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Ukraine : Que faire face aux crimes de guerre ?

La Cour pénale internationale (CPI) pourra-t-elle inculper Vladimir Poutine ? Sous quel motif ? Éléments de réponse.

Qui pourra avoir Vladimir Poutine dans son box des accusés ? La Cour pénale internationale (CPI) clame sa légitimité. Et en toute logique, puisqu’elle semble avoir été créée, en 1998, pour ce genre de situations : devant elle, les chefs d’État ne peuvent se prévaloir d’aucune immunité. Son tout nouveau procureur, Karim Khan, a ouvert une enquête huit jours seulement après l’attaque russe du 24 février. Du jamais-vu. Et il s’est lui-même rendu en Ukraine pour enquêter, alors que les combats faisaient rage. Il faut dire que ce dossier, assez évident et populaire, pourrait lui permettre de faire oublier le maigre bilan de la CPI (seulement cinq condamnations en vingt ans, uniquement des Africains et principalement des seconds couteaux) et son abandon, sous la pression des États-Unis, des enquêtes concernant les soldats américains en Afghanistan.

À l’inverse, un certain nombre de voix, et non des moindres (le président Zelensky, la présidence tchèque de l’Union européenne…), s’élèvent pour réclamer un tribunal créé spécialement pour « connaître de ces crimes », à l’image de ce qui a pu exister pour l’ex-­Yougoslavie ou le Cambodge, par exemple. Si une telle juridiction aurait le mérite de se concentrer sur ce seul conflit et, une fois en place, d’être, a priori, très effi­cace, elle présenterait des risques inhérents à sa nature. « On parle parfois de « justice de vainqueurs », explique Clémence Bectarte, coordinatrice du groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). Un tel tribunal se devrait d’être absolument impartial. Sans mettre sur le même plan, bien évidemment, la Russie et l’Ukraine, il faut qu’il ait à connaître de la situation en Ukraine en général. Et pas uniquement à poursuivre les responsables russes. Sans oublier que ça coûterait très cher. Et que l’argent est le gros problème de la justice pénale internationale. » Mais Philippe Sands, avocat franco-­britannique spécialisé en la matière, y voit un énorme avantage : « Puisque ni la Russie ni l’Ukraine n’ont adhéré à la CPI, elle ne peut pas poursuivre la Russie pour « crime d’agression » [emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ndlr]. Un tribunal ad hoc le pourrait. Or cette notion permet d’impliquer directement Poutine et son entourage. Toutes les preuves sont devant nous. Alors que, pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, c’est un travail de fourmi, qui prendra des années, voire des décennies. »

Les incriminations… un thème particulièrement sensible. Si l’agression, voire les crimes de guerre (violation des lois de la guerre d’une particulière gravité) et les crimes contre l’humanité (violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu pour des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux) paraissent assez évidents, la notion de génocide est, elle, plus discutée. « Ça devient de plus en plus difficile de répondre à cette question, explique un juriste en droit international, qui préfère rester anonyme. L’opinion publique est particulièrement choquée de ce qui se passe en Ukraine. Mais, comme pour tout dossier qui déchaîne les passions, le grand public ne comprend pas le temps qu’il faut à la justice. Pour l’instant, toute utilisation de ce terme est forcément politique. » « C’est une notion qui doit être établie judiciairement, et il faut en parler avec une très grande prudence, insiste Clémence Bectarte. Pour prouver un génocide, il faut montrer une intention d’extermination, en tout ou partie, d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. » « On y arrivera peut-être, à prouver le génocide, assure notre juriste anonyme. Mais les soutiens de l’Ukraine ne se rendent pas compte qu’en voulant aller trop vite avec ce terme, on risque de jeter l’opprobre sur toute la procédure, voire sur la justice pénale internationale en général. Et là, ce serait dramatique. »