur… », regrette par ailleurs Pauline Delmas. 

Autre limite, la question financière. Lorsque le lanceur fait son parcours d’alerte, il a souvent perdu son travail et doit payer un avocat. Pour la juriste, si la provision pour frais est une bonne chose, elle aurait aimé « un fonds dédié aux lanceurs tout au long de leur parcours (…), pour les aider à survivre », et non à la fin.

Enfin, la MLA note que les sanctions envers un employeur qui licencie un salarié parce qu’il est lanceur d’alerte sont faibles. Il peut se retrouver aux prud’hommes et écoper d’une amende civile de 60.000 euros. Et, selon Pauline Delmas, « il n’existe pas de sanctions pénales et (…) l’amende peut être très peu conséquente selon les moyens de l’entreprise ». Au final, ces mesures sont « curatives » et non « préventives », comme le fait remarquer Pauline Delmas. Ce qui peut décourager certains, « alors qu’ils lancent une alerte pour l’intérêt général ».