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TikTok : La « millennial pause » ou le douloureux constat qu’on vieillit tous sur Internet

Un temps de respiration, un mot banal lâché avant de vraiment commencer à parler, les yeux qui s’échappent vers le bas de l’écran pour vérifier que l’enregistrement est bien lancé : si vous êtes nés avant 1997, il y a de fortes chances que cela décrive la manière dont vous tournez une vidéo de vous.

Un tic, une manie peut-être, innocente, mais qui amuse énormément les personnes nées au début des années 2000. Ces dernières, qui forment la fameuse « génération Z », n’attendent pas pour parler une fois l’enregistrement lancé et n’ont aucun problème à faire trembler le téléphone - et donc l’image - le temps de le stabiliser quelque part.

Sur la plateforme de courtes vidéos TikTok, le terme « millennial pause », désignant cette petite pause littérale entre le début de l’enregistrement et le moment où on commence à parler, est devenu viral. Le hashtag #millenialpause y comptabilise quelque 23 millions de vues.

Le terme provient de la tiktokeuse Nisa qui, fin 2021, commentait une vidéo de la chanteuse Taylor Swift. La chanteuse américaine, du haut de ses 33 ans, marquait quelques secondes de pause avant de s’exprimer. Un « détail » que Nisa, 25 ans, n’a pas manqué de faire remarquer et, donc, de conceptualiser.

« Millenials » versus « Gen Z », en ligne, la guerre est déclarée

Que les nouvelles générations se moquent de leurs aînés, ce n’est pas inédit. Ce qui est un peu plus nouveau, c’est que TikTok soit devenu le terrain privilégié pour se gausser des habitudes « gênantes » des « milléniaux », les personnes nées entre 1981 et 1996.

Avec l’explosion de TikTok et de ses nouveaux formats pendant les différents confinements, ces vingtenaires et trentenaires ont envahi la plateforme. Ils ont amené avec eux une vision propre de se montrer en ligne. Zooms dramatiques sur leur visage pour insister sur un mot, expressions issues d’internet et utilisées dans la « vraie vie », pauses parfois gênantes sur les photos, filtres d’animaux et vidéos « boomerang » … Ces usages numériques diffèrent radicalement de ceux de la génération Z.

Il y a bel et bien un rapport générationnel à Internet et à nos pratiques numériques : cette « millennial pause » est l’héritage de l’utilisation par les vingtenaires et trentenaires d’appareils qui mettaient parfois quelques secondes à lancer l’enregistrement. Cette génération-là a connu les prémices de l’Internet, les téléphones à clapet et les longues heures passées sur MySpace et MSN…

Dans les années 2000, les appareils équipés de caméras n’étaient pas aussi développés, aussi rapides ni d’aussi bonne qualité (souvenez-vous des photos pixélisées sur les Skyblog…). « Les milléniaux étaient la première génération à grandir sur Internet, mais aussi la première à vieillir dessus », écrivait justement la journaliste Kate Lindsay dans The Atlantic.

Les milléniaux ont grandi dans un espace et un monde numérique basé majoritairement sur le texte et les images, mais pas vraiment sur la vidéo. Leur découverte du numérique s’est faite du côté des forums, de Tumblr, de Myspace ou des Skyblog, des débuts de Facebook. Les vidéos sur YouTube, Vine ou Dailymotion ont gagné en qualité au fil des années, mais n’étaient pas autant utilisées qu’aujourd’hui. Si ce petit tic technologique est invisible pour ceux qui le font, il devient hilarant pour les plus jeunes et traduit le changement graduel des pratiques et normes technologiques à l’échelle générationnelle.

Des contenus « gênants »

Ces petites moqueries entre générations sur TikTok peuvent néanmoins laisser un goût amer à ceux qui ont connu les débuts d’Internet et qui ont la sensation de ne plus y avoir leur place. En effet, les contenus présents sur les réseaux sociaux agissent en effet miroir et reflètent davantage les créateurs plus jeunes.

Les codes du « vieil Internet » que continuent à utiliser les milléniaux, des boomerangs sur Instagram aux filtres animaux sur Snapchat ou une certaine esthétique lissée, sont considérés comme « gênants » pour la génération Z de nos ados et jeunes adultes ; de la même manière que nous trouvons les seniors « gênants » sur Facebook avec leurs citations inspirantes et leur multiplication d’émojis et de points de suspensions…

Tout le monde vieillit en ligne, et nos usages technologiques laissent des marques visibles sur notre manière de bouger, parler, nous rassembler. « Je ne veux pas dire qu’on ne peut plus l’utiliser ou que nous n’y avons pas notre place, mais que le Web que nous avons construit et utilisé les quinze dernières années n’est plus l’Internet sur lequel nous sommes. Cependant, les milléniaux continuent à utiliser beaucoup de marqueurs, de façons d’agir et de tics de l’Internet d’avant », expliquait Kate Lindsay dans le journal américain The Atlantic.

Les milléniaux prennent un coup de vieux en voyant leurs iPod Nano qualifiés de « vintage » tandis que la « génération Z » se détache de l’esthétique lissée des premiers temps d’Instagram pour un contenu plus « authentique », en témoigne la popularité de l’application BeReal présentée comme « l’anti-Instagram ». Le Web et la culture Internet sont un immense cycle : tout revient, est aspiré, digéré et régurgité sous une nouvelle forme par les internautes. Mais l’écart générationnel se creuse, dans cette grande roue technologique.