France
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Thomas Pitiot, griot au grand cœur

L’artichaut est un légume retors. Il faut d’abord l’effeuiller puis lui enlever les poils avant de lui mordre le cœur. Il méritait bien une chanson. Sur les gradins bondés de la maison de la culture de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), des grappes de marmots s’esclaffent, frappent des mains et des pieds, visages rayonnants. Thomas Pitiot épluche le légume en chanson entouré de ses deux compères, le claviériste Michel Kanuty et le batteur Yvan Descamps, pour la première d’un spectacle dédié au jeune public, la Reine des patates, collection de chansons facétieuses à la manière des Fabulettes d’Anne Sylvestre.

Après vingt ans de carrière, sept albums au compteur, la création d’un label indépendant, l’Océan nomade, et une estime critique construite aux marges de l’industrie musicale, le presque quinquagénaire peut avoir le sentiment du devoir accompli. Cette nouvelle aventure, il la conçoit comme une manière d’élargir le public fidèle qu’il a su séduire au fil des ans avec ce qu’il définit comme une « chanson française du monde », profondément humaniste, rebelle et poétique. Une chanson à la croisée des genres et au carrefour des engagements rouges et verts qui a soudé une belle communauté. « J’ai toujours réussi à vivre du métier mais sans jamais exploser. Et comme je ne suis jamais monté très haut, je n’ai jamais eu peur de tomber », nous confie Thomas Pitiot, amusé, à la fin du concert.

D’Aubervilliers à Ouagadougou

Tout commence sur les chapeaux de roue avec la sortie en 2002 du Tramway du bonheur, un album qui « a touché beaucoup de monde », se souvient le musicien. Une poétisation subtile du quotidien rugueux de sa Seine-Saint-Denis natale, comme un hommage aux siens à la manière des rappeurs du coin.Dans ce département, il travaille plusieurs années comme animateur socioculturel, construisant une relation d’estime avec une jeunesse turbulente mais diablement attachante. Il en fait la preuve pendant notre rencontre, alors que quelques jeunes s’amusent à effrayer leurs potes avec un molosse sans muselière. Irresponsable jeu auquel le chanteur met un terme immédiat en bondissant de sa chaise, après s’être excusé, témoignant d’une certaine expérience. En Seine-Saint-Denis, il tisse un réseau associatif dense de Stains à Dugny en passant par La Courneuve ou Aubervilliers. « On y est arrivé parce qu’on avait un bagage militant », confie ce coco au cœur tendre, tendance libertaire, que l’on ne manquait pas de croiser dans les initiatives politiques départementales, avec ou sans guitare.

« Ça promet d’être une grande fête (...) une mosaïque que je ne retrouverai jamais ailleurs, sauf à la Fête de l’Huma. » Thomas Pitiot

Chez les Pitiot, la musique est une affaire de famille. Son père, Gérard, a construit une œuvre remarquée d’auteur-compositeur-interprète, avant de chanter les poètes, dont Paul Éluard. Avec lui, Thomas enregistre Transports Pitiot, père et fils. Une manière d’assumer un héritage qui a coloré sa chanson. Très attachée à l’Afrique, sa famille lui conte, enfant,la savane de Casamance. À l’âge adulte, le chanteur décide de partir. « J’avais 25 ans et je suis revenu bouleversé, avec une perte de repères.  » En 2010, il récidive. « Je suis parti d’Aubervilliers à Ouagadougou pour un voyage de six mois. Et j’y ai fait des rencontres incroyables.  » Sa musique se bigarre de teintes africaines et, dans ses textes, le musicien se fait conteur, à la manière du griot dont il fera le titre d’un très bel album qui reçoit, en 2008, le coup de cœur de la prestigieuse académie Charles-Cros.

Drôles d’oiseaux, un tremplin pour artistes aux parcours originaux

Depuis quelques années, Thomas Pitiot a posé ses bagages à Avignon, y anime une chorale et un festival, Drôles d’oiseaux, tremplin pour artistes aux parcours originaux. « On ne parle pas assez des musiciens de rue. L’espace public leur est de plus en plus interdit », s’agace le chanteur au « salaire d’ouvrier ». « En politique, je serais comme le maire d’une petite ville, ou dans le foot un joueur de National », ajoute-t-il non sans amertume. « La chanson a été ringardisée par les gens de pouvoir. Et je ne rentre dans aucune des cases. Quand on me parle de musiques actuelles, je demande : c’est quoi l’inverse ? Une musique enterrée, mortifère ? Pareil pour la musique urbaine, j’ai vécu quarante ans en HLM… Je fais une musique à la frontière de plein de choses. »

Pour fêter sa carrière bien remplie, Thomas Pitiot prendra ses quartiers le samedi 1 er avril à la Cigale, à Paris. « Ça promet d’être une grande fête, avec beaucoup d’invités, des frères et sœurs de métier sur scène et dans la salle, une mosaïque que je ne retrouverai jamais ailleurs, sauf à la Fête de l’Huma. Je suis autant fier de mes disques que du public que j’ai créé, conscient, généreux, avec des militants, des habitants des quartiers populaires, des Africains, des migrants, lâche-t-il ému. Je veux leur faire comprendre que je leur dois tout. Et je leur dis de venir samedi comme je leur dirais d’aller voter dimanche. »