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Vote au Sénat pour l’inscription de l’IVG dans la Constitution : «Ce n’était pas inespéré mais pas gagné»

Il s’en est fallu de peu, une poignée de secondes, pour que le Sénat manque cet instant historique. A 20h45 mercredi, à la toute fin de la niche socialiste, la chambre haute à majorité de droite s’est prononcée par 166 voix contre 152, pour l’inscription dans la Constitution de la «liberté de la femme» de recourir à l’IVG. Un texte de compromis presque inespéré permis par un amendement du Républicain Philippe Bas. Le texte adopté en première lecture par les sénateurs, qui doit maintenant retourner à l’Assemblée nationale faute d’avoir été voté dans les mêmes termes, vise à compléter l’article 34 de la Constitution avec cette formule : «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse.»

Dans les couloirs du palais du Luxembourg, Albane Gaillot, chargée de plaidoyer au Planning familial, voit le verre à moitié plein : «On ne parle pas de droit à l’avortement comme on le souhaitait, mais c’est une belle victoire pour les droits des femmes. Une nouvelle étape s’enclenche. Le texte doit maintenant être amélioré au gré de la navette parlementaire.»

Flanqués des mots «contre», «abstention», «n’a pas pris part au vote», les noms des sénateurs de droite s’étant opposés à la constitutionnalisation de l’IVG le 19 octobre s’étiraient ces derniers jours sur les réseaux sociaux comme autant d’espoirs de faire basculer ce nouveau vote. Le premier texte porté par la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, qui évoquait également la contraception, avait été rejeté de seulement 17 voix. Il était donc permis d’y croire ce mercredi pour l’examen de la proposition de loi constitutionnelle (PPLC) visant à inscrire que «la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse».

Le 24 novembre, ce texte de la patronne des députés LFI, Mathilde Panot, avait été adopté avec 337 pour et 32 contre à l’Assemblée nationale. Un premier pas historique ayant marqué un rare moment d’entente entre la majorité présidentielle et la Nupes. A la sortie du Palais du Luxembourg, Mélanie Vogel souligne le travail accompli «depuis des mois, voix par voix, vote par vote. Ce n’était pas inespéré mais ce n’était pas gagné.» Elle lit dans ce vote une «victoire démocratique. Pour une fois, sur un sujet aussi important que le droit à l’IVG, le Sénat n’est pas le seul lieu [de pouvoir] à s’opposer à une avancée souhaitée par 81 % des Français» lâche-t-elle, essoufflée de bonheur, en référence au résultat d’un sondage de l’Ifop réalisé pour la fondation Jean-Jaurès en juin 2022.

«Les femmes n’ont pas besoin de symbole»

Par trois fois, entre 2017 et 2019, les groupes de gauche avaient déjà porté ce combat sans parvenir à leurs fins. Et pendant près de deux heures ce mercredi, les sénateurs se sont à nouveau évertués à rejouer la même partition. Battant la mesure, Agnès Canayer, rapporteuse LR de la commission des lois, a conspué une «fausse bonne idée», notant que la suppression du volet contraception ne suffisait pas à «lever les doutes» et que la protection du droit à l’IVG est suffisamment «solide». Le refrain est désormais connu : que vient faire un débat importé des Etats-Unis en France ?

Presque en chœur, ses collègues ont également opposé cette protection au sommet de la hiérarchie des normes à l’effectivité du droit à l’avortement, qu’ils auraient soudainement à cœur de renforcer. «Les femmes n’ont pas besoin de symbole. Elles veulent des moyens, des médecins», a osé Marie Mercier, sénatrice Les Républicains.

Stéphane Ravier, sénateur d’extrême droite, a, lui, tenté de mettre fin aux débats avant même leur commencement avec une question préalable de constitutionnalité, rejetée en bloc. Le tout en vociférant contre un «texte inutile et dangereux», une «attaque à la vie». Une rhétorique anti-IVG interrompue à quelques minutes de la fin des débats par cinq militantes féministes du collectif L’Amazone, s’époumonant les poings levés : «Protégez l’IVG ! La Constitution c’est aussi pour les femmes.»

Action coup de poing des Amazones au Sénat pour exiger la constitutionalisation de l’IVG

La Constitution, c’est aussi pour les femmes !

Crédit 🎥 Julie Rodrigues pic.twitter.com/FDea6egAVq

— L'Amazone (@l_amazone_) February 1, 2023

Le sénateur LR Philippe Bas est finalement parvenu à déverrouiller la situation en déposant l’amendement adopté dans l’optique de «garantir l’équilibre de la loi Veil». Cette formulation «consolide cette liberté mais prévoit que le législateur en détermine les conditions», a-t-il appuyé. Une manière de formaliser dans la loi fondamentale une «liberté», selon lui, «déjà reconnue par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001, qui lui a donné valeur constitutionnelle».

Pour Agnès Canayer, qui y voit une redondance de l’article 34 de la Constitution, ce texte «n’apporte rien». Et ce, bien qu’il vienne de son propre camp. «Ce n’est pas un amendement du groupe, c’est l’amendement d’un homme. Philippe Bas a une aura, c’est un ancien collaborateur de Simone Veil, ça a influencé certains de nos collègues», lâche-t-elle en sortie de séance.

«Ils sont d’accord sur le fait qu’il faut le faire»

Loin d’être satisfaite de cette formulation, la gauche a fait preuve de responsabilité, se rangeant derrière cette chance de faire un pas de plus vers la constitutionnalisation, mais aussi en limitant leurs prises de parole face aux tentatives d’obstruction de certains élus de droite cherchant à empêcher le vote dans le temps imparti. «Ce serait en France notre fierté et notre honneur d’inscrire dans la Constitution le droit des femmes à disposer de leur corps», a lancé la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie.

Le gouvernement est plus que jamais sommé de prendre ses responsabilités. «N’attendons pas qu’il soit trop tard pour défendre» ce droit, a justement introduit le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, en réaffirmant le soutien de l’exécutif à ces initiatives parlementaires. Le message est clair pour Mélanie Vogel : «Les parlementaires ont montré qu’ils ne sont pas d’accord sur la manière de le faire mais qu’ils sont d’accord sur le fait qu’il faut le faire.» La sénatrice PS Laurence Rossignol remarque en fin séance : «On est encore loin du but.» Mais son sourire en dit long, la France n’a jamais été aussi près.