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Tir mortel sur un tournage: pourquoi Alec Baldwin pourrait être reconnu coupable

Temps de lecture: 6 min

Alec Baldwin fait désormais face à une accusation pénale d'homicide involontaire pour la mort accidentelle de la directrice de la photographie Halyna Hutchins, tuée par balle sur le plateau de tournage du film Rust, le 21 octobre 2021 au Nouveau-Mexique. Il serait coupable de négligence aggravée.

Juridiquement, la négligence désigne un manque de prévoyance pouvant avoir des conséquences graves, voire fatales. En droit, la négligence peut entraîner une sanction civile ou pénale. Dans le cadre d'une action civile en dommages et intérêts (connue sous le nom d'action en responsabilité civile), même lorsque les blessures ou les conséquences sont graves, la sanction consiste en un dédommagement financier plutôt qu'en une condamnation pénale et une peine de prison.

Un «devoir de diligence» attendu lorsqu'on manie une arme

Qu'est-ce qui fait de cette affaire Baldwin une affaire pénale (mettant en péril sa liberté) plutôt que civile (mettant en péril son argent)?

Lorsque la négligence est particulièrement choquante –c'est-à-dire lorsqu'elle peut être évitée ou qu'elle témoigne d'un mépris évident pour la sécurité des personnes–, elle devient une infraction pénale. Lorsque la conséquence choquante est un décès, cette infraction pénale est un homicide involontaire: un homicide sans intention de tuer.

Bien qu'il semble s'agir d'un accident, les procureurs pourraient être fondés à croire que les actes d'Alec Baldwin franchissent ce seuil. Et ce, du fait de la nature du décès, à savoir une mort par balle.

Les procureurs ont statué qu'une arme à feu suppose un «devoir de diligence» –la norme juridique historique à laquelle il est fait atteinte dans les cas de négligence– extrêmement élevé. En tant qu'utilisateur de l'arme, affirment-ils, Alec Baldwin a agi au mépris flagrant de ses risques potentiels. En droit, on appelle cela «le principe du voisin»: nous avons un devoir envers nos voisins, et en l'occurrence, Alec Baldwin a tiré sur sa voisine, Halyna Hutchins. De l'avis des procureurs, c'est l'utilisation fautive de son arme qui a causé cette mort évitable, et c'est ce qui est au centre des accusations pénales. Toute personne qui porte une arme à feu et la pointe sur une autre a toujours l'obligation de vérifier au préalable que l'arme n'est pas chargée.

Il est communément admis que les armes à feu sont dangereuses et qu'elles sont de fait conçues pour provoquer la mort. Leur utilisation continue de faire des ravages aux États-Unis, avec plus de trente fusillades de masse pour le seul mois de janvier 2023. L'accusation au pénal aurait probablement été exclue dans le cas présent si la cause du décès avait été autre.

Un revolver bien réel, censé être chargé de balles à blanc

Imaginez un plateau de cinéma où, pendant une scène, un acteur doit tirer sur le cordon pour allumer ou éteindre un luminaire suspendu au plafond. Son action entraîne la chute du luminaire, heurtant et tuant un membre de l'équipe de production. Une enquête ultérieure révèle que le luminaire avait été mal suspendu par un membre de l'équipe, et que ceci a été la cause immédiate de l'accident. L'acteur qui a tiré le cordon a déclaré n'avoir à aucun moment envisagé la possibilité de cet accident, car il ne connaît rien à la suspension des luminaires et n'a jamais considéré qu'il devait vérifier ce genre de choses dans le cadre de son travail. Ce décès est une conséquence de la négligence en raison du «devoir de diligence» attendu, sachant que les éclairages de cinéma ne sont pas censés tomber.

Mais contrairement à une arme à feu, un luminaire n'est pas une arme mortelle. Il ne s'agit pas d'un instrument conçu pour tuer. La chute d'un lustre ayant des conséquences fatales est un événement extrêmement rare; on ne pouvait raisonnablement exiger de l'acteur en question qu'il anticipe ce problème s'il n'avait pas été chargé de le suspendre. Dans ce cas hypothétique, une sanction pénale semble inimaginable, il s'agirait tout au plus d'une sanction civile.

On ne peut pas attendre d'un acteur comme Alec Baldwin qu'il monte sur une échelle pour vérifier que les éclairages sont bien fixés. Mais les procureurs soutiendront probablement que quiconque manipule une arme à feu devrait prendre toutes les précautions nécessaires. La négligence dans ce cas atteint un tout autre niveau que celle ayant causé la chute d'un lustre.

Alec Baldwin affirme qu'il n'a jamais appuyé sur la gâchette. [...] Mais les tests effectués sur l'arme ont montré qu'elle ne pouvait pas avoir tiré sans que la gâchette ait été pressée.

Il s'agissait d'une arme à feu utilisée sur un plateau de tournage. Ne peut-on raisonnablement s'attendre à ce qu'une «arme accessoire» [«prop gun» en anglais, ndlr] soit moins dangereux qu'un vrai pistolet utilisé dans le monde réel? Ce fait ne devrait-il pas diminuer le niveau de négligence d'Alec Baldwin? Le terme «prop gun» désigne généralement une arme non fonctionnelle utilisée au théâtre ou au cinéma. Il désigne également les vrais pistolets chargés de cartouches spéciales qui sont des balles modifiées, appelées «balles à blanc».

Alec Baldwin a utilisé une vraie arme –un revolver F.lli Pietta simple action de calibre .45 Colt (.45 Long Colt)– qui était censée être chargée de balles à blanc. Un revolver en simple action s'utilise en tirant le marteau vers l'arrière jusqu'à ce qu'il s'enclenche, puis en appuyant sur la détente pour le libérer. La frappe du marteau sur la cartouche nécessite une force spécifique pour faire détoner l'amorce.

À qui la faute?

Alec Baldwin affirme qu'il n'a jamais appuyé sur la gâchette, mais les analyses réalisées par le FBI après les faits le démentent. Les tests effectués sur cette arme spécifique ont montré qu'elle ne pouvait pas avoir tiré sans que la gâchette ait été pressée. Il a même été suggéré qu'une image d'arme générée par ordinateur aurait suffi pour la scène. Les armes à feu, qu'elles soient des accessoires ou non, sont tout simplement superflues sur un plateau de tournage moderne.

Les avocats de la défense soutiendront probablement que la faute n'incombe pas à Alec Baldwin, mais au fabricant de l'arme –si elle s'est déclenchée sans qu'on ait appuyé sur la gâchette– ou à d'autres personnes sur le plateau qui étaient responsables de garantir son innocuité. Dans les cas de négligence, le «devoir de diligence» envers votre voisin concerne les risques liés à votre conduite –risques qu'une personne connaît ou devrait connaître.

Dans son désir de gagner la sympathie, Alec Baldwin court le risque de retourner l'opinion publique contre
lui et de se mettre à dos les procureurs.

Les procureurs dans cette affaire peuvent alléguer que toute personne ayant manipulé cette arme, y compris Alec Baldwin, avait une responsabilité en raison de la nature de l'objet. Un revolver n'est pas un luminaire, répèteront-ils. Même si l'arme était défectueuse, c'est un objet si manifestement dangereux que son utilisateur a le devoir envers ses voisins de prendre d'extrêmes précautions, lesquelles ont été grossièrement négligées par Alec Baldwin.

Une mort sur un plateau de cinéma est une irruption dramatique du réel dans la fiction; le choc est tel que réagir s'impose. Mais passer d'une sanction civile à une sanction pénale est-il gage de justice?

Une poursuite pénale vise la possible incarcération d'Alec Baldwin. Cela peut être souhaitable si les procureurs veulent éviter qu'un tel accident ne se reproduise ou mettre un individu dangereux hors d'état de nuire. Alec Baldwin est une personnalité publique complexe. Il est connu pour avoir eu des conduites agressives. Et les plateaux de tournage peuvent être un environnement à risque. Mais aucun élément n'indique que le tir ait été une manifestation d'agressivité de sa part. Il semble peu probable qu'à l'avenir, Alec Baldwin tire sur d'autres directeurs de la photographie ou sur quiconque lors d'un tournage.

Alec Baldwin a commenté publiquement cette affaire. Il a affirmé n'avoir jamais appuyé sur la gâchette et n'être en aucun cas responsable de la mort de Halyna Hutchins. Il prétend que la faute doit être imputée à d'autres. Dans son désir de gagner la sympathie et le soutien du public, Alec Baldwin court le risque de retourner l'opinion publique contre lui et de se mettre à dos les procureurs. Ni la colère de ces derniers ni la faveur de l'opinion n'ont leur place dans un tribunal. Pour «blanchir son nom», Alec Baldwin a engagé des poursuites contre l'équipe du film pour négligence.

La mort par balle de Halyna Hutchins n'était pas un meurtre, mais pourrait être attribuable à un acte de négligence grave. Le maniement d'une arme à feu s'assortit d'un «devoir de diligence» et un décès sur un plateau de tournage ne devrait jamais se produire. La négligence au sens moderne, juridiquement, consiste à enfreindre un «devoir de diligence» envers nos voisins. Alec Baldwin dit qu'il n'avait pas l'intention de nuire à une personne en particulier et nous n'avons aucune raison de ne pas le croire. Mais si la négligence aggravée est évoquée et si Alec Baldwin est accusé, c'est pour une raison: il maniait une arme.