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« Une partie des policiers est écrasée, l’autre s’autocensure »… Agnès Naudin dénonce « l’omerta » dans la police

C’est un « système policier » à l’agonie que décrit Agnès Naudin dans le livre Police, la loi de l’omerta *, coécrit avec Fabien Bilheran, un ancien gardien de la paix. Avec lui, cette capitaine de police, porte-parole de la FSU Intérieur et auteure de plusieurs livres, a recueilli les témoignages d’autres policiers qui, à visage découvert, dénoncent les dysfonctionnements de leur institution. « Violences policières, sexisme et racisme ordinaires, dissimulation de délits, abondance de faux en écriture publique, corruption, tyrannie hiérarchique, radicalisation médiatisée des syndicats ou encore politique du chiffre… », listent les deux auteurs.

Trop souvent, ajoutent-ils, « les fonctionnaires, s’ils parlent, craignent pour la grande majorité les conséquences sur leur situation professionnelle et personnelle ». « Ecrire un livre, c’était la possibilité pour nous de porter à la connaissance du public et des médias ce que nous avions à dire. Plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas », explique Agnès Naudin dans une interview accordée à 20 Minutes.

Dans le livre, il est beaucoup question du malaise policier. Qu’est-ce qui en est, selon vous, la cause ?

Elle est plurielle. Il y a ces manœuvres judiciaires et administratives pour écarter ceux qui l’ouvrent, dénoncent des faits criminels et délictuels dont ils sont témoins. Il y a le manque d’indépendance de l’IGPN (inspection générale de la police nationale) qui pose problème pour les enquêtes qu’elle est censée mener. Il y a aussi un souci avec la médecine préventive et statutaire. Aujourd’hui, elle sert à évincer les agents qu’on n’arrive pas à sanctionner ou qui dérangent.

Ceux qui ne l’ouvrent pas sont tenus par les syndicats, par le système de notation et de mutation. En résumé, il y a une part des policiers qu’on écrase, l’autre qui s’autocensure.

Le taux de suicide demeure élevé dans la police. Selon vous, l’administration n’a pas pris la mesure du problème ? 

Il y a de nombreuses associations qui se créent, comme Pep’s, qui s’occupent de la prévention du suicide. La raison, c’est que l’administration en interne n’est pas capable de mettre des outils efficaces en place. On aurait tout à gagner si les policiers savaient qu’ils ont une porte de sortie et un vrai service vers lequel se tourner. Il en existe bien un, mais son rôle consiste à faire en sorte que personne ne se barre, que tout le monde reste. L’administration n’est pas capable d’accompagner, de soutenir les fonctionnaires qui désireraient quitter les rangs et se reconvertir. Au contraire, elle les écrase.

Votre coauteur parle de son passage à la brigade des stupéfiants de la PJ parisienne, vécu comme une désillusion…

Il explique ce qui est déjà connu du grand public, à savoir que des infractions, des délits, sont commis. Par exemple, conserver des produits stupéfiants qui devaient être détruits afin de les refiler à des indicateurs. Ce qu’on dénonce, c’est qu’à partir du moment où un policier sort de la marge, on va essayer de l’écraser et on va monter des procédures judiciaires contre lui. Tous les fonctionnaires du groupe vont suivre et faire des faux en écriture car ils n’ont pas d’autre choix que de se mettre eux-mêmes en danger. Pour réussir, il faut fermer sa gueule, et bien évidemment on le fait.

Vous pointez aussi la fameuse politique du chiffre, que l’ancien ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, disait avoir abandonnée…

Non seulement elle n’a pas été supprimée, mais on l’a rendue plus performante en créant une cellule statistique au sein du ministère de l’Intérieur. Dans le livre, Stéphane Lemercier parle très bien de ce qu’elle engendre sur le terrain. Pour les fonctionnaires, il faut atteindre les objectifs que fixent les commissaires. Par exemple, si on a démantelé un point de deal l’année dernière, il faudra en trouver trois cette année, même s’ils n’existent pas. Il faudra donc se débrouiller, en créer. On pourra pour ça se contenter d’arrêter un vendeur sur la plage l’été. C’est ce qu’on appelle le narratif policier.

Il répond à ces questions : Quelle histoire veut-on raconter ? Et comment va-t-on fabriquer de la statistique pour agrémenter cette histoire ? Mais tout ça, ce n’est qu’une histoire, et pas la réalité. Ou alors une réalité qu’on finit par faire émerger.

Que faudrait-il faire selon vous ?

La première chose à faire, c’est donner à l’IGPN son indépendance. On pourrait au moins réfléchir à une inspection indépendante des forces de l’ordre, composée de policiers et de gendarmes qui investigueraient sur leurs affaires mutuellement. Il y a des pistes à creuser dans cette direction.

Il faudrait aussi rendre la médecine plus indépendante. En effet, les médecins qui sont chargés d’évaluer les fonctionnaires, qu’ils soient blessés ou en dépression, sont payés par le ministère de l’Intérieur. Les contrats des rares médecins qui reconnaissent des abus, des harcèlements, ne sont généralement pas reconduits. Il faut donc permettre au fonctionnaire de choisir son médecin. Il pourrait être sur une liste produite par le ministère, à l’instar des experts près des tribunaux. Il faut aussi mieux accompagner les officiers et les commissaires qui font du management avec des formations plus adaptées, et arrêter de faire de la cogestion avec les syndicats.

* « Police, la loi de l’omerta », éditions Le Cherche Midi, paru le 2 décembre 2022, 288 pages, 19,50 euros