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Sous pression, l’Allemagne accepte que l’hydrogène « vert » soit issu du nucléaire

Les lignes bougent sur l'hydrogène, ce vecteur énergétique considéré comme crucial par l'Europe pour atteindre ses objectifs climatiques. Et pour cause, la France est en passe de remporter une bataille juridique majeure sur le sujet, après des mois de lobbying intense notamment auprès de l'Allemagne, jusqu'ici très opposée à la vision de l'Hexagone.

En effet, l'hydrogène « durable », qui sera arrosé de subventions afin de remplacer le gaz fossile, devrait bientôt pouvoir être issu de l'électricité d'origine nucléaire, et plus seulement renouvelable, en raison de la très faible empreinte carbone de l'atome. C'est en tout cas ce qui ressort de la « déclaration de solidarité énergétique » signée vendredi entre la France et l'Allemagne, malgré l'hostilité de cette dernière au nucléaire depuis l'accident de Fukushima en 2011. Alors que l'objectif premier de ce partenariat était de « sécuriser » les échanges d'énergie entre les deux pays lors de la crise, on y trouve en effet un paragraphe sur l'hydrogène, selon lequel chacun « s'engage à respecter les choix technologiques de chaque pays en matière de mix électrique », au vu du « rôle important » de ce vecteur « pour atteindre la neutralité climatique ».

Après des années de litige sur le sujet, Berlin et Paris affirment ainsi qu'ils « trouveront une solution sur la manière de refléter cette compréhension commune dans les dossiers législatifs actuels, y compris dans le paquet gaz ».

Il n'en a pas fallu plus pour que la présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne saisisse l'occasion pour clore le débat, et ajoute ce principe à la directive clé sur le gaz, vendredi après-midi. Résultat : si le texte était voté en tant que tel, l'énergie atomique servirait à produire le précieux hydrogène étiqueté « vert » en Europe, qui devra atteindre 50% de l'hydrogène consommé dans l'industrie en 2030, puis 70% en 2035.

Une aubaine pour l'Hexagone, au moment où le gouvernement entend renouveler le parc électronucléaire. Mais aussi pour de nombreux industriels de l'hydrogène, de l'atome, de la chimie ou encore de la sidérurgie, lesquels ont d'ailleurs envoyé lundi après-midi une lettre ouverte pour soutenir cette proposition. « Nous saluons chaleureusement cette inclusion et appelons maintenant les États membres à l'adopter [...] Le défi est trop important, et les systèmes énergétiques au sein de l'UE sont trop diversifiés pour s'appuyer sur une source d'énergie primaire unique, en l'occurrence les énergies renouvelables », peut-on lire dans le courrier, signé entre autres par EUROFER, France Hydrogène, Nuclear Europe, le CEA, EDF, Arcelor Mittal, Vicat, McPhy, Haffner Energy, la SFEN ou encore Air Liquide.

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Disposer d'un surplus d'électricité décarboné

Afin de comprendre pourquoi le vent semble tourner en leur faveur, malgré l'opposition forte de Berlin jusqu'ici, il faut s'intéresser à la manière dont l'hydrogène est produit. Aujourd'hui, presque 96% de celui généré en Europe provient directement des combustibles fossiles, via le vaporeformage de la molécule de méthane (CH4) présente dans le gaz, ce qui émet 9 à 10 kg de CO2 par kilogramme d'hydrogène.

Pour créer une version « durable », il faut donc s'y prendre autrement : casser une molécule d'eau (H2O) par un procédé appelé électrolyse, c'est-à-dire séparer l'atome O des deux atomes H grâce à un courant électrique. Mettre au point de l'hydrogène bas carbone suppose donc de disposer d'un surplus d'électricité elle-même bas carbone, de manière à la transformer en gaz plutôt que de l'utiliser directement.

Ce qui déterminera si l'opération pourra être labellisée « propre » ou non sera donc l'origine de l'électron utilisé. S'il est issu de centrales à charbon ou au gaz, l'hydrogène sera « gris ». Mais s'il trouve sa provenance dans des installations éoliennes, solaires ou hydrauliques, celui-ci sera « vert ». Reste donc à trancher la question du courant résultant de la fission nucléaire, que la directive gaz, qui sera votée cet hiver, préconise donc désormais d'ajouter à la liste.

Les électrolyseurs supportent mal l'intermittence

Il faut dire que l'atome présente un avantage de taille par rapport aux éoliennes et autres panneaux solaires : en-dehors des périodes de maintenance des réacteurs, il fournit une source d'énergie constante et stable au réseau électrique. Ainsi, le facteur de charge du nucléaire, c'est-à-dire le temps pendant lequel l'installation fournit du courant au réseau, s'élève à 75% en moyenne en France (même s'il devrait être plus bas cette année, contre environ 15% pour le solaire, 22% pour l'éolien terrestre et 38% pour l'éolien en mer.

Or, le point clé pour rendre la filière de l'hydrogène bas carbone rentable par rapport à son homologue « gris » (ou à celui produit à l'étranger), consiste à utiliser de l'électricité très abondante et stable, selon l'industrie. De fait, la production d'hydrogène s'avère moins chère lorsque l'alimentation électrique est continue (seuil minimal de 5.000 heures par an, et optimal jusqu'à 8.000 h/an). C'est pour cette raison que, même en Allemagne, les énergies renouvelables intermittentes ne suffiront pas à générer suffisamment d'hydrogène à tout moment, alors que l'objectif est d'arriver à 10 millions de tonnes annuelles d'ici à 2030.

Conscients de cette lacune, les eurodéputés ont d'ailleurs voté mi-septembre pour que l'H2 produit à partir d'électricité d'origine fossile puisse être considéré comme « renouvelable »... à condition qu'une éolienne ou un panneau solaire ait produit une quantité équivalente de courant quelque part en Europe lors des trois derniers mois. Un tour de passe-passe législatif permettant au « gris » de devenir « vert », en s'exonérant des réalités physiques.

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400 nouveaux réacteurs nucléaires dans le monde

L'intégration du nucléaire à la liste des intrants « verts » de l'hydrogène, aux côtés des énergies renouvelables, devrait donc tout changer, puisque l'intermittence serait moins considérable. Avec ses 56 réacteurs nucléaires, l'Hexagone serait capable de « produire de l'hydrogène beaucoup plus massivement », de manière à « construire la souveraineté » énergétique du pays, avait même assuré Emmanuel Macron en fin d'année dernière.

Le revirement de Berlin pourrait aussi avoir un lien avec le compromis arraché à la France sur le projet de gazoduc BarMar (ex-Midcat), destiné à acheminer du gaz à l'Allemagne depuis la péninsule ibérique en passant par l'Hexagone. Longtemps refusé par Emmanuel Macron, le chef de l'Etat a en effet fini par accepter ce futur pipeline fin octobre, sous prétexte qu'il transportera de l'hydrogène dans le futur. Alors que l'exécutif tricolore n'était pas convaincu par cet argument, l'accord sur l'hydrogène d'origine nucléaire pourrait avoir été négocié en échange, tant le gouvernement français tient à une production locale de son hydrogène, contrairement aux velléités allemandes, espagnoles ou portugaises.

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Reste que, selon le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, voulue par Emmanuel Macron, ne suffira pas, si la France souhaite produire de l'hydrogène décarboné sur son territoire. « Ce n'est pas nos 6 réacteurs ou 10 réacteurs qu'il faut faire si on a l'ambition de faire de l'hydrogène décarboné en France, il faut en faire 15 ou 20 », a-t-il lancé mercredi devant les députés de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Pour produire suffisamment d'hydrogène localement, il faudrait « ajouter 50% de capacités [électriques, Ndlr] de plus, d'après les calculs qu'on a faits, à l'horizon 2050. C'est énorme », a-t-il même affirmé.

« Perspective chimérique »

Le sujet a d'ailleurs déjà fait l'objet d'un rapport de l'Office parlementaire français d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), en mai 2021, lequel révèle que la production d'hydrogène pour la seule France nécessiterait « l'équivalent de 4 centrales nucléaires dédiées ». Et à l'échelle mondiale, « la voie vers un hydrogène bas carbone issu de l'électricité nucléaire représenterait 400 nouveaux réacteurs nucléaires », indiquent les auteurs du rapport.

A l'heure où la part du nucléaire dans le mix électrique global s'inscrit plutôt dans une tendance baissière, et alors que les réacteurs en projet ne devraient pas voir le jour avant de longues années, il s'agit d'une « perspective chimérique », ajoutent-ils.

Néanmoins, ces chiffres inatteignables « doivent être confrontés au nombre d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques que pourrait représenter » le passage à l'hydrogène 100% renouvelable, souligne l'OPECST. Car, selon l'organe parlementaire, la couverture des besoins actuels de l'industrie au niveau mondial, c'est-à-dire 70 millions de tonnes d'hydrogène renouvelable (soit 420 GW), « conduirait à la mise en service de plus de 1 million de nouvelles éoliennes, ou 5 à 6 millions d'hectares de panneaux photovoltaïques » dédiés. Des ordres de grandeur qui, là encore, paraissent hors de portée.

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