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Confrontés à la crise israélo-palestinienne, les Vingt-sept cherchent leurs mots

Le moment est-il venu pour appeler à un cessez-le-feu, du moins humanitaire, dans la guerre entre Israël et le Hamas ? La question divise de plus en plus la communauté internationale, entre les pays soucieux de ne pas remettre en question le droit de l’État hébreu de se défendre et ceux qui mettent la priorité sur l’intervention humanitaire à Gaza, écrasée par les bombes israéliennes. Eux-mêmes partagés entre ces deux impératifs, les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE) vont tenter de s’accorder sur formulation et donc une position commune dans ce débat.

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Une chose est sûre : l’UE n’est pas près de militer en faveur d’un cessez-le-feu, tant il est inimaginable à ce stade de demander à Israël d’arrêter sa contre-offensive lancée contre le Hamas, après les attentats terroristes commis par ce mouvement sur son territoire, le 7 octobre.

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Mais les Européens cherchent les mots pour plaider au moins en faveur d’une fourniture continue d’aide aux populations palestiniennes. Mercredi, les négociations semblaient écarter même la formule d’un cessez-le-feu humanitaire, pour privilégier plutôt l’appel à une pause, ou à des pauses (au pluriel) ou encore à l’établissement de corridors.

Qu’est-ce qu’un cessez-le-feu ou une pause humanitaire ?

S’il n’existe pas de définition universellement acceptée d’un cessez-le-feu, le Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix de l’Onu en énumère diverses caractéristiques, parlant notamment d’“un accord formel et écrit entre deux parties aux conflits” qui “précise une durée de validité” et “définit son objectif et ses liens avec un processus politique”. Un tel scénario semble aujourd’hui presque surréaliste, alors qu’Israël pilonne Gaza dans l’objectif d’éradiquer le Hamas, qui n’a pas de son côté cessé ses attaques de drones et de roquettes contre l’État hébreu.

L’Onu précise néanmoins qu’un cessez-le-feu peut aussi être limité à des objectifs précis, comme la délivrance d’aide, en toute sécurité, aux populations sévèrement impactées par le conflit. Intervient donc ici le concept de “pause humanitaire”, qui “nécessite l’accord des parties intéressées” et est fixée “pour une période donnée”. En l’occurrence, il s’agit de venir en aide aux Gazaouis privés de nourriture, d’eau, de médicaments et d’électricité alors que l’enclave est soumise à un sévère blocus israélien. Les regards se tournent donc vers Israël, dont les bombardements continus contre des cibles du Hamas ont fait plusieurs milliers de morts, dont des civils. Mais certains épinglent la difficulté d’arracher un engagement de la part du Hamas quant à une trêve humanitaire – et même la difficulté de traiter avec ce mouvement terroriste.

Pourquoi les Vingt-sept ont-ils du mal à s’accorder sur le message ?

Vu la complexité de la situation, la prise de position politique sur le sujet est un exercice périlleux. En particulier pour les Vingt-sept, déjà divisés sur la question israélo-palestinienne, qui se retrouvent à devoir bâtir sur le tas un message commun. Sur les principes au moins, tous s’accordent sur la nécessité de répondre aux besoins humanitaires la population civile palestinienne. Mais “il y a beaucoup de discussions sur la manière de combiner un accès continu, sans obstacle, à l’aide humanitaire sans que ce soit contradictoire au droit d’Israël de lutter contre le terrorisme. On cherche une formule et ce n’est pas simple”, avouait mercredi un diplomate européen. D’autant qu’il “y a un manque de clarté sur la définition que les uns et les autres donnent à tel ou tel terme”, souvent en fonction des visions politiques et historiques de chacun sur ce vieux conflit.

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Les Vingt-sept risquent peu de reprendre en chœur les termes du secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres a appelé à un “cessez-le-feu humanitaire”. L’expression soutenue par le Luxembourg, l’Espagne ou la Slovénie est considérée par d’autres pays européens comme étant trop drastique, en ce qu’elle renvoie à une cessation des hostilités, et donc à un arrêt de la lutte d’Israël contre le Hamas, sur une durée plutôt longue. De plus, comme l’a souligné aussi Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, cela supposerait “un accord entre les parties”. Or “comment un tel cessez-le-feu pourrait-il être établi, avec quel partenaire”, alors que “c’est une organisation terroriste qui contrôle Gaza ?”, avait demandé lundi le ministre tchèque des Affaires étrangères, Jan Lipavski – dont le pays est l’un des plus forts soutiens d’Israël.

Par contre “une pause, comme son nom le suggère, est une pause. C’est-à-dire une interruption de quelque chose qui se poursuit ensuite”, a poursuivi Josep Borrell. “Une pause humanitaire, ce serait un premier pas”, estime le Premier ministre belge Alexander De Croo, alors que la Belgique a plaidé comme l’Onu pour un cessez-le-feu humanitaire. “On préférerait un accès humanitaire continu et le respect du droit international. Mais c’est difficile de demander à Israël de ne pas tout faire pour libérer les otages et de ne pas se défendre contre des attaques qui continuent”, a poursuivi M. De Croo.

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Sauf que même le concept de pause humanitaire dérange certains pays comme l’Allemagne, l’Autriche – également fermes soutiens de l’État hébreu – qui s’inquiètent d’en demander trop à Israël et de remettre en cause son droit à se défendre. L’UE pourrait plutôt appeler à la mise en place de pauses humanitaires (au pluriel et qui pourraient donc être limitées à quelques heures), ou de “fenêtres” humanitaires, comme le suggère l’Allemagne, ou de “corridors humanitaires”… A la lumière de la catastrophe humanitaire à Gaza, ce débat européen sur une déclaration pourrait apparaître comme étant hors sol. Mais “les lettres, les virgules, les mots, les phrases ont de l’importance”, défend une source européenne. “L’UE est un projet de paix qui défend ses valeurs. Et il faut transposer cela dans la réalité.”

La voix européenne sera-t-elle entendue ?

En partant du principe que les Vingt-sept parviendront à s’entendre pour réclamer un accès humanitaire, la voix de l’UE sera-t-elle pour autant entendue par les protagonistes ? Les leaders européens sont conscients que les Israéliens n’attendent pas la position de l’Union pour déterminer la poursuite ou la suspension de leur contre-offensive. Une demande européenne pour une pause humanitaire risque de se perde dans le fracas du conflit. “Qui dans le monde est encore écouté ? Je constate que les Américains ne le sont pas beaucoup plus que nous”, soupire Alexander De Croo.

Que plusieurs leaders européens – la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, le chancelier allemand Olaf Scholz, le Premier ministre tchèque Fiala et le chancelier autrichien Nehammer, le président français Macron – se soient rendus Israël ces derniers jours pourrait avoir pour effet que le gouvernement Netanyahou soit plus attentif au message européen. “C’est important d’aller dans la région pour comprendre le traumatisme de la société israélienne. C’est plus facile d’être écouté par les Israéliens quand on les a d’abord écoutés”, avance un autre acteur européen.

Israël ne mettra de toute façon pas un terme à sa riposte si de son côté, le Hamas ne cesse pas de tirer des roquettes sur l’État hébreu. L’UE n’entretient pas de contact direct avec le Hamas, considéré comme une entité terroriste, d’où l’importance pour elle, soulignent plusieurs sources européennes, d’entretenir un dialogue soutenu avec les pays de la région qui ont l’oreille du Hamas : l’Égypte, le Qatar (qui participe au financement de l’administration de la bande de Gaza par le mouvement islamique palestinien), ou la Turquie.

Le président du Conseil européen, Charles Michel (au centreà le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell (à gauche) sont reçus par le président palestinien Mahmoud Abbas, en marge du sommet international pour la paix du Caire, le 21 octobre dernier.

L’UE part cependant avec un handicap dans ses relations avec les pays arabes, selon une autre insider : celui d’être insuffisamment attentive aux souffrances des Palestiniens. Le discours du roi Abadallah de Jordanie, lors du sommet du Caire, le week-end dernier, en présence du président du Conseil européen, Charles Michel, et de Josep Borrell, en est la parfaite illustration. “Où que ce soit, des attaques contre des infrastructures civiles, le fait de priver délibérément une popupation entière de nourriture, d’eau, d’électricité et des besoins les plus basiques seraient condamnés. […] Mais pas à Gaza. Cela fait deux semaines qu’Israël impose un blocage complet à Gaza, et c’est, globalement, le silence. Le message que le monde arabe reçoit, c’est que les vies des Palestiniens valent moins que les vies des Israéliens. […] Que l’application du droit international est optionnelle. Que les droits de l’homme s’arrêtent aux frontières”.

L’UE peut-elle jouer un rôle dans la relance du processus de paix ?

Les grandes puissances mondiales ont un peu perdu de vue le processus de paix au Proche-Orient et la solution à deux États ces dernières années”, reconnaît un diplomate européen. Le prix payé pour cette négligence est élevé, avec une nouvelle guerre meurtrière. Dans l’immédiat, les priorités des Vingt-sept sont d’assurer l’accès à l’aide humanitaire aux civils, de contribuer à éviter une régionalisation du conflit entre Israël et le Hamas, d’obtenir la libération des otages et des Européens en particulier…

Mais le regard se porte déjà sur l’après, et la nécessité de relancer le chantier à l’abandon qu’est le processus de paix. L’historique de l’UE dans n’est pas impressionnant. “Nous n’y sommes pas parvenus du tout, mais les États-Unis pas davantage. On a senti qu’Israël ne souhaitait pas que nous jouions un rôle, parce que nos positions sont équilibrées”, justifie une source européenne. Non sans reconnaître : “Nous avons, collectivement, laissé les plus radicaux et extrémistes des deux camps rendre tout accord de paix impossible”.

“Il faut ouvrir une perspective politique pour répondre aux aspirations légitimes des Palestiniens”, insiste un autre diplomate. Le Haut représentant Borrell avait commencé à s’y atteler, à la mi-septembre, à New York, en organisant une “Journée de l’effort pour la paix” avec les ministres égyptien, jordanien, saoudien des Affaires étrangères et le secrétaire général de La Ligue arabe. Les chefs des Vingt-sept devraient approuver l’initiative.

Le moment venu, les Européens plaideront, à nouveau, pour la solution à deux États vivant en paix côte à côte, qui apparaît aujourd’hui chimérique, en raison de la poursuite de la colonisation israélienne, depuis des décennies, et de la guerre en cours. “La paix est la seule voie. Est-ce que la solution à deux États est irréaliste ? C’est toujours celle que privilégie l’UE et la communauté international. On n’en a pas fait assez jusqu’ici pour qu’on y renonce”, tentent de convaincre un diplomate européen.