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Festival de San Sebastian: «El Eco», de Tatiana Huezo, filmer l'enfance et la transmission

Après une incursion dans la fiction, la réalisatrice Tatiana Huezo renoue avec le documentaire avec le film El Eco, déjà salué au festival de Berlin et présenté à San Sebastian dans la section Horizontes latinos. Mûri pendant plusieurs années, tourné durant de longs mois, El Eco propose une émouvante immersion dans une petite communauté villageoise de l'État de Pueblan au sud-est de la capitale. Un film à hauteur d'enfants et d'adolescents, sur la transmission. 

de notre envoyée spéciale à San Sebastian,

Les bêlements désespérés d'une brebis, la pluie, les aboiements d'un chien... Une bande-son qui, d'emblée, avant même les premières images, donne le « la ». Une jeune femme court sous la pluie avec ses deux enfants pour sortir une brebis tombée dans un trou d'eau. C'est l'une des trois cellules familiales que la petite équipe du film dirigé par Tatiana Huezo va suivre pendant les 18 mois de tournage. Un an et demi de tournage et quatre années de préparation avec la communauté, dans les familles, à partager leur quotidien. À entrer dans leur intimité, « entrer dans la cuisine » comme on dit au Mexique, explique la réalisatrice, dont c'est le cinquième long-métrage.

Filmer les enfants, elle sait merveilleusement faire. On l'avait déjà constaté dans son film (de fiction) précédent, Noche de fuego, découvert dans ce même festival en 2021. La caméra est attentive à leurs émotions, à fleur de peau ; elle suit les regards et adopte leur point de vue : le regard grave de Luz Maria qui assiste de loin à une dispute feutrée entre ses parents. Sa mère, la sauveteuse de brebis, reproche au père, un maçon qui travaille au loin, de ne pas être assez présent auprès des enfants et de ne pas avoir assez de considération pour son travail à elle. « Et si moi je partais travailler quinze jours au loin et que tu restes avec les enfants », lui lance-t-elle, provocatrice... Dans cette communauté rurale, les hommes doivent partir pour gagner du numéraire, car l'agriculture est une agriculture d'auto-subsistance, expliquait la réalisatrice lors de la présentation du film.

D'origine salvadorienne, Tatiana Huezo travaille au Mexique depuis de longues années. Son film, El Eco, déjà couronné du prix du meilleur documentaire au festival de Berlin, est en compétition à San Sebastian dans la section Horizontes latinos et sera aussi au festival de Morelia, au Mexique, fin octobre.
D'origine salvadorienne, Tatiana Huezo travaille au Mexique depuis de longues années. Son film, El Eco, déjà couronné du prix du meilleur documentaire au festival de Berlin, est en compétition à San Sebastian dans la section Horizontes latinos et sera aussi au festival de Morelia, au Mexique, fin octobre. © Pablo Gomez / Festival de San Sebastian

Pas de voix off ici, à la différence de ses précédents documentaires : les bruits de la nature, extraordinairement présente – et magnifiquement filmée par Ernesto Pardo, le chef opérateur –, les échanges entre les personnages, les jeux des enfants, la salle de classe – la vraie et celle imaginée par l'une des petites filles qui adore jouer à la maîtresse –, les cris des animaux... tissent une toile sonore qui rend extraordinairement vivante cette communauté.

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Le film est l'histoire de transmissions, comme le suggère le nom du village, l'écho. Ce sont les légendes de sorcières qui sucent le sang des nouveau-nés la nuit et qu'écoutent à la veillée, bouche bée, les jumeaux ; ce sont les soins – le bain, le repas et surtout l'essayage des lunettes, un grand moment – à la grand-mère que prodigue Montsé, leur grande sœur ; c'est apprendre à égrainer le maïs, à donner naissance à un agneau, à fabriquer des briques de pisé, à reconnaître les plantes pour leurs vertus... Une transmission essentiellement mère-fille, mais pas que.

Le père de Luz Maria lui apprend à faucher le maïs à la faucille. L'apprentissage de la vie passe aussi par celui de la mort. Des animaux bien sûr, mais c'est surtout le décès de la grand-mère qui touche : les enfants pleurent la perte d'un être chéri et découvrent le vide de l'absence. Grandir, c'est un abyme qui s'ouvre, explique Tatiana Huezo, c'est le questionnement, mais c'est aussi de grands moments de doute et de solitude. Montsé, assise sur le lit vide de la grand-mère, le regard perdu, en est l'image.

Le contexte social, la violence sont parfois évoqués, mais toujours hors champ : ce sont ces voleurs de bois que les villageois tentent de surprendre en organisant des battues la nuit ; c'est l'envie de Montsé de découvrir le monde et peut-être de s'engager dans l'armée pour partir : mais tu sais que des soldats enlèvent, violent et tuent, lui rappelle sa copine... Montsé qui se rebellera, parce que sa mère lui refuse de participer à une course à cheval... Les adolescents garçons s'interrogent aussi sur leur avenir : rester à la ferme ou partir ? Paysan ou maçon ? Luz Maria veut devenir vétérinaire, le pourra-t-elle ? Une autre petite fille – la maîtresse d'école – explique à sa mère comment elle a économisé des sous pour se payer l'uniforme qui lui permettra de poursuivre des études secondaires... Un rêve douché par l'absence de moyens de la famille.

Après Tempestad et El lugar mas pequeño, que nous avions découverts à Cinélatino à Toulouse en mars dernier, El eco ferme un cycle, raconte Tatiana Huezo, une « trilogie de la douleur », mais c'est assurément le plus lumineux des trois. Selon elle, il fut le plus compliqué à construire, car il est fait d'une foultitude de petites choses de la vie quotidienne sans scénario préalable. Mais il propose au final une vision tout à la fois tendre, poétique et réaliste de l'enfance et une respiration dans une représentation du Mexique, d'ordinaire si sombre au cinéma.