France
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Viennent de publier : Fabrice Humbert, Anaïs Barbeau-Lavalette, Philippe Curval...

Romans

Fabrice Humbert

L’Expérience des fantômes

Gallimard, 263 pp., 20,50 €.

Le 11 juin 1847, Jane Franklin rêve de son mari, l’amiral John Franklin, célèbre aventurier de l’Arctique, il semble terrorisé. Fabrice Humbert amorce là son roman, sur un fil entre onirisme et histoire, basé sur la dernière expédition de Franklin parti en 1845 à la découverte du passage du Nord-Ouest. Sa femme remuera ciel et terre pour le retrouver vivant, exhortant l’Amirauté et jusqu’à la Russie à monter des expéditions de secours, en finançant certaines. Dans une fascinante course au mystère, l’Expérience des fantômes retrace les tentatives de comprendre le sort de l’équipage de l’Erebus et leurs retours penauds. Il se situe surtout dans la perspective de cette femme prête à tout, hantée par la figure de son mari, sensible aux sirènes surnaturelles et à qui le doute profite. Roman d’une aventure humaine, habilement tressé sur une légende et un mode souterrain d ‘enquête, l’auteur de l’Origine de la violence et du Monde n’existe pas passe et finit là où ne s’attendait pas. F.Rl

Anaïs Barbeau-Lavalette

Femme forêt

Lattès, 288 pp., 20,90 €.

La narratrice quitte la ville au début du confinement, avec son compagnon et leurs trois enfants. Ils s’installent dans une maison à l’orée d’une forêt. Sorte de poème en prose, Femme forêt est constitué de fragments ou de courts chapitres dans lesquels la narratrice explore ses sensations et la nature. Il y a des fulgurances dans les descriptions qui éclatent, ne s’attardent pas, n’utilisent pas de vocabulaire psychologique et pourtant traduisent des états de l’âme. Ceux des parents de la narratrice par exemple, unis depuis quarante-cinq ans contre vents et marées : «Ils ont aimé d’autres peaux, ont embrassé d’autres têtes avec tout ce qu’il y avait de neuf dedans, ont repris leur souffle. Ils sculptent la suite de leur duo, de glaise et de grésil.» Anaïs Barbeau-Lavalette, romancière et documentariste québécoise née en 1979, veut inventer un autre langage à l’occasion de cet isolement. Elle cite Romain Gary et Francis Ponge : «En ethnologie, en sociologie, en histoire, en philosophie, en politique, en psychologie, on ne parle que de l’humain. Les mots sont là, pourtant, et la mission de celui qui les possède pourrait être de les déposer sur ce qui l’entoure. C’est ce à quoi Ponge s’emploie.» V.B.-L.

Philippe Curval

Tronche

La Volte, 224 pp., 18,50 €.

A 93 ans, Philippe Curval continue à s’offrir des fantaisies littéraires où l’on sent frétiller son ardeur de vivre. Né à l’aube des années 30, il a connu Boris Vian et Topor, contribué à l’essor de la science-fiction en France, s’est passionné d’art, a épousé la curatrice Anne Tronche disparue en 2015. Son dernier roman se veut un hommage à l’avant-garde qu’il a fréquentée dans les années 60 à Saint-Germain-des-Prés, en particulier au nouveau réalisme. Mais il peut se lire sans prêter garde aux références, tant l’histoire y gambade allègrement derrière son héroïne, Rosépine Tronche, du vrai nom de l’auteur, titre court et facétieux. Naviguant de La Garde-Guérin en Lozère à Paris, et même à New York, Rosépine a le prénom de sa personnalité, libre penseuse, indépendante, tenace, guerrière capable de mettre un village hostile à genoux, orfèvre aux doigts d’or dans la confection de chandails puis de toiles performées, qui la mèneront bien loin. Curval parle à travers elle de la magie de l’éclosion d’un style, le moment le plus sensible et réussi de ce Tronche à toute allure. F.Rl

Nouvelles

Jurica Pavicic

Le Collectionneur de serpents

Traduit du croate par Olivier Lannuzel. Agullo «court», 180 pp., 12,90 €.

La guerre arrive toujours au mauvais moment. Dans «Le collectionneur de serpents», celui qui part pour le front en 1992 vient d’ouvrir un kiosque et de louer un local où il devait s’enrichir en vendant du carrelage. Chacun des textes fait ricocher l’intrigue sur un deuxième personnage. Ici, c’est un gosse, réquisitionné pour ses compétences en jeu vidéo, qui se distrait en tuant des serpents mais va devoir estourbir des ennemis en chair et en os. Une fois la paix revenue, certains préféreraient oublier, comme dans «Le héros», où un géomètre débusque un criminel de guerre. Un autre récupère de nos jours l’appartement familial, réquisitionné et coupé en deux dans les années 40 afin d’accueillir un travailleur : à sa mort, on découvre une chambre très spéciale («Le tabernacle»). Une infirmière en Croatie a négligé de répondre aux coups de téléphone de sa sœur qui vit à Belgrade. Il est trop tard pour le regretter («La sœur»). Démobilisé, un honnête garçon entre dans la police. Il est amoureux de la femme de son frère, un voyou («La patrouille sur la route»). Cinq nouvelles d’un auteur né à Split en 1965, connu en France pour ses polars, dont l’Eau rouge, grand prix de littérature policière en 2021. Cl.D.

Récits

Anne Le Maître

Le Jardin nu

Bayard «J’y crois», 145 pp., 14,90 €.

Une femme, la narratrice, perd l’homme qu’elle aime. Elle est alors poussée par un impératif : trouver un lieu nouveau pour s’installer, s’asseoir. «Une maison. Un bout de jardin. Un arbre.» L’endroit est ce qu’on appelle «une maison Castor», soit une maison mitoyenne, des années 50, avec un lopin de terre de 200 mètres carrés, périmètre humble où il y a de quoi nettoyer, planter, bouturer et tailler. Les oiseaux chantent au petit matin, l’élégante chatte des voisins vient bronzer, un hérisson joue à cache-cache : trois fois rien, et la vie qui suit son cours. «Les thérapeutes le savent bien, qui mettent entre les mains de ceux que la souffrance égare des chats et des fleurs : un jardin est un chemin de guérison.» Un récit paisible, posé, jalonné de citations (Louise Glück, Fernando Pessoa, Jacques Prévert…), d’Anne Le Maître, autrice et aquarelliste. T.St.

Nadine Eghels

Avec Paul

Arléa, 200 pp., 19 €.

En 2018 disparaissait Paul Andreu, l’architecte de l’opéra de Pékin, entre autres réalisations, mais également écrivain et peintre. Avec Paul, rédigé par sa femme Nadine Eghels trois ans après sa mort, est un récit sur Paul et Nadine et Nadine sans Paul. Ecrire Avec Paul, c’est dire qu’il n’y pas d’autre issue pour elle que de l’inclure dans la vie et de continuer à archiver ses textes, à protéger son œuvre car Paul était un être total sans lequel elle n’est qu’une vie individuelle et non plus une vie augmentée. Avec Paul est aussi un texte sur le processus de création, «chemin vers un but qui sans cesse recule», ligne sinueuse et floue à l’horizon inatteignable mais source de vie. Comme tout artiste Paul Andreu aura été toute sa vie à la recherche de quelque chose mais en ignorant quoi. Peut-être l’avait-il trouvé sans le savoir ou même dépassé sans le voir. N.A.

Essais

Collectif

Pédés

Sous la coordination de Florent Manelli. Points, 256 pp., 9,40 €.

«Pédé. Nous sommes pédés.» Au commencement, il y a certes l’insulte, comme dit le philosophe (Didier Eribon), mais il y a, ensuite, en guise de combat sa réappropriation collective. L’acte de retournement devient manifeste pour huit voix contemporaines – dont Adrien Naselli, journaliste à Libération –, réunies sous la houlette de l’auteur et illustrateur Florent Manelli, qui appellent de leurs vœux à la mise en branle d’une «pédérité» – une sororité des pédales – à défaut de solidarité masculine. Soit «avoir conscience de soi et des siens, faire communauté avec eux». «Pédé, c’est un feu de forêt intérieur qu’on passe sa vie entière à contenir», (d)écrit par exemple Mathieu Foucher, alias Camille Desombre, à propos de cette identité homosexuelle politiquement revendiquée, mais non monolithique. «Ne pas le laisser déborder sinon on meurt. Ne jamais l’étouffer tout à fait sinon on meurt aussi.» Choral et puissant, l’ouvrage pose sous un nouveau jour une question centrale des luttes gays : qu’est-ce qui fait dans nos vécus, malgré les différences de genre, de classe ou de race, cause et horizon communs ? F.B.

Philosophie

Claude Obadia

Petite Philosophie du grand large

Préface de Jean Le Cam. Le Pommier, 168 pp., 16 €.

Agrégé de philosophie, Claude Obadia n’enseigne pas seulement dans le second degré : il est aussi moniteur de voile et navigateur. Aussi mers et rivages ne sont-ils pas décrits ici avec un «regard éloigné», mais comme lieux et occasions d’une véritable expérience philosophique. «Si la navigation a quelque chose à voir avec la réflexion, c’est d’abord parce que l’une et l’autre réclament de l’engagement», et sûrement aussi le courage, dans le cas du marin, d’oser traverser un océan agité par de terribles tempêtes, cachant les pires embûches, et, dans le cas du philosophe, de vouloir accoster à une vérité brouillée par l’opinion, les fausses idées, les préjugés. On ne sait pas s’il existe des vertus maritimes que susciterait une vie philosophique, mais à lire Obadia on ne doute pas qu’il existe «des vertus philosophiques de la vie au grand large». Vivre en mer «réclame autant d’audace que de prudence, autant de détermination face aux difficultés que d’humilité et de patience » – soit ces vertus que dès son aurore grecque saluait la philosophie. R.M.