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« Star Academy » : pourquoi l’émission fait un retour triomphal

Après plus de dix ans d’absence, la télé-réalité musicale est revenue sur TF1 à la mi-octobre pour une dixième saison, qui prend fin samedi. Le succès de l’émission, qui enregistre de fortes audiences, est porté par une vague de nostalgie, son identité à part et son adaptation aux nouvelles attentes du public.

A l’heure de la fin de l’aventure Plus belle la vie, on croyait avoir enterré définitivement les programmes-phares des années 2000. C’était compter sans la « Star Academy », qui a fait son grand retour sur TF1 une décennie après avoir disparu du petit écran, et qui prend fin samedi 26 novembre.

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Pour cette dixième saison, l’émission musicale a accueilli treize jeunes candidats au château historique de Dammarie-lès-Lys, pour six semaines de compétition, contre quinze précédemment. Alors qu’elle se termine samedi par une finale où s’affronteront les « académiciens » Louis, Enola, Léa et Anisha, elle a rencontré au fil des semaines un fort succès auprès du public, rassemblant en moyenne 1,9 million de téléspectateurs chaque soir entre 17 h 30 et 18 h 30, et 4,2 millions lors des heures de grande écoute hebdomadaires.

Le Monde s’est penché sur les raisons du succès de ce come-back télévisuel.

Doux parfum de nostalgie et attrait d’un nouveau public

Le renouveau de la « Star Academy » surfe d’abord sur un doux parfum de nostalgie, répondant à la fois à une attente du public et à un effet de mode, sur lesquels ont capitalisé la chaîne et la production. Les fans de la première heure ne se sont, en effet, jamais remis de l’arrêt de la diffusion du télécrochet en 2009 par TF1, en raison d’audiences en constante dégringolade, ni de sa relance ratée sur NRJ12 en 2012-2013.

Selon la sociologue des médias Nathalie Nadaud-Albertini, une spécialiste des programmes de télé-réalité, cette attente d’un retour de l’émission a été ravivée lors des confinements, avec la « remise en ligne des précédentes saisons et la circulation d’extraits sur les réseaux sociaux », qui ont permis, selon elle, « d’attiser les souvenirs des fans et de faire connaître l’émission à un plus jeune public ».

Chez TF1, le déclic est arrivé un peu plus tard. « On a été convaincu de sauter le pas après avoir observé le succès de quatre soirées spéciales que nous avons consacrées aux vingt ans de la “Star Academy” durant l’année 2021. Ce qui nous a surpris, c’est de voir qu’on attirait non seulement les nostalgiques, mais aussi un public plus jeune qui n’était pas né au lancement de l’émission », souligne Rémi Faure, directeur des programmes de flux du groupe.

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Du château historique au décor étoilé du plateau, en passant par le retour de l’animateur Nikos Aliagas pour présenter aux heures de grande écoute, la chaîne et les producteurs ont choisi de reprendre à la lettre le concept et les codes esthétiques de l’émission, pour être certains d’en ranimer l’âme originelle. Rien n’était pourtant gagné d’avance, note Nathalie Nadaud-Albertini :

« Il fallait que l’on perçoive la filiation avec les précédentes saisons, sans que le public ait une impression de déjà-vu. Les nouveaux professeurs devaient réussir à remplacer des enseignants mythiques (Armande Altaï, Kamel Ouali… ), et les académiciens, à exister à côté du souvenir d’anciens élèves, comme Jenifer, Grégory Lemarchal ou Nolwenn Leroy. »

Le pari de rassembler les publics autour d’une émission intergénérationnelle semble réussi au regard des audiences : TF1 se targue d’avoir rassemblé « en moyenne 41 % des 4-14 ans, 48 % des 15-34 ans et 42 % des femmes de moins de 50 ans » lors des cinq premiers « prime times ».

Une télé-réalité qui transmet des valeurs

A ce lien établi entre générations s’ajoutent le succès rencontré au cours des dernières années par les nouvelles émissions de variété, à l’image de « The Voice », et la banalisation de la télé-réalité.

La chaîne et les producteurs de l’émission (Endemol et DMLS TV) ont capitalisé sur l’identité singulière de la « Star Ac’ », à la croisée de ces deux types de programmes, pour occuper un créneau à part à la télévision française. « L’émission est centrée autour des valeurs d’abnégation et de travail, propices au développement artistique. Il y a chez les téléspectateurs la volonté de voir progresser les élèves et de les récompenser en fonction de leurs efforts », analyse Nathalie Nadaud-Albertini.

Les sociologues François de Singly et Pascal Duret notaient déjà cette singularité du programme en 2003. Selon eux, cette école, dont le but est de transformer des talents bruts en artistes, est une « cousine de l’institution scolaire », fonctionnant sur un processus d’apprentissage intensif. Outre le cadre contraignant (cours, emploi du temps et évaluations régulières), les professeurs y jouent un rôle central d’initiation.

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C’est précisément parce que « la notoriété rencontrée par les candidats de la “Star Ac'” est présentée comme résultant du talent et de l’effort qu’elle apparaît comme plus légitime que celle de candidats d’autres émissions », explique le socio-anthropologue Gabriel Segré, qui a travaillé sur la réception des émissions de télé-réalité. En ce sens, la « Star Academy » est perçue comme un programme moins clivant et plus acceptable socialement.

Moins de compétition entre élèves, plus de « bienveillance »

La dernière saison vient ainsi répondre à de nouvelles attentes du public sur le fond et la forme, comme l’atteste Rémi Faure :

« La télé-réalité telle qu’on la connaît aujourd’hui était pour nous un antimodèle, et la bienveillance, une condition sine qua non. Le but de ce programme est d’être inspirant et d’être dans une écoute conjointe du public. On a donc choisi une écriture plus lente et authentique et décidé de consacrer 95 % de la quotidienne à l’apprentissage des élèves : suivi des cours, retours sur les prestations, rencontres… »

Selon Nathalie Nadaud-Albertini, cette orientation se traduit par l’absence de dispute ou de conflit entre candidats – qui fait dire à certains que le programme est ennuyeux – et par la mise en valeur des amitiés entre élèves. « Le casting et la mise en scène mettent davantage l’accent sur la coexistence de personnalités et de qualités artistiques différentes entre élèves. On voit ainsi s’effacer une culture plus compétitive, qui pouvait exister lors des premières saisons », ajoute-t-elle.

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Dans son effort pour épouser l’époque et un public plus jeune, la « Star Academy » 2022 rend également visible pour la première fois la fluidité des identités de genre, à travers l’expression de parcours personnels et l’enseignement de nouvelles disciplines au château. Des cours de danse en talons donnés par le professeur Yanis Marshall, star de cette discipline, ont vu le jour, tout comme des cours de voguing, une pratique née dans les clubs LGBT + de New York.

Si les fans ne manquent pas de souligner aussi les imperfections de cette dernière saison, à l’image des problèmes de micro rencontrés lors de chaque « prime » ou du trop faible nombre d’artistes internationaux présents lors des heures de grande écoute, et font part de leur déception de voir la compétition ne s’étaler que sur six semaines (en raison de la Coupe du monde), leur attente d’une onzième saison semble très forte. Face au succès rencontré par la « Star Academy » lors de ce retour, difficile de voir ce qui l’empêcherait de voir le jour.

Marie Pouzadoux