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Tournoi des VI Nations : « Aujourd’hui, la boxe est plus sûre que le rugby »… L’ovalie face au fléau des commotions

Des stades remplis, des hymnes entraînants, des affiches qui fleurent bon la nostalgie et les commentaires du duo Pierre Salviac – Pierre Albaladejo. Avec février revient le Tournoi des VI Nations, accroché à un bout d’enfance. Mais tous les (télé)spectateurs ne suivront pas la vénérable compétition avec ce filtre rose bonbon. Ainsi, si Alix Popham « adore toujours le rugby » et « regarde les matchs », « ce n’est plus avec les mêmes yeux » que lorsqu’il défendait le maillot du pays de Galles, de 2003 à 2008.

« Je suis attentif à chaque contact, à chaque ruck, souligne l’ancien troisième ligne aux 33 sélections, engagé dans un combat pour rendre plus sûr un sport où des colosses de plus de 100 kg enchaînent les collisions, mot passé dans le vocabulaire courant de la discipline. Je suis éduqué maintenant, pas comme lorsque j’étais joueur. »

Alix Popham (ballon en main) lors de pays de Galles - Angleterre, le 17 mars 2007 à Cardiff.
Alix Popham (ballon en main) lors de pays de Galles - Angleterre, le 17 mars 2007 à Cardiff. - Matt Impey / Shutterstock / Sipa

Pour Popham, voir son compatriote Tomas Francis aligné contre la France lors du Tournoi 2022, 11 jours après avoir subi un K.-O. manifeste face à l’Angleterre, relève de l’insupportable. Comme constater que le demi de mêlée australien Nic White a été autorisé à revenir sur la pelouse, en novembre dernier face à l’Irlande, malgré un regard éteint et une allure titubante.

Car le Gallois a payé très cher pour être « éduqué », selon son expression. En avril 2020, il apprenait qu’il souffrait d’une démence précoce et d’une plus que probable encéphalopathie traumatique chronique (ETC), une maladie dégénérative du cerveau qui ne peut être confirmée que post-mortem. « J’ai eu des symptômes pendant neuf ou douze mois mais je trouvais des excuses : la fatigue, le stress », décrit l’ancien Diable Rouge (43 ans), qui a terminé sa carrière en 2011 à Brive. Popham s’est résolu à consulter un neurologue après s’être perdu lors d’une balade à vélo qu’il avait déjà faite cent fois.

Une pathologie plus fréquente dans certains sports

« Etrangement, le diagnostic a été un soulagement, je connaissais enfin la cause de mes problèmes. » Ces affections cérébrales irréversibles, traduites par des problèmes de mémoire, des sautes d’humeur brusques et des épisodes de dépression, se retrouvent en nombre chez les anciens pratiquants de sport de contact comme la boxe, le football américain et, donc, le rugby.

En décembre 2020, Popham et une centaine d’ex-joueurs britanniques, dont Steve Thompson, champion du monde avec l’Angleterre en 2003 – un événement dont il ne se rappelle plus –, annonçaient une action en justice. Leurs cibles : World Rugby (la fédération internationale) ainsi que les fédérations anglaise et galloise, accusés de mauvaise prise en charge des commotions.

Le très sauvage test-match entre la France et l'Afrique du Sud, le 12 novembre 2022 à Marseille, avait donné lieu à cinq protocoles commotion.
Le très sauvage test-match entre la France et l'Afrique du Sud, le 12 novembre 2022 à Marseille, avait donné lieu à cinq protocoles commotion. - Daniel Cole / AP / Sipa

« Le rugby doit être plus sûr pour que les mamans et les papas n’aient pas peur d’y envoyer leurs enfants, reprend l’ancien Corrézien. Je suis soulagé que mes trois filles ne m’aient pas demandé d’y jouer. Aujourd’hui, la boxe est plus sûre que le rugby. Après une commotion, un boxeur ne s’entraîne pas pendant un mois, et il ne combat pas avant trois mois. »

Côté ovalie, World Rugby a décrété en juin dernier un repos complet de 7 jours minimum pour un joueur sans antécédent ni symptôme, et de 12 jours minimum pour un joueur avec antécédent et/ou avec des symptômes (maux de tête persistants, par exemple). Un progrès par rapport au protocole précédent, qui voyait parfois un rugbyman K.-O. le samedi jouer le week-end suivant, mais insuffisant aux yeux de Popham et de ses compagnons de lutte.

Des recours en France également (mais moins)

Avec Steve Thompson (ex-Brive), l’ancien 2e ligne canadien Jamie Cudmore (ex-Clermont) et l’ancien pilier All Black Carl Hayman (ex-Toulon), le Gallois a également joué un rôle moteur dans la série de recours administratifs intentés par une vingtaine de joueurs ayant évolué en France contre la Fédération (FFR) et la Ligue nationale (LNR), en novembre dernier.

« Ce que veulent les joueurs, c’est que les institutions prennent acte de la mesure du problème, qu’ils réagissent de manière proportionnée et adéquate pour que le rugby puisse perdurer en étant un sport de contact, développent leurs avocats Nino Arnaud et Foucauld Prache, réunis dans le cabinet Alekto. Ils ne veulent pas une version aseptisée. Ce sont des passionnés, pas des gens qui souhaitent faire de l’argent avec cette cause. »

Pour l’heure, coté français, seuls Sarah Chlagou (ex-Stade Rennais) et Quentin Garcia (ex-Chambéry) ont annoncé faire partie des plaignants. Pourquoi ce décalage avec leurs collègues étrangers ?

Ce sont forcément des causes mixtes, propres à chacun, réagit le cabinet Alekto. Mais il est certain que la peur de se dresser contre l’institution joue un rôle. La peur également de s’interroger sur sa propre situation et sur les conséquences possibles de sa pratique. Un manque de culture syndicale, peut-être. C’est une question complexe, mais personne dans le rugby français n’est dupe : les joueurs évoluant en France sont tout autant - sinon plus - concernés par ce problème que les Anglo-Saxons. »

Alix Popham approuve : « Les joueurs français doivent venir combattre avec nous. Nous serons plus forts ensemble. D’autant que je pense que le phénomène est pire en France. L’entraînement y est beaucoup plus physique, avec deux championnats relevés – le Top 14 et le Pro D2 – et beaucoup plus de joueurs que n’importe où ailleurs. Et puis, la saison est très longue. »

Le Clermontois Alexandre Lapandry plaque le Rochelais Vincent Rattez lors de la finale du Challenge européen, le 10 mai 2019 à Newcastle, en Angleterre.
Le Clermontois Alexandre Lapandry plaque le Rochelais Vincent Rattez lors de la finale du Challenge européen, le 10 mai 2019 à Newcastle, en Angleterre. - Robbie Stephenson / JMP / Rex / Sipa

L’actualité récente ne fait rien pour contredire le Gallois. Le 27 janvier, L’Equipe révélait que le 2e ligne international Sébastien Vahaamahina risquait d’arrêter sa carrière, à 31 ans à peine, à cause de commotions à répétition. Début décembre, un autre ex-Bleu de l’ASM, Alexandre Lapandry annonçait le dépôt de quatre plaintes contre X après son licenciement par son club, auquel il reproche entre autres un non-respect du protocole commotion.

Interrogé dans la foulée en conférence de presse, le 3e ligne du Racing 92 Wenceslas Lauret, autre ancien du XV de France, s’est lâché :  « J’ai subi plusieurs commotions en début de carrière. J’ai été arrêté trois mois à une période. J’ai connu l’époque où c’était tabou de parler des commotions dans le rugby, l’époque où le coach te félicitait parce que tu n’étais pas sorti alors que bon… Je me souviens de Dusautoir qui prend un choc, qui titube et qui continue. C’était normal. Aujourd’hui, le curseur a changé et c’est très bien. Une fois que le cerveau a brûlé, il n’y a plus rien à faire. » »

Lauret et « le cerveau brûlé »

La parole se libère en France, mais sans rattraper le retard par rapport à l’autre côté de la Manche. Créée en février 2021, l’association Progressive Rugby se pose en lobby pour défendre la santé des pratiquants, en réunissant anciens joueurs (Popham, Thompson et Hayman encore, mais aussi les Anglais James Haskell et Kyran Bracken) et médecins, comme le professeur John Fairclough. « Au début, nous étions une douzaine, explique ce dernier, qui a notamment travaillé avec la Fédération galloise (WRU). Maintenant, nous sommes près de 50 membres inscrits, des centaines sur notre mailing list et près de 10.000 personnes nous suivent sur Twitter. »

Progressive Rugby a animé des groupes de travail avec World Rugby jusqu’en juillet dernier. Avant que l’instance ne décide de « mettre en pause » le dialogue, selon les termes d’un porte-parole, parce que des membres de Progressive Rugby font partie des anciens joueurs l’ayant attaquée en justice.

Si elle se félicite d'« avoir contribué à ce que le rugby aille dans la bonne direction », avec notamment « l’allongement du retour au jeu d’un joueur commotionné », l’association milite pour pousser cette durée de 12 à 21 jours. Mais aussi pour qu’une victime de commotion ne revienne pas sur la pelouse (actuellement, c’est possible si le protocole est passé avec succès) et pour réduire les contacts à l’entraînement. Car au-delà des commotions évidentes, d’autres chocs moins spectaculaires peuvent provoquer d’énormes dégâts.

« 90 % des sous-commotions à l’entraînement »

« Dans ma carrière, j’ai eu deux K.-O. identifiés, dévoile Alix Popham. Mais mon neurologue m’a parlé de 100.000 sous-commotions, dont 90 % sont survenues à l’entraînement. » Le Gallois, co-créateur de la fondation Head for Change, assure que 350 joueurs britanniques de rugby à XV savent désormais qu’ils souffrent du même mal que lui, ainsi que plus de 100 treizistes. Infatigable pèlerin de la cause, dans la vie courante comme sur Twitter, Popham a notamment partagé une récente étude des universités d’Exeter et d’Oxford, indiquant qu’« une personne ayant subi au moins trois commotions cérébrales aura des séquelles neurologiques ».

Face à l’accumulation des cas de démence, comment réagissent les instances ? Après avoir reçu le courrier des plaignants représentés par le cabinet Alekto, FFR et LNR assuraient que « la santé des joueurs, amateurs et professionnels [était] la priorité des instances du rugby français ». Fédé et Ligue mettaient aussi en avant « de nombreuses actions, souvent citées comme exemplaires, engagées depuis des années au niveau international et national pour détecter, réduire et prendre en charge les commotions ».

Peu ou prou les mots de World Rugby, dont un porte-parole joint par 20 Minutes évoque les « experts mondiaux » présents dans « notre groupe de travail indépendant sur les commotions cérébrales ». « Nous nous soucions, nous écoutons et nous ne restons jamais immobiles lorsqu’il s’agit de faire du rugby le sport le plus à la pointe du progrès en matière de bien-être des joueurs », assure la Fédération internationale. Tant mieux, car le temps presse vraiment.