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Ukraine : ces drones militaires longue distance qui se rapprochent de Moscou

Les frappes de drones sur le sol russe lundi, attribuées par Moscou à l’Ukraine, ont touché des cibles stratégiques à plusieurs centaines de kilomètres de la frontière ukrainienne. Un exploit militaire qui en dit long sur les capacités de projection militaire de Kiev et sur les faiblesses des défenses russes.

Les frappes ukrainiennes sur le sol russe se multiplient ces derniers jours. Une attaque de drones a mis le feu, mardi 6 décembre, à un dépôt d’essence sur une base aérienne de la région frontalière de Koursk.

Une opération intervenue au lendemain d’autres frappes ukrainiennes qualifiées, par le New York Times, d’attaque “la plus audacieuse [de Kiev] en territoire russe depuis le début de la guerre”. Des drones “kamikazes” ont en effet touché, lundi, deux bases aériennes, celle d’Engels-2, située près de la ville de Saratov, au nord-ouest du Kazakhstan, et celle de Riazan, à un peu plus de 110 km au sud-est de Moscou. 

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Des drones soviétiques modernisés ?

Jamais encore des drones ukrainiens ne s’étaient aventurés aussi loin en territoire russe. Ces frappes, annoncées par Moscou, n’ont pas été officiellement reconnues par Kiev. Mais des tweets évocateurs de plusieurs responsables ukrainiens ne laissent guère de doute sur la paternité de ces attaques.

“Dire que c’est l’attaque la plus audacieuse est peut-être un peu exagéré, mais il est vrai que c’est la première fois que l’armée ukrainienne démontre qu’elle dispose d’armement pouvant aller aussi loin”, souligne Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.

Depuis ces frappes, les spéculations sur le type de drone capable de toucher des cibles presque dans la banlieue de la capitale russe se sont multipliées. Moscou a affirmé qu’il s’agissait d’une arme de l’époque soviétique. “L’une des possibilités serait que les Ukrainiens aient puisé dans leur stock de Tupolev Tu-141 de la fin des années 1970-1980 et que ces drones aient été améliorés et équipés de missiles”, explique Jeff Hawn. 

À l’origine, le Tu-141 était utilisé comme drone de reconnaissance longue distance, mais “il n’est pas difficile, surtout pour un pays comme l’Ukraine, de moderniser l’engin afin d’en faire une arme”, assure l’expert américain. L’Ukraine a, en effet, une solide expérience en ingénierie puisque le pays “était le leader en matière de fabrication de fusées au sein du bloc soviétique”, rappelle Jeff Hawn.

La modernisation des Tu-141 n’est pas la seule hypothèse. “Kiev avait annoncé il y a quelques mois qu’un drone militaire à longue distance 100 % ukrainien serait prêt d’ici à la fin de cette année, et il se pourrait que ces attaques soient la preuve de la réussite de cette entreprise”, souligne Huseyn Aliyev, spécialiste du conflit ukraino-russe à l'université de Glasgow.

Il s’agirait d’un appareil “proche dans sa finalité des drones ‘kamikazes’ iraniens utilisés par la Russie, tout en étant plus évolué”, affirme cet expert. Ces armes seraient destinées à frapper et endommager spécifiquement des infrastructures - militaires ou civiles - mais pourraient voler bien plus loin que leurs cousines iraniennes. “Elles peuvent couvrir un rayon d’action allant jusqu’à 1 000 km”, précise Jeff Hawn. 

>> À lire aussi : Loin du front, les villes ukrainiennes sous la menace des drones iraniens

“L’utilisation de ces drones longue distance a clairement pris la Russie de court”, note Huseyn Aliyev. Le succès des attaques sur des cibles aussi stratégiques que les deux bases aériennes prouvent que Moscou ne s’y attendait pas.

Lacune dans les défenses russes

En théorie, les sites de Riazan et Engels-2 devraient être très hauts dans la liste des infrastructures militaires à protéger car “ils abritent des bombardiers stratégiques, qui sont en nombre très limité dans l’armée russe et servent à transporter des bombes sur une très longue distance. Y compris, potentiellement, des armes nucléaires”, souligne Huseyn Aliyev.

Le fait que deux avions de ce type aient été endommagés lors de l’attaque de drones constitue “un coup très dur pour Moscou”, poursuit l’expert de l’université de Glasgow. Surtout, ce revers démontre les “sérieuses lacunes dans la protection des sites militaires d’importance en Russie”, assure Jeff Hawn.

En effet, se protéger contre ce type d’attaque constitue le b.a.-ba de la défense antiaérienne. “Ces drones sont plutôt lents et volent à basse altitude sur une très longue distance, ce qui en fait des cibles plutôt faciles à abattre avant qu'ils atteignent leur cible”, assure Huseyn Aliyev.

Pour certains observateurs, ce succès ukrainien pourrait avoir un impact sur le cours de la guerre. Ces frappes ont exposé les faiblesses des défenses russes et pourraient encourager Kiev à les multiplier afin de viser les sites d’où la Russie organise les tirs massifs de missiles qui terrorisent la population ukrainienne depuis des semaines. “L’idée serait, au moins, de ralentir le rythme de ces bombardements russes”, explique Jeff Hawn.

Pour y parvenir, il faut cependant que Kiev ne soit pas rapidement à court de drones “kamikazes”, “ce qui est loin d’être évident”, reconnaît Huseyn Aliyev. En effet, si ces dernières attaques ont été menées en se servant de Tu-141 modernisés, leur nombre dépend des stocks soviétiques encore fonctionnels à disposition de l’Ukraine.

Conséquences politiques en Russie ?

S’il s’agit de nouveaux modèles “made in Ukraine”, la capacité ukrainienne à viser les sites en Russie va dépendre de sa capacité à en produire rapidement. Dans cette hypothèse, “comme ce sont les premiers drones militaires  longue distance, je pense qu’il faudra attendre un peu avant que le pays soit capable d’en fabriquer en suffisamment grand nombre pour avoir un impact décisif”, estime Huseyn Aliyev. 

Autre obstacle : les Russes ne vont probablement pas se laisser surprendre deux fois. “L’armée russe va très probablement mettre en place un dispositif de défense plus efficace des sites d’importance”, note Huseyn Aliyev. Encore faut-il qu’elle en ait les moyens. “C’est la grande inconnue. Il est difficile de savoir à quel point Moscou a dégarni ses arrières pour concentrer ses équipements sur le front”, poursuit l’expert militaire.

Pour lui, les conséquences de ces frappes non loin de Moscou ne seront pas seulement militaires. Le camp des faucons russes n’a pas tardé à appeler à une intensification des bombardements sur l’Ukraine en représailles. Problème : “Il est tout à fait possible que le Kremlin ne soit pas capable de frapper encore plus fort”, estime Huseyn Aliyev. Auquel cas, la colère des ultraconservateurs contre la manière dont la guerre est menée pourrait monter encore d’un cran.