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Vieillesse et autonomie : faut-il prendre ses parents âgés sous son toit ?

Avant le scandale Orpea, on n’avait déjà pas envie d’aller en Ehpad. Mais aujourd’hui, c’est pire ! » À 80 ans, Marie Geoffroy, sociologue à la retraite, est un des piliers de l’association Old’Up, qui travaille à rendre visibles les enjeux de la vieillesse. Une enquête sur la perte d’autonomie vient d’y être menée auprès de 3 200 adhérents et sympathisants de plus de 60 ans : « Plus de 90 % nous disent qu’ils veulent rester chez eux. 1 % seulement se voit en Ehpad », détaille Marie Geoffroy. « Le rejet de l’Ehpad est énorme », renchérit Martine Gruère, 77 ans, la vice-présidente de l’association.

Le livre de Victor Castanet sur les dérives du groupe Orpea, qui vient d’être réédité (1), a aussi eu un effet sur les familles, rétives à envoyer leurs vieux parents en institution. Un refus mêlé de culpabilité, car que faire lorsque vivre au domicile n’est plus possible – handicap trop lourd, troubles cognitifs ? Faudrait-il, se demandent certains, prendre nos parents âgés sous notre toit ?

Moins de 2 % des 75 ans et plus vivent chez un de leurs enfants

À l’heure actuelle en France, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), près de 114 000 personnes de 75 ans et plus vivent chez un de leurs enfants. Soit 1,6 % de la classe d’âge. « Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, dans une France encore rurale, c’était une configuration répandue, souligne le sociologue Michel Billé (2). Mais ce chiffre montre bien le bouleversement sociologique et culturel qui a eu lieu depuis. » Mécanisation de l’agriculture, industrialisation, urbanisation, protection sociale : en un demi-siècle, tout a contribué à rendre le modèle « trois générations sous un même toit » largement dépassé.

« Même si elles le voulaient, les familles auraient le plus grand mal à accueillir leur vieux chez elles », confirme Michel Billé. Pour plusieurs raisons : tout d’abord, l’espace disponible, surtout en ville. « Vous imaginez un couple vivant avec deux enfants dans un F3 au 10e étage d’une tour, accueillir la maman âgée ? Sans même une chambre pour elle ? Les logements sont souvent bien trop exigus aujourd’hui. »

Une « explosion géographique »

Autre bouleversement des dernières décennies : la dispersion des structures familiales. « Dans les années 1950, la mobilité des Français était bien moindre. Aujourd’hui, il y a une explosion géographique » qui rend la réunion des générations improbable, selon le sociologue. « Si vous vivez à Bordeaux et vos parents à Strasbourg, il paraît difficile de les déraciner pour les accueillir à des centaines de kilomètres de leurs amis, de leurs repères, de leur médecin, etc. » Le risque d’isolement social serait majeur, relève Michel Billé.

Enfin, la génération des baby-boomers, qui arrive aujourd’hui dans le troisième voire le quatrième âge, ne ressemble pas à celle de ses parents. « Moi, j’ai travaillé toute ma vie, j’ai toujours été indépendante, reprend Martine Gruère, à Old’Up. Je ne me verrais pas du tout vivre chez mes­ ­enfants. » Pour ne pas « peser sur eux » ; mais aussi pour vivre sa propre vie. « Dans notre enquête, relève Marie Geoffroy, il y a deux domaines dans lesquels les sondés ne veulent pas du soutien de leurs enfants : ce qui a trait à la toilette et la gestion financière. » Bref, rares sont les personnes âgées à vouloir vivre sous le toit de leur progéniture. « À la rigueur, dans un appartement proche… mais chacun chez soi », observe la retraitée, qui a elle-même vécu avec sa grand-mère lorsqu’elle était enfant. « À l’époque, ça semblait naturel – même si ce n’était pas tout rose. Un retour en arrière me paraît très improbable. N’oublions pas qu’avant 1945, on n’avait pas de retraite ou si peu, on n’avait pas le choix ! »

Des alternatives à l’Ehpad

Dès lors, que faire lorsque vivre à domicile, même avec le soutien de professionnels, devient trop difficile ? Ou synonyme de solitude ? « Il existe des alternatives à l’Ehpad, comme les appartements partagés, qui peuvent accueillir des personnes jusqu’à GIR 3 (en perte d’autonomie relativement avancée mais pas sévère, NDLR), souligne Lucile Rozanes Mercier, la directrice générale de la Fondation de Rothschild (15 établissements dans le domaine sanitaire et médico-social). Ce peut être une réponse pour des familles se sentant démunies, car soucieuses du bien-être de leurs proches mais en incapacité de les accueillir, même avec la meilleure volonté… »

D’après la Drees, 100 000 personnes vivent aujourd’hui en « résidences autonomie », composées d’appartements privatifs et d’espaces communs partagés, avec de possibles services médicaux. Un chiffre qui pourrait être multiplié par 1,5 ou 2,5 en 2030, selon ces statisticiens. D’autant que, comparée à d’autres pays européens, la France accuse un certain retard en matière d’innovation sociale dans ce domaine. Dès 2025, notre pays comptera plus de 1,4 million de personnes en perte d’autonomie (3).