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[Transition] « Les pratiques agroécologiques sont plus significatives qu’on ne le croit »

Quelles sont les causes de ce que vous identifiez comme une « agroécologie silencieuse » ?

« Ce qui motive souvent la mise en place de nouvelles pratiques écologiques par les agriculteurs est la recherche d’autonomie, la volonté de reprendre le contrôle sur les conditions d’activité du métier. Cela conduit à une agroécologie silencieuse par plusieurs aspects. Par exemple à travers une tendance à l’utilisation de termes issus de l’agronomie pour expliquer les bénéfices écologiques de ses pratiques. Il y a ainsi un évitement des termes de l’écologie chez une partie des agriculteurs qui considèrent que reprendre ces termes donnerait raison à des acteurs critiquant l’agriculture. »

« Autre exemple : une partie des agriculteurs qui mettent en place ces pratiques peuvent avoir des dépendances à certains intrants qui restent problématiques. Par exemple, l’agriculture de conservation peut s’accompagner d’un usage de glyphosate. Vu de l’extérieur, cela paraît incohérent. Ainsi, des agriculteurs ont été un peu échaudés par des conversations où ils ont peiné à argumenter les bénéfices écologiques de leurs pratiques. »

Est-ce qu’il est plus facile de parler d’agroécologie entre pairs qu’avec le grand public ?

« Au sein du monde agricole lui-même, il y a des difficultés à avoir des débats professionnels sur ces questions-là, par exemple dans les Cuma. Puisqu’il y a différentes postures d’agriculteurs vis-à-vis de ce sujet, il y a un évitement des discussions sur ce qui nous différencie et peut amener de la tension. Ce manque de discussions ne permet pas de faire émerger une parole collective sur les efforts entrepris par certains producteurs en termes de transition agroécologique. »

« S’y ajoutent des processus d’invisibilisation institutionnelle. Aujourd’hui, en regardant le recensement agricole, on peut identifier les agriculteurs en production biologique. Mais on ne peut pas identifier toute la variété de pratiques écologiques. L’appareillage statistique n’a pas été rénové pour mesurer les avancées de processus d’écologisation. Ceci vient aggraver, renforcer le côté silencieux et peu visible de l’amélioration écologique, qui est plus significative qu’on ne le croit. »

Quels sont les risques à venir d’un environnement où les pratiques agroécologiques restent tues ?

« L’absence de formulation d’un discours politique sur ce que font ces agriculteurs pose un risque démocratique. Cela veut dire que ces expériences ne nourrissent pas les réflexions sur l’amélioration des conditions de la transition écologique du secteur agricole. Les agriculteurs disent avoir l’impression que ce qu’ils essayent de faire ne fait pas l’objet de réelle politique ou de marque de soutien très franche. »

« Je vois une forme de lassitude. « On s’y met, mais on voit qu’il y a plein de freins ». « On doit trouver les solutions par nous-mêmes ». « Pourquoi c’est si compliqué de développer des pratiques plus écologiques ? » Ces difficultés ont du mal à être énoncées et à nourrir le débat public, d’où une défiance d’agriculteurs vis-à-vis des institutions. Car les injonctions écologiques vis-à-vis de l’agriculture, que ce soit par les médias ou les discours politiques, ne cessent de se répéter. »

Quels sont les leviers pour donner plus de visibilité à ces pratiques écologiques ?

« Sur le terrain, la recherche d’autonomie est de plus en plus présente et entraîne des changements de pratiques qu’il faut finement regarder pour repérer les freins rencontrés, afin de les lever. Il faut rénover nos instruments de connaissance. On veut par exemple réduire de moitié la consommation de pesticides, mais on manque d’instruments fiables pour savoir comment évolue cette consommation selon les productions et types d’exploitation. »

« La transition agroécologique demande le même niveau de transformation structurelle que la modernisation agricole. Cette dernière a été rendue possible par des politiques d’investissement, de planification stratégique et de réglementation. Aujourd’hui, on ne voit pas ce même investissement, ni cette même volonté politique. Nous n’avons pas les conditions pour conduire une transition écologique d’ampleur du secteur agricole. Il faut vraiment revenir à des pouvoirs publics interventionnistes pour opérer cette transformation. »

Propos recueillis par Alessandra Gambarini