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«Tant que le soleil frappe», «Le Retour des hirondelles», « La Grande Magie», éclats du vivant

Temps de lecture: 9 min

Avec les congés scolaires en ligne de mire, ce sont pas moins de dix-sept nouveautés (et une flopée de reprises) qui arrivent sur les écrans ce mercredi 8 février. Parmi les nouveaux films, on dénombre au moins trois propositions singulières et qui méritent une attention dont on peut craindre qu'elles ne bénéficient pas, au milieu d'une pléthore de longs-métrages qui engendre plus de confusion que de désir.

Trois «petites musiques», absolument différentes les unes des autres, auxquelles il y a lieu de prêter l'oreille au sein de la cacophonie ambiante pour y découvrir à chaque fois un plaisir inattendu. Français ou chinois, ces films n'ont pas grand-chose en commun, et y chercher des ressemblances serait un exercice forçant le sens du hasard de leur date de distribution commune.

Il n'empêche: chacun à leur façon, ils témoignent des multiples manières dont le cinéma peut être travaillé de l'intérieur, pour le meilleur, par ses relations au vivant, tout le vivant –humain et non-humain. Et en tirer de multiples avantages.

«Tant que le soleil frappe», de Philippe Petit

La belle évidence qui s'impose d'emblée dans le premier long-métrage de fiction de Philippe Petit ne cessera de se révéler féconde tout au long du film. Mettre aussi explicitement un espace public –un terrain vague pourri en plein Marseille que les riverains veulent transformer en jardin– au cœur d'une mise en scène et d'un récit –mais surtout d'une mise en scène– est une très belle idée de cinéma, riche de rapports à l'espace et au temps, de conflits et de questions.

Ce jardin n'est pas le sujet du film, qui raconte l'histoire de Max, paysagiste accroché à ce projet et qui va rencontrer bien d'autres péripéties, émotionnelles, affectives, professionnelles et politiques. Mais l'idée de départ est toujours là, elle hante le film comme elle obsède son personnage principal. Et c'est, de façon tellement plus créative, quelque chose qui, comme un souffle, traverse la succession des séquences, tandis que s'organise la mise en place des rencontres, des défis, des stratégies, des trahisons.

Avec les édiles locaux, avec un architecte en vue, avec ses collègues du service des jardins de la ville, avec sa femme et sa fille aussi, avec les habitants du quartier de la porte d'Aix comme avec le footballeur vedette Djibril Cissé dans son propre rôle, ce sont des rapports toujours en mouvement qui ne cessent de s'activer, et qui donnent sa dynamique au film.

Jouant à la fois des codes du film de genre (film noir et western) et d'une étrangeté proche d'un fantastique teinté d'onirisme, Tant que le soleil frappe respire. Il le doit en grande partie à cette présence si particulière, et qui ne cesse de faire résonner les plans où il apparaît, de Swann Arlaud, depuis sa découverte dans Ni le ciel ni la terre (2015), sa reconnaissance dans Petit Paysan (2017) et récemment l'extraordinaire accomplissement qu'était son rôle dans Vous ne désirez que moi (2022).

À eux seuls, ces trois titres disent la diversité non seulement des personnages mais des approches, des rapports au monde qui habitent ce comédien étonnant, chez qui vibre une lumière enfantine, mais où se perçoivent à la fois une tension physique et une profondeur réflexive, un charme et une inquiétude qui peuvent à leur tour devenir inquiétants.

Ce que fait l'acteur dans ce film est décisif pour garder constamment ouvertes les possibilités, les échappées, au sein d'un scénario qui mobilisent tout en même temps des codes dramatiques connus, volontairement prévisibles.

La femme de Max (Sarah Adler) pourra-t-elle convaincre celui-ci (Swann Arlaud) des risques que son projet fait courir à sa famille comme à sa carrière? Et le veut-elle vraiment? | Pyramide Distribution

Cette dynamique dialogue de manière très suggestive avec celle, rare au cinéma, des possibilités narratives et imaginatives d'espaces aménagés, en l'occurrence les jardins imaginés par Max, pour le quartier déshérité comme pour la villa de luxe.

La plus belle réussite du film tient peut-être à la façon dont, sans y insister, il rend perceptible ce qui se propose, au présent et au futur, dans une organisation des parcelles, le choix des végétaux, la pensée des jeux de lumière et d'ombre, de couleurs et de rythmes. En filigrane, une belle suggestion du cinéma comme art du vivant.

Tant que le soleil frappe

de Philippe Petit

avec Swann Arlaud, Sarah Adler, Grégoire Oestermann

Séances

Durée: 1h25

Sortie le 8 février 2023

«Le Retour des hirondelles», de Li Ruijun

Il est d'abord plutôt mystérieux, le processus qui suscite intérêt, empathie, curiosité, envers les êtres et les situations qui apparaissent sur l'écran. De ce paysan chinois à la vie misérable, malmené et méprisé par ses proches, de cette femme victime de handicaps et de violences, de la manière dont leurs familles leur imposent un mariage dicté par l'avidité égoïste, puis de l'existence quotidienne de ce couple, rien a priori ne concerne un spectateur d'ici et maintenant.

Il sera d'autant plus beau et émouvant, le parcours qui inscrit du même mouvement obstiné ce récit dans l'universel des contes fondateurs et dans le réalisme matériel des travaux et des jours d'un homme et d'une femme, qui deviennent pas à pas plus familiers, plus proches, plus réels.

Le Retour des hirondelles est un drame aux multiples péripéties, avec moments lyriques, coups du sort, éclats de violence et instants de tendresse. Mais si son déroulement est loin d'être uniforme ou minimaliste, c'est pourtant bien sa manière d'accompagner des gestes, des durées, des textures, qui le rend si beau et touchant.

Le sixième film de Li Ruijun est d'abord et surtout une expérience qui se nourrit des sensations, du sentiment de la présence de la terre et du vent, du chaud et du froid, des temporalités du jour et de la nuit, du passage des saisons… Ainsi, l'histoire de la relation particulière qui se développe entre les deux déshérités unis par des forces qui les dominent mais ne peuvent les écraser, et de leurs multiples combats menés avec leurs armes à eux, devient cette épopée modeste et matérialiste, portée par un souffle d'une ampleur inattendue.

Le film se passe dans la Chine actuelle, pays désormais perçu, par lui-même et par le monde, comme une nation hyper-industrielle, définie par ses titanesques mutations urbaines et technologiques. La manière dont est ici rappelé, à mi-voix, que quelque 600 millions d'êtres humains peuplent toujours ses campagnes, souvent avec des modes de vie archaïques, relativise ce que le film pourrait avoir d'intemporel ou d'exotique.

Témoins de cette actualité, parmi les multiples obstacles qui se dressent devant le «cadet Ma» et sa femme Guiying, les aménagements du territoire décidés par la bureaucratie et la spéculation foncière ne sont pas moins menaçants que les intempéries ou les traditions inégalitaires.

Le Retour des hirondelles est un film paysan, pas seulement par ses personnages et le milieu où il se situe, mais par sa réalisation. Il semble que la caméra et le montage épousent le rythme des processus naturels, se modèlent sur le passage des nuages et la pousse des récoltes, dialoguent avec le poids des choses et les lois de la nature.

Le Cadet Ma (Wu Renlin) et sa femme Guiyin (Hai Qing), couple qui invente sa propre intimité au cœur des difficultés. | ARP

Récit d'un combat sur plusieurs années et aussi très belle histoire d'amour, œuvre en apparence paisible et hantée d'une immense violence comme d'une infinie tendresse, cette réalisation sans artifice spectaculaire se révèle d'une improbable intensité. Elle trouve même des voies singulières pour suggérer une intimité en ne montrant que des gestes minimes, qui donnent aux brefs et très chastes contacts des corps une sensualité inattendue, moins naïve qu'il n'y paraît.

Aussi étrange que cela puisse paraître, cet éloge pudique de la ténacité des humbles, qui aurait pu jadis entrer en résonance avec les proclamations du régime chinois, a fait l'objet d'une interdiction par la censure. Elle ne lui pardonnait pas de montrer un état des existences dans les campagnes en effet bien éloigné de la propagande.

Le Retour des hirondelles a finalement pu être distribué en Chine, obtenant un succès inattendu, mais non sans qu'une fin différente ne lui ait été imposée –celle qui figure aussi dans la version qui sort en France. Pourtant, si l'épilogue était à l'origine encore plus sombre, cette détestable altération sous la pression des censeurs n'enlève finalement pas grand-chose à ce qu'a su activer tout le déroulement du film. Une ultime et modeste victoire de plus.

Le Retour des hirondelles

de Li Ruijun

avec Wu Renlin, Hai Qing

Séances

Durée: 2h13

Sortie le 8 février 2023

«La Grande Magie», de Noémie Lvovsky

Un concours de circonstances veut que la sortie de la nouvelle réalisation de Noémie Lvovsky succède d'une semaine seulement celle du beau film de M. Night Shyamalan Knock at the Cabin. L'un et l'autre tournent autour du même enjeu et sont remarquables par tout ce qui les différencie, voire les oppose.

Leur enjeu commun concerne ce qu'en première approximation on appellera «la croyance». Et ils s'accordent pour accorder à ce phénomène, au-delà de son opacité et de ses multiples modalités, une importance vitale. Peu importe ici que dans le film américain l'enjeu soit formulé, de manière à peine ironique, en regard du sort de l'humanité toute entière, voire de toute vie à la surface de la planète, tandis que dans le film français elle paraît ne concerner que la vie d'un seul homme, désespéré par le départ de son épouse.

Dans les deux cas, la capacité à entrer sans réserve dans une histoire, dans une narration, engage absolument, et mobilise, ici sur un mode tragique, là de manière burlesque, la totalité des affects, des capacités de comprendre sa place dans la réalité. Et dans les deux cas, la dimension de conte rend bien clair que cela vaut pour tout le monde, sous les formes conventionnelles mobilisées par chaque cinéaste pour mettre en forme la parabole.

L'un et l'autre film se construisent dans la référence décalée à un genre cinématographique très codé, film d'horreur ou comédie musicale, dont les codes sont même volontairement outrés pour indiquer qu'il ne s'agit en aucun cas d'en rester au pur effet de spectacle, horrifique ou ludique, auquel renvoie d'ordinaire ledit genre.

Mais là où M. Night Shyamalan déploie, en filiation directe avec le meilleur de son œuvre depuis Sixième Sens, les puissances d'incertitudes toujours à réinterroger dans un monde qui ne saurait être réduit à la simple opposition entre réalité et illusion, Noémie Lvovsky adopte résolument le parti du faux, du jeu, des illusions comme ressources salvatrices.

C'est la limite de ce projet qui ne laisse aucune place aux demi-teintes ni aux ambigüités. Avec, en contrepartie, l'enthousiasme avec lequel la réalisatrice se lance dans cette aventure qui emprunte autant aux schémas du cinéma classique (réalisme magique à la française, classiques hollywoodiens) qu'aux arts de la scène et des tréteaux.

La Grande Magie est une adaptation d'une pièce de théâtre du dramaturge et réalisateur italien Eduardo De Filippo. Il convoque aussi des références du côté de Jacques Prévert, qui croyait beaucoup aux puissances de dévoilement du spectacle –plus encore qu'aux Visiteurs du soir ou aux Enfants du paradis, on pense en particulier au Tableau des merveilles, qui était habité de forces autrement en prise avec les complexités et les violences du contemporain. La reprise d'une chanson de Prévert par les excellents Feu! Chatterton au générique de fin confirme la proximité et la distance.

Charles, le mari entré sans retour dans l'illusion (Denis Podalydès), entouré du magicien (Sergi López) et du serviteur (François Morel), chacun dans un rôle ambivalent de manipulation et de connivence. | Ad Vitam

Avec archaïsmes volontaires et clins d'œil au cinéma primitif, cette fable chantante et dansante située dans des années 1920 d'opérette semble être une sorte de brasier d'abord allumé de manière laborieuse, autour de figures comme découpées dans du carton: le mari jaloux, le magicien rusé, le patron d'hôtel furibard, les tourtereaux romantiques… Il réussit finalement à s'embraser, grâce à un combustible plein de lumière et de chaleur.

Celui-ci n'est autre que la très réjouissante troupe d'acteurs et d'actrices mobilisée pour jouer ce qui sera successivement un marivaudage dans un hôtel de luxe, un spectacle de prestidigitation à l'issue imprévue et, troisième acte, la négociation collective et farfelue autour de la volonté de croire au-delà de tout. Au caractère simplifié des protagonistes et du thème général, s'opposent l'énergie et le charme des interprètes, s'amusant explicitement à parcourir de multiples registres en sautillant sans cesse entre masque et intériorité, surface et profondeur.

Ces acteurs et actrices, il serait aussi vain de les mettre en compétition que de seulement énumérer le générique. L'important –vraiment important– concerne cette générosité communicative du jeu lui-même. Comme une flamme ou comme une sève, il fait monter de scène en scène une sorte d'euphorie où rôdent un trouble, et des ombres. Le mieux de ce qui pouvait lui arriver.

Les critiques cinéma de Jean-Michel Frodon sont à retrouver dans l'émission «Affinités culturelles» de Tewfik Hakem, le dimanche de 15h à 16h sur France Culture.

La Grande Magie

de Noémie Lvovsky

avec Denis Podalydès, Sergi López, Judith Chemla, Rebecca Marder, François Morel, Noémie Lvovsky, Damien Bonnard, Paolo Mattei

Séances

Durée: 1h50

Sortie le 8 février 2023