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Transition écologique : le gouvernement planche sur la « dette verte » des élus locaux

Le chiffre donne le tournis : au moins 50 milliards d'euros d'argent public sont investis chaque année sans systématiquement prendre en compte la lutte contre le dérèglement climatique. Une donnée produite par I4CE - l'Institut de l'économie pour le climat -, un think-tank à l'initiative de l'Agence française du développement et de la Caisse des Dépôts. Dans une étude publiée le 27 janvier, il appelle en effet à « mettre l'adaptation aux impacts du changement climatique au menu des discussions entre les collectivités et l'Etat ».

« Si les collectivités disposent en effet d'importants leviers d'adaptation et doivent agir dès maintenant, elles ne pourront les mobiliser que si certaines conditions sont réunies au niveau national. Il est donc urgent qu'une discussion s'ouvre ! », insiste I4CE.

Transition écologique : le gouvernement adresse le mode d'emploi aux maires

Deux scénarios: l'un « optimiste », le second « pessimiste ».

Cette association veut en effet veut marquer le coup en vue du futur projet de loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat (LPEC) - espéré pour juin 2023 par la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher - et de l'Agenda territorial, une promesse de la Première ministre Elisabeth Borne dès son discours de politique générale de juillet 2022. L'Institut de l'économie pour le climat vient donc d'organiser, ce 30 janvier avec France Stratégie (services de Matignon), un débat sur l'adaptation au changement climatique dans les territoires. Avec en guest star : le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

Confronté à des élus locaux, qui l'ont tantôt acquiescé, tantôt désapprouvé, Christophe Béchu a dévoilé sa feuille de route. Sur la loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat (LPEC), il souhaite que le texte aille au-delà du respect des Accords de Paris de décembre 2015, c'est-à-dire la limitation de la hausse des températures à +1,5°C, et plaide pour deux scénarios, l'un « optimiste », le second « pessimiste ».

« +4°C au niveau français, on n'y coupera pas. Fini de rigoler », tranche le sénateur écologiste de Loire-Atlantique et vice-président de la commission du développement durable Ronan Dantec.

Béchu défend le ZAN: « On s'est étalé de manière dingue ! »

En réalité, dès qu'il est question de « trajectoire » d'adaptation et d'atténuation au changement climatique, le principe de non-artificialisation nette des sols, à horizon 2032, avant le zéro (ZAN) en 2050, revient systématiquement dans les débats entre le gouvernement Borne, les élus locaux et les parlementaires. Que ce soient de la part des sénateurs, qui viennent de déposer une proposition de loi pour soulager les maires démunis face à tant de complexités, ou du ministre lui-même, il s'agit d'un exemple emblématique de la difficulté à concilier développement économique - la réindustrialisation par exemple - et la préservation de la planète.

« Quels que soient les scénarios, il s'agit d'éviter d'aller transformer des espaces naturels pour stocker de la chaleur mais au contraire de participer aux solutions fondées sur la nature. Après cinq décennies où l'on est tous globalement responsables d'avoir plus artificialisé qu'en cinq siècles, nous n'avons plus vocation à développer des zones commerciales de périphérie. La dimension de la contrainte peut l'emporter sur la dimension de l'incitation », déclare Christophe Béchu.

Immobilier : les entrées de ville, le nouveau terrain de jeu des promoteurs pour construire des logements

Du « courage gouvernemental », salue la présidente (PS) du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. « Un principe vertueux, mais une législation contradictoire avec la loi SRU (qui impose du logement social dans certaines communes, Ndlr) », pointe, au contraire, le maire (LR) de Mandelieu-la-Napoule, Sébastien Leroy. Un argument balayé par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires : « on s'est étalé de manière dingue ! »

Une déclaration à l'Assemblée nationale plutôt passée inaperçue...

Plus généralement en matière de fabrique de la ville, Christophe Béchu a fait savoir qu'il recevrait, « mi-février », les associations d'élus pour parler de la décentralisation de la politique du logement. Sans le rappeler, il fait ici référence à la promesse du candidat Macron de donner les compétences et les moyens aux communes et intercommunalités. D'autant que la semaine dernière, une proposition de loi visant à « faciliter les travaux de rénovation énergétique des bâtiments publics », de l'Etat et des collectivités, et reposant sur le tiers-financement, a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale.

Rénovation énergétique des bâtiments publics: une loi de la majorité ne fait pas l'unanimité

Lors de l'examen de ce texte, le 24 janvier, l'ex-maire d'Angers a d'ailleurs fait une déclaration plutôt passée inaperçue. « Il s'agit de réfléchir à la possibilité d'isoler la dette verte contractée pour réaliser la transition écologique, non pour la faire disparaître mais pour rendre visible les investissements effectués pour aujourd'hui pour éviter demain l'explosion des factures », a-t-il affirmé.

« Quand bien même les seules vertus de cette mesure seraient pédagogiques, elle serait justifiée, car on ne saurait traiter de la même manière une dette visant à financer des investissements qui entraîneront une hausse future des dépenses de fonctionnement, et une autre visant au contraire à préparer la diminution des dépenses futures et à limiter l'ampleur du réchauffement climatique », a poursuivi Christophe Béchu.

... quitte à contredire Bercy ou à contrevenir à la libre-administration ?

Lors de la joute de ce 30 janvier, le ministre a relancé cette piste de « réflexion sur la dette verte » des collectivités territoriales, martelant que l'échelon local est « le bon » pour faire des investissements. Quitte à contredire son collègue Bruno Le Maire ? Lors de ses vœux du 5 janvier, réaffirmés dans le JDD du 29, le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a promis de « passer au peigne fin toutes les dépenses publiques », une revue des dépenses engagée « dans les prochains jours » avec la Première ministre Elisabeth Borne.

« Quand Bruno Le Maire parle de cela, ce n'est pas du tout orthogonal. On peut très bien baisser les dépenses de fonctionnement avec les dépenses d'investissement, comme dans l'éclairage public. Seulement 15% des 30 millions de luminaires sont aux LED, alors que cette technologie fait baisser les consommations de 68%. Ces changements d'ampoule ne font pas de débat car elles ont un impact direct et immédiat ! », rétorque Christophe Béchu, contacté directement par La Tribune.

Le ministre compte y travailler « avec les parlementaires et Bercy ». « Ce n'est pas la même chose que d'apporter la réponse à l'urgence climatique que de s'endette en n'en tenant pas compte. Nous devrons être capables de distinguer la bonne et la mauvaise dette », ajoute-t-il. Quitte à contrevenir à la libre-administration des collectivités consacrée dans la Constitution ? « Elle est totale et absolue », réplique-t-il.

« Le coût de la correction écologique sera bien plus élevé que celui de l'adaptation ou de l'atténuation. Regardez les coûts de la sécheresse. Ils montrent qu'il est important d'investir dans la résilience de nos systèmes », enchaîne Christophe Béchu.

Le « Fonds vert », du saupoudrage ou une marque de confiance ?

Malgré tout, le sénateur Dantec considère qu'il « manque le flux financier ». « Qu'on sorte dans une logique financière où l'Etat est dans l'incitation, mais faisons de la contractualisation sur des objectifs avec un diagnostic d'adaptation et d'atténuation », exhorte le parlementaire de Loire-Atlantique. Et de tacler le « Fonds vert », l'enveloppe de 2 milliards d'euros voté dans le budget 2023 justement pour aider les maires à financer la transition écologique locale.

« Depuis une dizaine d'années, l'Etat réinvente en permanence des dispositifs financiers, comme ce fonds Vert qui ressemble à du saupoudrage de l'Etat », assène-t-il.

Transition écologique: les maires impatients de bénéficier du « Fonds vert »

 « On peut m'expliquer qu'il y a des limites au saupoudrage ou que 2 milliards d'euros, ce n'est pas assez, mais en passant de 0 à 2 milliards, on va financer plein de choses et éviter les appels à projet. Lorsqu'on fera le bilan, on pourra dire : ''On vous a fait confiance !'' », rétorque Christophe Béchu.

Rendez-vous donc début 2024 au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires... à condition que les élus locaux soient au tour de la table pour comparer les tableaux Excel.