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Trois morts, 400 ou 6 500 ? Désaccords et confusion sur le chiffrage des décès sur les chantiers du Mondial au Qatar

Le Qatar a-t-il fait un pas dans la reconnaissance du tribut payé par les ouvriers pour la construction des infrastructures de la Coupe du monde ? Plusieurs médias l’ont affirmé, après les déclarations de Hassan al-Thawadi, officiel qatari et directeur de l’instance en charge de la construction des stades utilisés pour la Coupe du monde de foot masculin. Le responsable répondait aux questions du journaliste Piers Morgan, star de la télévision britannique. Ce dernier l’interroge : «Quel est selon vous le chiffre honnête, réaliste, total des travailleurs migrants qui sont morts à cause de ce qu’ils ont fait pour la Coupe du monde, dans sa totalité ?» Ce à quoi son interlocuteur répond, sans détour : «L’estimation est d’environ 400. Entre 400 et 500.»

Si l’extrait a fait réagir, c’est parce que le chiffre est supérieur à celui qui était, jusque-là, évoqué par les autorités qataries. Celles-ci avançaient toujours le même : 37 morts liés directement à la construction des stades, dont 34 ne seraient pas liés à leur travail (1).

Dans tous les cas, les deux chiffres ne se comparent pas, et l’évocation de 400 morts ne correspond pas à une réévaluation du bilan précédent. D’ailleurs, quelques secondes avant lors de la même émission, mais dans une séquence qui a moins été mise en avant, Hassan al-Thawadi a répété une nouvelle fois le chiffre de 37 morts.

2010-2022, la décennie de grands travaux

Devant la confusion, le comité qatari en charge de l’organisation du Mondial a précisé que les deux chiffres ne relevaient pas du même périmètre : les 37 décès «couvrent les huit stades, les dix-sept sites hors compétition et les autres sites connexes relevant du comité. Les autres citations concernant les chiffres font référence aux statistiques nationales couvrant la période 2014-2020 pour tous les accidents mortels liés au travail (414) à l’échelle nationale au Qatar, tous secteurs et nationalités confondus».

A noter que ce nouveau chiffre de 400 morts (pas plus que celui de 37) n’est pas comparable à celui qui circule le plus : 6 500 morts, selon le Guardian. Une estimation qui est fréquemment présentée, à tort, comme celle du nombre de morts en lien avec la construction des stades.

En février 2021, le quotidien britannique publiait une enquête révélant que plus de 6 500 (au moins 6 751, mais c’est le premier chiffre qui a été le plus repris) travailleurs migrants étaient morts au Qatar entre 2010 et 2020 – la première date étant l’année d’attribution du Mondial au Qatar, et le début d’une décennie de grands travaux (les nouveaux stades et des dizaines d’autres projets comme un aéroport, des transports publiques, des hôtels ou carrément des villes sorties de terre). D’après le Guardian, ce chiffre était sous-estimé. Il n’incluait que les travailleurs venus d’Inde (comptabilisés sur la période 2011-2020), du Bangladesh, du Népal, du Sri Lanka et du Pakistan, à partir des registres transmis par les différentes ambassades. Et laissait de côté ceux des Philippines ou du Kenya, également nombreux dans le pays.

Une quantité impressionnante de morts considérées comme naturelles

Mais ce chiffrage couvre toutes les causes de mort : les accidents du travail des différents chantiers de la Coupe du monde (pas uniquement les stades), mais aussi les morts liés aux conditions de vie difficiles des travailleurs migrants, ou encore les décès naturels. D’après le Guardian et différentes ONG, il est impossible d’être plus précis car le décompte officiel de l’administration du Qatar recense une quantité impressionnante de morts considérées comme naturelles (80 % pour les travailleurs indiens, par exemple) sans systématiquement faire d’autopsie, et sans que l’on connaisse, dans de nombreux cas, les circonstances de décès.

Un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) publié en 2021, qui a un bureau à Doha, a conclu que 50 travailleurs étaient morts dans des accidents du travail au Qatar en 2020 et que 500 autres avaient été gravement blessés. L’OIT note cependant des lacunes dans le système d’enquête et de recensement et admet que ce nombre pourrait être plus élevé.

(1) Ce dernier point est largement contesté. Le Guardian relevant que le chiffre de 34 tués inclut des décès qui ont eu lieu sur leur lieu de travail, dont des ouvriers qui se sont effondrés à cause de la chaleur insoutenable.