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Terrorisme : « J’exposerai les stratagèmes de Daesh jusqu’à ma mort », confie le journaliste syrien Hussam Hammoud

Il a risqué sa vie et celle de sa famille pour informer les Français de la situation en Syrie. Hussam Hammoud, journaliste syrien, est aujourd’hui réfugié en Turquie. Un pays où il n’est pas en sécurité, menacé de mort par des réseaux proches de l’Etat islamique, et sans aucune protection d’Ankara. Il risque, en outre, d’être expulsé vers son pays d’origine, comme d’autres Syriens qui ont trouvé refuge de l’autre côté de la frontière. Il travaille depuis des années pour des médias francophones et anglophones, notamment Radio France, Mediapart, Le Monde, France 24, BFMTV, The Guardian ou la BBC. Pourtant, sa demande de visa humanitaire, afin de pouvoir demander l’asile, a été refusée par les autorités françaises le 5 septembre dernier.

Sous la pression médiatique, dont une tribune signée dans différents journaux, les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur ont accepté d’étudier à nouveau sa demande. Le cas de Hussam Hammoud fait l’objet d’une audience en référé ce mercredi 5 octobre au tribunal administratif de Nantes. Jour par ailleurs de la sortie de son enquête co-signée avec la journaliste française Céline Martelet L’asphyxie, Raqqa, chronique d’une apocalypse, aux éditions Denoël. Ce journaliste a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes.

Pourquoi avez-vous choisi la France pour cette demande de visa humanitaire ?

J’ai choisi la France parce que je travaille dans des agences de médias françaises depuis 2018 et que je connais de nombreux collègues et amis journalistes en France. Je crois que j’ai même commencé ma carrière en France avant d’y venir. Il serait difficile pour moi de travailler dans un autre pays et dans une autre langue, je devrais repartir une nouvelle fois à zéro.

L’autre raison, c’est la nature des sujets sur lesquels je travaille. La plupart consistent à exposer les plans de l’organisation terroriste Etat islamique, ce qui m’a permis de trouver un public vraiment intéressé en France, un pays qui a subi des attaques de ce groupe terroriste. À mon avis, les Français comprennent le danger de l’EI en tant qu’ennemi commun, plus que d’autres nations qui n’ont pas directement souffert du terrorisme.

Quelle a été votre réaction lorsque les autorités françaises ont refusé votre demande de visa le 5 septembre ?

Je n’arrivais pas à y croire pendant plusieurs jours, c’est la dernière chose à laquelle je m’attendais. Ce visa, c’est l’achèvement d’une vie que j’ai déjà commencé en France.

Pourquoi est-il impossible pour vous de rester en Turquie ?

La Turquie est un pays crucial pour travailler sur les sujets du Moyen-Orient. Surtout lorsque l’on veut travailler en profondeur. Mais la Turquie n’est pas un pays sûr pour les journalistes, il y a de nombreux assassinats, de nombreuses attaques, qui visent journalistes et activistes, en particulier ceux qui ont travaillé contre Daesh entre 2015 et 2016. Nous avons perdu de nombreux amis ici.

Quelles sont les menaces qui vous visent aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les principales menaces qui me visent proviennent de personnes qui ont encore des liens avec l’EI, notamment dans les milieux proches du système financier de l’organisation. Ces menaces ont commencé à apparaître quand j’ai réalisé quelques interviews pour un projet sur lequel je travaille en ce moment, et qui sera bientôt en ligne. Cette publication et l’impact qu’aura ce travail augmentent la menace qui pèse à mon encontre.

Qu’attendez-vous de l’audience de demain ?

J’ai confiance dans les personnes qui me représenteront au tribunal, j’ai confiance dans le fait que tous ces efforts, ces soutiens ne seront pas vains. Ce serait regrettable que tout cela a été fait pour rien.

Votre travail en Syrie sur l’État islamique a été précieux dans la lutte contre le groupe terroriste… Le jeu en valait-il la chandelle ?

Cela vaut la peine de combattre ce groupe terroriste et notamment avec l’arme la plus susceptible de lui nuire, à savoir l’information. Nous sommes totalement conscients qu’ils sont ravis si nous parlons de la terreur qu’il sème, de leurs horribles exactions, mais ce qui les dérange le plus, c’est la révélation de leurs projets cachés. Donc faire la lumière et détruire leurs plans en avertissant le monde de la façon dont ils vont s’y prendre, a une grande valeur pour moi.

Vous avez même aidé la justice française en lui donnant des documents trouvés dans les décombres de Raqqa….

En effet, nous avons trouvé, avec Céline Martelet et Edith Bouvier [journaliste française indépendante] des documents sensibles, grâce à nos réseaux de personnes de confiance, des civils, qui vivaient dans les mêmes rues que le groupe terroriste et observaient tout. Ces documents offrent des explications précieuses sur la façon dont l’EI a utilisé l’argent, pourquoi et combien. Au moment où nous les avons trouvés, nous avons pris la décision de les envoyer à la justice française, craignant que des pièces à conviction aussi importantes soient perdues ou détruites plus tard par l’Etat islamique si elles restaient en Syrie.

Ce mercredi est aussi un grand jour pour vous car votre livre enquête co-écrit avec Céline Martelet sortira en librairie en France…

Céline Martelet et moi avons partagé une même tragédie, la violence de Daesh, de Raqqa à la France. On considère également que les médias se sont trop focalisés sur les crimes commis et la traque des criminels. Nous avons donc décidé d’écrire L’asphyxie : Raqqa, chronique d’une apocalypse pour donner une chance aux premières victimes de le l’EI de raconter l’histoire depuis le début à travers leurs mots et leurs voix. Je crois fermement que les habitants de Raqqa qui racontent ces histoires dans les cafés toute la journée doivent avoir une voix audible en français, car l’EI n’est plus seulement une affaire syrienne, c’est un danger mondial.

Pourquoi est-il important pour vous de continuer à travailler sur l’État islamique et les conséquences de sa domination de Raqqa jusqu’en 2017 ?

L’Etat islamique n’est pas encore complètement vaincu, mon peuple souffre encore de ce terrorisme quotidiennement. Et tant que les Syriens souffriront, je raconterai, j’exposerai ses stratagèmes à la communauté internationale, jusqu’à ma mort ou la mort de l’EI.

La menace est toujours là, nous avons affaire aux mêmes monstres partout. Les Syriens vivent et savent parfaitement que Daesh est toujours présent et plus dangereux qu’il ne l’était, contrairement à « l’histoire mythique » de sa défaite. Nous souffrons toujours à cause de cette organisation idéologique qui ne disparaîtra pas avec des frappes aériennes ou des armes à feu.

La seule façon de résister à cela est de travailler réellement à résoudre le problème et commencer par renvoyer tous les combattants étrangers dans leur pays depuis les prisons et les camps syriens, dont la sécurité n’est pas optimale. Je crois qu’en tant que Syriens, nous ne serons pas en mesure de résoudre le problème en interne. Nous avons déjà essayé, depuis 2014, mais ignorer les pays à cette époque a été la raison de notre défaite et de la prise de contrôle de l’EI. Nous ne voulons pas répéter le même scénario.

Si une défaite russe en Ukraine entraînait la chute de Vladimir Poutine, pensez-vous que la paix pourrait un jour revenir en Syrie ?

La chute du régime criminel de la Russie contribuerait grandement à la résolution du problème syrien, mais ce n’est pas le seul problème en Syrie. Nous avons maintenant l’influence turque, iranienne, américaine et française. En plus de toutes les milices armées, la première étant l’armée du régime de Bachar al-Assad.