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"Il est possible aujourd’hui, à l’image de l’ambassadeur d’Israël, de balayer d’un revers de la main la valeur de l’ONU"

Les déclarations faites mardi soir par le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, ont provoqué la colère du gouvernement israélien. Ce dernier a en effet déclaré qu’il "est également important de reconnaître que les attaques du Hamas ne se sont pas produites sans antécédents”. “Le peuple palestinien est soumis à cinquante-six ans d’occupation étouffante […], mais les griefs du peuple palestinien ne peuvent justifier les attaques effroyables du Hamas. Et ces attaques épouvantables ne peuvent justifier la punition collective du peuple palestinien”, a-t-il poursuivi.

Le ministre des Affaires étrangères, Eli Cohen, a réagi immédiatement à ces déclarations en indiquant sur X qu’il annulait une réunion prévue avec M. Guterres. “Après le massacre du 7 octobre, il n’y a plus de place pour une approche équilibrée. Le Hamas doit être effacé de la surface de la planète ! ”, a-t-il écrit. Gilad Erdan, ambassadeur d’Israël à l’Onu a également annoncé que l’État hébreu refuserait désormais d’accorder des visas aux fonctionnaires dépêchés par les Nations unies dans le cadre de l’aide humanitaire. Ce dernier a en outre déclaré qu’un secrétaire général qui cherche une justification au terrible massacre commis chez nous ne peut pas rester à son poste. Chaque jour où il continue à occuper ce poste est une honte et prouve que l’Onu n’a pas le droit d’exister”.

Analyse de la situation avec Olivier Corten, professeur, avocat et spécialiste en droit international à l’ULB.

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Quelle est votre réaction concernant les déclarations de Gilad Erdan ? Pensez-vous qu’elle soit justifiées ?

En tant que Secrétaire général Antonio Guterres doit représenter les trois organes de l’Onu : le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et la Cour Internationale de Justice. Tout comme le Hamas prétendait répondre à des violations précédentes du droit international humanitaire en Cisjordanie et à Gaza, Israël ne peut justifier les violations du droit international humanitaire qu’il commet à Gaza, notamment les bombardements largement indiscriminés et le blocus. Les agences de l’Onu sur le terrain réclament une pause humanitaire pour acheminer des vivres, des médicaments et tous les produits de base dans Gaza. Pour quelqu’un qui défend le droit international, les déclarations de Guterres étaient assez prévisibles.

Ce qui a probablement irrité Israël, c’est que Guterres a déclaré que les opérations du Hamas ne se sont pas produites sans précédents. Il a contextualisé les événements du 7 octobre en relation avec le statut d’Israël et de la Palestine, deux État légitimités par les résolutions adoptées par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’Onu. Sur le plan du droit international, Israël occupe des territoires palestiniens et il est incontournable de résoudre cette question pour mettre fin aux conflits. Pour régler le problème de l’occupation, il faut respecter le droit international en mettant fin à l’occupation et à la colonisation tout en garantissant la sécurité d’Israël. Une fois ce problème résolu, la majorité des États de ce monde soutiendraient très probablement Israël.

Donc, selon moi, le représentant d’Israël feint d’être surpris alors qu’en réalité le Secrétaire général exprime ce que disent toutes les organes de l’Onu. En 2004, la Cour internationale de justice de l’Onu avait déclaré illégale l’occupation des territoires palestiniens occupés et la colonisation israélienne ordonnant le démantèlement du mur, en rejetant l’argument de légitime défense invoqué par Israël. La Cour est actuellement saisie d’une autre demande d’avis de l’Assemblée générale, 20 ans après ses déclarations, pour savoir quelles seront les conséquences juridiques du non-respect de cet avis.

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Pourquoi tant de virulence de la part d’Israël ? Ne risque-t-elle pas d'isoler le pays ?

Les États-Unis, la France, la présidente de la Commission européenne et d’autres États puissants soutiennent sans réserve à Israël. Il ne me semble qu’Israël fasse pas l’objet d’une pression substantielle pour, par exemple, au moins ne pas considérer Gaza en tant qu’objectif militaire. En Cisjordanie, depuis le 7 octobre, il y a eu des dizaines de morts et au moment où je vous parle il y a des Palestiniens qui se font expulser de leur propre habitation pour que des colons s’y installent. Tout ça avec un soutien inconditionnel de certains États puissants. Si Israël se permet d’utiliser un tel langage face au secrétaire général de l’Onu, c’est qu’il doit estimer que, tant que ses alliés le soutiennent, il ne risque rien.

À quelles réactions doit-on s’attendre de la communauté internationale ? Antonio Guterres a-t-il franchi une limite avec ces déclarations ?

Ce que dit l’ambassadeur d’Israël, relève de sa liberté d’expression. On pourrait se demander au nom de quoi un État appelle un secrétaire général de l’Onu à démissionner ? Je ne connais pas de précédent cas similaire et ça n’est pas du tout diplomatique. C’est le droit d’Israël de penser qu’Antonio Guterres doit démissionner, mais je ne pense pas que cela aura des conséquences sur sa position. Sur le plan juridique, je ne vois pas ce qu’il risque car il n’a pas commis de faute professionnelle. Son rôle en tant représentant des Nations unies est de témoigner des décisions de l’organisation, de rappeler le droit international et d’œuvrer à la paix. Pour ce faire, il se doit de poser les conditions de la paix et de renvoyer aux principes du droit international que les organes de l’Onu ont énoncés. Ce qu’il a fait.

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De son côté, Erdogan a déclaré au contraire que “le Conseil de sécurité de l’Onu, au lieu de mettre un terme à l’effusion de sang et de garantir un cessez-le-feu, aggrave la crise par sa position unilatérale. Il apparaît impossible qu’une structure qui reste observatrice de la punition collective infligée à la population de Gaza soit un espoir pour l’humanité et la paix.” Quelle est votre réaction à cette déclaration ?

Lors de l’invasion du Koweit par l’Irak en 1990, l’argument du “deux poids, deux mesures” était déjà utilisé. On critiquait le fait de sanctionner l’Irak alors qu’Israël occupait la Palestine. Le discours du Nouvel Ordre Mondial, comme on l’appelait à l’époque, a déclaré que dorénavant tout le monde devrait respecter le droit international et que le Conseil de sécurité allait pouvoir prendre des décisions. Il y a eu les accords d’Oslo et on a vu le résultat. Ils n’ont pas été appliqués et la colonisation a triplé depuis cette date-là en termes de territoires palestiniens. Le conflit Israélo-palestinien est l’exemple type des échecs de l’Onu. Actuellement, le Conseil de sécurité a émis des résolutions, tout comme l’Assemblée Générale et la Cour internationale de Justice, et il est difficile de déterminer quelles autres actions elle pourrait prendre. Dans un monde véritablement gouverné par le droit, il y existerait une carte du partage des territoires israéliens et palestiniens qui daterait de 1948. Mais tout le monde a renoncé à ce plan au profit du fait accompli et du pragmatisme. Même si on ne peut pas réellement parler de crise de légitimité des Nations Unies, on commence de plus en plus à se demander si la force n’est pas devenue un moyen normal de régler les conflits. En fin de compte, il est possible aujourd’hui, à l’image de l’ambassadeur d’Israël, de balayer d’un revers de la main la valeur de l’Onu.

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