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Yukinobu Tatsu: "Avant Dandadan, j'ai failli jeter l'éponge"

Yukinobu Tatsu: "Avant Dandadan, j'ai failli jeter l'éponge" Les superlatifs ne sont pas assez nombreux pour qualifier ce que l'on pense ici du nouveau hit du Jump+ tant il frôle la perfection. Les mangaphiles nippons ne s'y sont pas trompé, le premier chapitre totalisant plus d'un million de lectures en moins de 48h. Son auteur, Yukinobu Tatsu, raconte à L'Internaute la (difficile) genèse de Dandadan.

Débarqué par surprise le 6 avril 2021 sur Jump+, la plateforme de lecture en ligne de l'éditeur Shueisha, le manga Dandadan a été un succès instantané. Un million de pages vues en moins de 48h pour le premier chapitre. L'engouement pour la première série Shueisha de l'auteur Yukinobu Tatsu n'a depuis cessé de croître : les trois premiers chapitres ont aussi battu des records de célérité à atteindre le million de pages vues. Le premier volume relié (tankôbon) s'est écoulé comme des petits pains (plus d'un million et demi de tomes sont en circulation au Japon). Et la suite de la série n'est pas en reste. Il faut dire que le manga n'accuse aucune baisse de qualité tout au long de sa publication. Au contraire, l'intrigue progresse et se densifie au fil des arcs narratifs et la mise en scène dynamique invite le lecteur à tourner les pages frénétiquement. Mais avant de connaître le succès, son auteur a traversé bien des galères. Des dessins sur des tickets de caisse au comptoir d'une supérette aux refus en série, le maître et son tantô racontent la genèse de Dandadan.

Linternaute.com : Est-ce que vous vous souvenez de ce qui vous a fait vous dire "je veux devenir mangaka"?

Yukinobu Tatsu : après mes études, je ne trouvais pas de poste de salarié, alors j'ai continué mon job étudiant. J'avais un petit boulot dans un konbini* (supérette généralement ouverte 24h/24 et 7j/7, NDLR), où je travaillais de nuit. Il m'arrivait de griffonner au verso des tickets de caisse. En voyant mes dessins, mon manager m'a dit: "Tu dessines super bien, tu devrais faire mangaka." C'est le déclic qui m'a poussé à me lancer dans cette carrière.

Quelles démarches avez-vous faites une fois que vous avez décidé de devenir mangaka?

Yukinobu Tatsu : j'ai écrit dans la foulée un manga pour le présenter à un concours. Vu que j'aimais bien Gundam, j'ai écrit une histoire de 100 pages de Gundam. Tout au stylo. Mais le stylo ne se scanne et ne s'imprime pas très bien (rires)… En ignorant le b.a.-ba du manga, j'ai présenté mon manuscrit au concours. Finalement, je n'ai pas été retenu, mais l'équipe éditoriale m'a contacté pour me dire "comme tu dessines bien, même si tu n'as pas reçu le prix, ne voudrais-tu pas rentrer dans l'équipe en tant qu'assistant ?"  J'ai dès lors commencé à travailler dans le monde du manga.

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Est-ce que vous pouvez nous dire sur quel titre vous avez débuté en tant qu'assistant ?

Yukinobu Tatsu : sur un manga nommé MS Gundam Orera Rempo Gurentai, une sorte de spin-off de la guerre d'un an (sur la guerre d'indépendance de Zeon, NDLR). Sono-sensei travaillant sur le projet Freedom, j'ai eu l'occasion de l'aider en tant qu'assistant. (Freedom est une série d'OAV au chara-design de Katsuhiro Ôtomo dont le projet a commencé en étant une publicité commandé par Nissin pour ses Cup Noodles emblématiques, NDLR).

Quelles sont vos principales influences ?

Yukinobu Tatsu : dans les mangas, ce qui m'a beaucoup influencé, c'est Lampo de Tetsurô Ueyama. Je regarde aussi beaucoup de films. C'est le médium qui m'inspire le plus, aussi bien pour l'écriture que pour la mise en scène.

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Vous publiez votre première série en 2010 à 25 ans dans le Monthly Shônen Magazine, Seigi no Rokugô (la justice de Rokugô), puis en 2013 Fire Ball !. Entre les deux séries, il y a déjà un premier gap graphique, notamment sur les expressions des personnages. Qu'avez-vous changé?

Yukinobu Tatsu : mon trait a progressé sans que ce soit un objectif en soi. Je ne me suis pas dit:  "Il faut que je dessine mieux". Par contre, je fais très attention à bien transmettre aux lectrices et aux lecteurs les émotions des personnages. C'est probablement pour cela qu'ils ont gagné en expressivité.

Shihei Lin: pour moi, tu penses continuellement à t'améliorer. Et à tous les niveaux, pas qu'en termes de dessin. Bien sûr, en lisant le premier tome de Dandadan, tu peux sûrement te dire "j'ai progressé" entre certains chapitres. Ne sois pas gêné d'apprécier les progrès de tes dessins. Pour moi, ta velléité de t'améliorer est indéniable et cela se ressent évidemment sur ton dessin qui s'affine avec le temps.

Ces deux premières séries se sont terminées après 2 et 5 volumes. Qu'avez-vous retiré de ces expériences ?

Yukinobu Tatsu : j'ai appris qu'il était crucial de savoir capter l'attention des lecteurs. Guider leur regard avec des lignes de force ou bien en ajustant les centres de gravité des planches.

© DANDADAN © 2021 by Yukinobu Tatsu/SHUEISHA Inc.

Après ces premières expériences chez Kodansha, vous appelez Jump Square et c'est monsieur Shihei Lin qui décroche. Comment s'est passé ce premier échange?

Yukinobu Tatsu : je me suis d'abord dit: "Monsieur Lin parle diablement vite!" (rires)

Shihei Lin: tu m'as donné des pitchs de mangas. Nous avons pris rendez-vous et il est venu au bureau me montrer ses planches. Nous avons échangé à leur sujet pour essayer d'en tirer des histoires.

Vous attendiez-vous à devenir si proches ?

Yukinobu Tatsu : c'est vrai que nous sommes très proches aujourd'hui… Au début non, on n'y pensait pas. Quand je suis parti du Monthly Shônen Magazine (le principal magazine mensuel de l'éditeur Kodansha, NDLR), je ne m'entendais pas très bien avec mon éditeur et je cherchais un nouveau magazine mensuel où m'épanouir.

Shihei Lin : il avait postulé auprès de plusieurs magazines. Y compris chez Kodansha. À l'époque il avait déjà travaillé avec plusieurs tantô (responsable éditorial, NDLR), donc il savait un peu ce qu'il voulait comme relation de travail. Suite à ses candidatures, il avait plusieurs touches…

Yukinobu Tatsu : mais finalement, je n'ai signé qu'avec Lin.

Shihei Lin : je pensais qu'à l'époque plusieurs tantô supervisaient ton travail.

Yukinobu Tatsu : je m'étais dit: "Comme monsieur Lin a l'air très intéressé et impliqué, autant ne travailler qu'avec lui."

Lire aussi : Shihei Lin, l'homme qui murmurait aux oreilles des mangakas

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Dès 2015, vous publiez deux one-shots dans Jump Square (Romance Cultuvation Method et Kami no Iru Machi). Comment faites-vous pour être aussi rapide?

Yukinobu Tatsu : le plus important est de définir un emploi du temps et de s'y tenir avec rigueur.

Shihei Lin : je pense que ton travail au konbini t'a permis de comprendre à quel point le temps était précieux et d'optimiser ta manière de l'utiliser.

Yukinobu Tatsu : c'est vrai, même si je n'ai que 5 minutes de libre, je m'arrange pour…

Shihei Lin : … les utiliser pour le travail… Au début, je me demandais aussi pourquoi tu étais aussi rapide.

Vous avez suivi Shihei Lin à Jump+, mais votre rêve était de publier dans le Weekly Shônen Jump et aucun projet n'était validé. Était-ce difficile de redevenir assistant après avoir déjà été publié?

Shihei Lin : en fait, même quand il a publié ses one-shots dans Jump Square, Yukinobu continuait à être assistant dans plusieurs studios. Mais il y a eu plusieurs problèmes d'impayés et financièrement la situation n'était pas tenable. Il m'a demandé si je n'avais pas un endroit où lui conseiller d'être assistant. Je lui ai présenté le studio de Fujimoto (l'auteur de Fire Punch et Chainsaw Man, NDLR). Il a quitté les autres studios pour devenir assistant de Fujimoto-sensei. Avant Dandadan, il n'a jamais cessé d'être assistant il me semble.

Yukinobu Tatsu : oui tout à fait. Et j'en avais marre de bosser à l'œil car cela s'était déjà produit sur mon précédent lieu de travail. Je voulais travailler pour quelqu'un qui me paierait correctement à la fin du mois, alors travailler pour M. Fujimoto fut un vrai plaisir.

Shihei Lin : jusqu'à ce que tu aies ta propre série publiée, tu étais toujours assistant. Après, tu es resté tout le temps avec Fujimoto-san, Tatsu-san (Tatsuya Endo, ancien assistant de Tatsuki Fujimoto et auteur du manga Spy x Family, NDLR) et Kaku-san (Yûji Kaku, ancien assistant de Tatsuki Fujimoto et auteur du manga Hell's Paradise, NDLR).

Yukinobu Tatsu : oui, tout à fait.

imageboard d’un concept qui n’a pas été validé par les équipes éditoriales. © Yukinobu Tatsu

Vous avez donc été assistant de Tatsuki Fujimoto et Yûji Kaku. Qu'avez-vous appris auprès de ces deux mangakas?

Yukinobu Tatsu : l'importance du majikan. Ce qui définit la "réalité", le réalisme d'une œuvre. Par exemple, cet humain ne va pas dire ça, ce personnage ne va pas se comporter comme ça, il ne va pas poser cet objet ici… La cohérence générale. On en parlait beaucoup tous les trois, je ne sais pas si c'est quelque chose que j'ai appris, mais on en discutait énormément.

Fujimoto-sensei est par exemple un grand cinéphile. Est-ce une passion que vous partagez? Ou bien vous l'a-t-il transmise?

Yukinobu Tatsu : On aime tous les films. Il n'y a pas eu d'influence sur ce phénomène.

Shihei Lin : oui, tout le monde aime le cinéma. D'ailleurs, le plus passionné est sûrement Yûji.

Yukinobu Tatsu : oui, c'est vrai que Yûji regarde énormément de films.

Shihei Lin : en tout cas, Yuji est celui qui en regarde le plus… et qui décortique le plus les détails. Il les regarde plusieurs fois, surtout qu'il a une sacrée collection de DVD. Après, chacun à ses préférences. Des animés de robots et des sentai (équipe de héros, souvent avec une couleur par personnage, comme dans Bioman, NDLR) pour Tatsuki Fujimoto par exemple, chacun à son genre de prédilection.

Yukinobu Tatsu : j'adore les nanars, les films de série B ou Z, comme Sharknado. Je l'ai beaucoup conseillé à maître Fujimoto.

Shihei Lin : de mon point de vue, Fujimoto étant le plus jeune, il suivait beaucoup vos recommandations de films. C'est mon impression en tout cas.

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Quand vous avez rejoint l'équipe de Fujimoto-sensei, vous aviez en collègues assistants Yûji Kaku et Tatsuya Endo. Qui ont connu le succès avec leurs séries Hell's Paradise et Spy x Family. Est-ce qu'il y a une école du succès auprès de Fujimoto-sensei ?

Yukinobu Tatsu : non, absolument aucune école du succès (rires).

Shihei Lin : ha ha ha,  c'est dur… Maître Endo n'est pas resté assistant très longtemps. Il n'est venu en tant qu'assistant que pour les 2-3 premiers chapitres de Fire Punch.

Yukinobu Tatsu : c'était vers le début…

Shihei Lin : comment dire. À ce moment-là, c'était un instant où tout le monde a évolué. Plutôt que de dire que c'est maître Fujimoto qui a enseigné aux autres, j'ai plus l'impression que ces évolutions sont la résultante des échanges entre les uns les autres. D'ailleurs, j'ai l'impression qu'ils ont eu une relation d'égal à égal, pas une relation maître/élève. C'était la première série de Tatsuki Fujimoto, ainsi Tatsu et Kaku qui avaient plus d'expérience lui ont appris beaucoup de choses. Les principes de base de la mise en scène sur une planche, l'encrage et même comment renseigner les indications pour la réalisation des décors et les tramages. Pour moi, c'est cette relation de pairs, qui sont même devenus amis, qui leur a permis à chacun de se révéler au mieux en puisant auprès des autres ce qui pouvait leur faire défaut.

Yukinobu Tatsu et son éditeur Shihei Lin ont présenté des dizaines de projets qui ont été rejetés par le comité de rédaction de Jump+

Durant ces sept années où vous avez été assistant sous la houlette de Shihei Lin, vous avez continué à soumettre des projets (robots, aliens, hommes-bêtes, esprits, etc.). D'où vous vient cette inspiration sans fin?

Yukinobu Tatsu : d'où ?! Des films…

Carnet de croquis de Yukinobu Tatsu, qui conserve la trace de centaines de projets avortés. © Yukinobu Tatsu

 Comment avez-vous gardé la foi?

Yukinobu Tatsu : c'était difficile. Avec Shihei Lin, nous avons présenté des dizaines de projets que nous trouvions intéressants au comité éditorial. Mais tous ont été rejetés. J'étais extrêmement confiant sur le dernier, au nom de code Kyonshi. Mais celui-ci aussi a été rejeté. Ça m'a coupé la motivation de continuer. J'étais comme cassé. Avant Dandadan, j'ai failli jeter l'éponge.

Comment avez-vous surmonté cette épreuve?

Yukinobu Tatsu : j'ai dit à Lin, lors d'une soirée de réunion annuelle où nous avions un peu bu, que je n'étais plus capable de dessiner un manga. Il m'a répondu: "Dessine ce que tu veux mais ramène quelque chose, ça peut être une page d'illustration, 4 pages de manga ou autre. Dessine librement, lâche-toi, sans aucune pression, et vient me voir." J'ai répondu d'accord. Et quand j'ai dessiné, j'ai réussi à dessiner Dandadan et on a décidé de le présenter au comité éditorial.

Shihei Lin : avant Dandadan, et surtout avec le projet Kyonshi, maître Tatsu s'est énormément investi et ce pendant une très longue période pour enchaîner les projets super peaufinés, chacun lui demandant une grande période de conception.  Peut-être qu'en enlevant cette contrainte de réalisation, nous avons libéré maître Tatsu qui a intuitivement réussi à réaliser une œuvre plus intime, plus habitée.

© DANDADAN © 2021 by Yukinobu Tatsu/SHUEISHA Inc.

Le concept de Dandadan est donc né lors d'une soirée arrosée.  Mais qu'est-ce que vous avez donc bu? Le peuple veut savoir! (rires)

Shihei Lin : nous étions dans un izakaya (bar à tapas, NDLR), dans un coin reculé.

Yukinobu Tatsu : c'était une soirée organisée par maître Fujimoto.

Shihei Lin : pour son boonenkai (banquet de fin d'année) qu'il organise avec tous ses anciens collaborateurs.

Yukinobu Tatsu : nous avons bu du shôchû fait avec de la patate douce et coupé à l'eau chaude.

Votre tantô et vous devez être fiers d'avoir cru en cette série au vu de son succès? (plus d'un million de pages vues en 48h pour le premier chapitre, 1.150.000 exemplaires en circulation en 2021…)

Shihei Lin : plus que de la fierté, le sentiment qui prévaut est celui du soulagement.

Yukinobu Tatsu : oui, c'est vrai.

Shihei Lin : mais par la suite, il va falloir garder ce plaisir intense de dessiner ce manga. Ça va être compliqué, mais plus longtemps nous arriverons à garder cet état d'esprit, mieux ce sera. C'est en tout cas ce que je souhaite sincèrement.

Yukinobu Tatsu : Je n'ai pas d'autre sentiment qu'une énorme reconnaissance. Après autant d'inquiétudes, difficile de ressentir autre chose. Merci à toutes celles et ceux qui ont acheté ce manga. Je suis soulagé.

Malgré ce succès, arrivez-vous encore à travailler sans aucune pression ?

Yukinobu Tatsu : je dessine toujours avec plaisir mais quand je présente les chapitres à Lin ou au comité éditorial, j'ai toujours une sorte d'angoisse.

Vous avez commencé la publication de Dandadan alors que vous n'aviez story-boardé que 3 chapitres, sans avoir aucune idée de la suite de l'histoire.  Est-ce que vous connaissez déjà la fin ou les principaux arcs narratifs ?

Yukinobu Tatsu : la fin est déjà prévue. Mais le chemin pour y arriver n'est pas encore décidé. Nous posons les bases, pierre par pierre, en discutant avec Lin.

Dandadan, de Yukinobu Tatsu, édition Crunchyroll, 7,29€

Conscient du fort potentiel de ce titre, l'éditeur Crunchyroll (anciennement Kazé) a tiré les deux premiers volumes à 300 000 exemplaires chacun et mis en place une campagne de promotion qui n'aura rien à envier à celle de Kaiju 8. "Nous espérons que nos fans apprécieront la manière dont nous avons l'intention de mettre en avant ce titre passionnant. Nous avons été ravis de la réaction des lecteurs suite à notre campagne de lancement Kaiju 8. Vous pouvez être assuré que nous serons tout aussi ambitieux avec Dandadan" confie John Easum, Responsable publishing EMEA de Crunchyroll. Si l'éditeur (et ses concurrents) aura à l'œil les chiffres de ventes de la premières semaine (pour rappel Kaiju 8 avait dépassé les 22 000 exemplaires écoulés en une semaine), il regardera aussi attentivement "les retombées sur la communication et l'implantation au long terme de la série au fort potentiel".

Une fois que vous aurez lu et apprécié Dandadan, nous vous invitons à lire la seconde partie de notre entretien avec Yukinobu Tatsu, où il entre plus dans les détails de sa manière de travailler.