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« Yapou, bétail humain », de Shozo Numa : le quarantième siècle sera masochiste ou ne sera pas

Nouvelle édition du grand œuvre de Shozo Numa, vertige érotique désenchanté issu des années 1950 japonaises. Décrivant par le menu la gynocratie raciste et dictatoriale d’une lointaine planète, ce roman est l’un de ceux qui pulvérisent les cadres de la littérature.

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« Yapou, bétail humain » (Kachikujin yapu), de Shozo Numa, traduit du japonais par Sylvain Cardonnel, annexes inédites de l’auteur et postface du traducteur, Laurence Viallet, 1392 p., 35 €.

Selon le philosophe et critique franco-américain George Steiner (1929-2020), ­certaines fictions-limites constituent, au sein des galaxies littéraires, d’« effrayantes bouches d’ombre » qui dévorent la langue, désorbitant vision et représentation. Citons, parmi ces textes, Histoire de Juliette, de Sade (1797), Nord, de Céline (1960), Au cœur des ténèbres, de Conrad (1899) ou Last Exit to Brooklyn, d’Hubert Selby Jr (1964).

Un tel trou noir s’est ouvert, en 1956, dans la littérature japonaise contemporaine. Il a nom Yapou, bétail humain. Edité en France une première fois, en trois tomes, en 2005, par Laurence Viallet, l’ouvrage paraît ici en un volume unique, agrémenté d’une précieuse postface du traducteur Sylvain Cardonnel. Signé du pseudonyme de Shozo Numa, ce roman-fleuve déroule méticuleusement, sur près de 1 300 pages et 49 chapitres, les fastes hallucinants d’une saga intergalactique sadomasochiste greffant les fastes cosmiques et dystopiques d’un space opera sur l’imaginaire fantasmatique du récit de domination, deux genres rarement connectés dont Yapou pulvérise les cadres.

Un sous-être déshumanisé

Cette odyssée des corps s’amorce en 1960, alors que l’aristocrate allemande Clara Von Kotwick et son fiancé, le judoka japonais Rinichiro Sebe, assistent, non loin de Wiesbaden, à l’atterrissage accidentel d’un ovni venu du futur. A son bord Pauline Jansen, membre d’une famille de hiérarque de l’EHS, un « Empire de cent soleils » gouvernant, deux millénaires plus tard, en 3970, la planète Karl de la galaxie de Sirius, planète où ont migré certains peuples terriens. Transférés, par-delà temps et espace, sur Karl, les deux héros découvrent alors le monde de Yapou : une gynocratie raciste et dictatoriale. La femme blanche y règne sans partage, dominant une société de soumis dont la hiérarchie intègre l’homme blanc féminisé, pitoyable caricature de l’ancienne condition imposée aux femmes, l’homme noir asservi, au statut d’être semi-humain, et surtout le Yapou, sous-être déshumanisé.

Ce descendant lointain des Japonais est devenu, à l’aide de tout une ingénierie chirurgicale et à l’issue de manipulations génétiques radicales, un « bétail humain », instrument charnel apte à remplir les fonctions de toutes formes d’objets et ustensiles, du fauteuil au sextoy en passant par la brosse à reluire et la cuvette des toilettes. C’est au cœur de cette société que vont se fondre les deux protagonistes : Rinichiro devenant, par amour pour Clara, un Yapou consentant. Une mutation corporelle et un renversement du rapport amoureux qui ne prendront – malgré l’ampleur hypertextuelle d’un texte dense abondant en renvois internes et en digressions ­historico-théoriques –, qu’une trentaine d’heures. Le récit vaut surtout par la présentation détaillée des mutations physiques et la minutie descriptive, celle d’un catalogue d’objets ménagers, qui prévaut scène après scène.

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