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Tous les secrets du 40e album d’Astérix, “L’Iris blanc” : “Si le lecteur tourne une page sans rire, c’est un peu raté”

Les ancêtres font de la résistance. Après les Rolling Stones, auteurs de leur meilleur album en 40 ans, c’est au tour d’Astérix et Obélix de frapper fort avec leur 40e aventure en 64 ans, tirée à cinq millions d’exemplaires. La plus drôle depuis qu’Uderzo a passé la main et ses crayons. L’Iris blanc regorge de gags, de jeux de mots (”Les Goths et les couleurs…”, “Un esprit sain dans un porcin” ou la menace de César d’envoyer aux lions le gourou Vicévertus : “Prie pour le rester, toi, hors félin”), de situations cocasses pour égratigner la pensée positive, le wokisme, la nouvelle cuisine, les retards du CGV (les chevaux à grande vitesse), l’utilisation des trottinettes, les dérives artistiques de Banksix, la pièce de théâtre grec En attendant Godos de Boxoffix, les aphorismes dénués de sens ou les râleries des Lutéciens.

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Pour sa 40e aventure, Astérix donne des baffes aux chantres de la pensée positive dans L’Iris blanc

Une explosion d’humour, signée Fabcaro et Didier Conrad, amenée à faire un malheur en librairie dès ce jeudi 26 octobre. “Si le lecteur tourne une page sans rire, j’ai un peu raté mon boulot, explique le scénariste “intérimaire” en attendant le retour de Jean-Yves Ferri. À la base, c’est une BD d’humour, même s’il y a de l’aventure et certains codes à respecter. Faire rire, c’est donc le minimum syndical. Ma phobie, c’est que le lecteur s’ennuie. Donc, c’est toujours très rythmé. En tant qu’auteur, il faut que cela m’amuse, que je sois excité tout le temps. Je ne sais pas s’il y a plus de gags, mais je me suis beaucoup servi d’Obélix. C’est un vecteur de comédie. On peut faire ce qu’on veut avec lui.”

À ses côtés, le dessinateur aux commandes de son sixième album antique approuve. “Je me souviens que la première BD, sortie avec Ferri, je l’avais montrée à ma maman, ce qui me semblait normal vu qu’elle m’avait fait découvrir Astérix quand j’étais petit. Elle l’a lue et m’a dit : 'C’est bien, mais il faut dire à ton scénariste qu’il faut des gags dans Astérix'. J’ai déprimé après ça… Ferri, qui a bien différencié chaque album, voulait des aventures plus familiales, plus pour enfants, avec moins de gags difficiles à capter, alors que Fabcaro ne s’est pas gêné, il y est allé à fond. Donc, c’est un peu plus pour adultes.”

Pour le novice comme pour l’expérimenté dans l’univers de Jules César, L’Iris blanc représentait aussi un sacré défi. “J’avais très envie de faire un album 'goscinnien', précise Fabcaro. On ne fait jamais du Goscinny, c’est impossible : j’en suis à mille années-lumière. Mais il fallait des références, au Chaudron ou aux Lauriers de César, par exemple, pour faire un vrai Astérix. J’aime bien le beau-frère de Bonnemine, Homéopatix, et sa rivalité avec Abraracourcix. Même si ici, Abraracourcix est amorphe. J’ai adoré l’imaginer dépressif. C’est très drôle : il est très régressif, il retrouve un état très enfantin, comme un gamin toujours en train de ronchonner en voyage.”

Bonnemine constitue le moteur de la 40e aventure d'Astérix, L'Iris blanc. ©Hachette Livre / Goscinny - Uderzo

Pour Conrad, suivre son camarade dans ses audaces ne fut pas de tout repos. “Ce serait impossible pour moi d’écrire un scénario comme celui-là, mais c’est encore plus dur d’être dans le même moule qu’Uderzo. Il a un dessin très humoristique, ce qui n’était pas ma spécialité. J’aime qu’on y croie, alors que lui, il veut qu’on rie, quoi qu’il arrive. Je suis loin derrière. J’ai donc beaucoup bossé la gestuelle et l’expression. Encore plus sur cet album parce que c’était l’essentiel du travail. Il n’y avait pas beaucoup d’éléments nouveaux graphiquement, comme pour Astérix et le Griffon, qui se déroulait dans un décor totalement différent.”

Pas question, pour autant, de zapper les incontournables baffes aux Romains ou rencontres avec les pirates. “Astérix est très ritualisé, poursuit l’artiste des crayons. Pour la Transitalique, on avait enlevé des pages de garde pour mettre une carte, et il y a eu des pétitions pour se plaindre. En deuxième édition, il a fallu changer.” “Dans Astérix, si on ne met pas le banquet final, on se fait lyncher, enchaîne son partenaire. Les bagarres, les jeux de mots, le banquet, les pirates, on est obligé de les mettre, sinon le lecteur n’a pas ce qu’il attend.”

Le plus compliqué pour le duo, finalement, fut de ne pas trop sortir du cadre gaulois. “Plein de gags ne se trouvent pas dans l’album, précise Conrad. C’était avant tout un travail d’élimination…”J’ai tendance à aller un peu loin dans l’absurde, et je me suis dit que si on était venu me chercher, c’était pour que j’amène ma patte, confirme Fabcaro. Mais parfois l’éditeur voulait qu’on descende un peu le curseur parce que cela allait trop loin. Si on avait traité un sujet plus politique, j’aurais fait gaffe, mais là, c’est beaucoup sur le langage, sur un gourou, et il n’y a pas tellement eu d’autocensure.”

Cette plongée dans le monde de la bienveillance et de la manipulation dépasse toutes les attentes.

Didier Conrad et Fabcaro, au CBBD, à Bruxelles. ©Patrick Laurent

Quel scénariste pour le 41e album ?

Le petit Gaulois moustachu n’a officiellement pas de travail, mais sa production est bien programmée, avec un retour prévu tous les deux ans, en octobre. Il subsiste cependant un gros point d’interrogation : qui de Ferri ou de Fabcaro lui inventera une nouvelle aventure ? “En théorie, Fabcaro assure l’intérim pour un album, explique Didier Conrad. Mais tout dépend de Jean-Yves Ferri. Il distille ses scénarios case par case. Un mois avant que Fab ne le remplace au pied levé, on croyait qu’il allait faire le scénario. Puis il a dit : 'Non, je ne le fais pas, je saute un album, je vais faire mon De Gaulle à Londres.' Le De Gaulle à Londres n’est toujours pas fini… Je ne sais pas où il en est, mais il va falloir prendre le relais et ça n’en prend pas le chemin pour l’instant. Heureusement que Fab est super réactif. Donc, si jamais Jean-Yves fait encore l’impasse, le prochain album sera signé Fabcaro, c’est sûr.”

”C’est ça, confirme Fabcaro. Officiellement, j’assure l’intérim pour un album, et pour la suite, je suis là en roue de secours au besoin, mais priorité à Jean-Yves. Souvent, on m’a demandé si je n’avais pas la pression, mais non. Je culpabilisais presque de ne pas en avoir : ce n’était que du jeu. Je me suis plus amusé avec Astérix qu’avec Achille Talon. Parce qu’il y a un récit. Achille Talon, c’est de l’humour sur une page ou deux. C’était lourd de trouver plein de gags. Ici, si on est bien dans l’esprit de l’histoire, les choses coulent presque d’elles-mêmes. Il me suffit de suivre les personnages. C’est plus léger et plus drôle. Chaque situation appelle de nouveaux gags. Donc, si je fais la suite, j’ose espérer que j’aurais un autre réservoir d’idées.”

La couverture du 40e album d'Astérix. ©Hachette Livre/Goscinny-Uderzo

Les personnages secondaires au pouvoir

Depuis quelques albums, Astérix s’est mis à l’heure MeToo. Après la fille de Vercingétorix et les femmes sarmates sur le champ de bataille pendant que les hommes s’occupent des enfants et de la cuisine, c’est au tour de Bonnemine de tenir un rôle central dans L’Iris blanc. Sensible à la pensée positive et aux compliments, elle accompagne Vicévertus jusqu’à Lutèce, au grand désespoir d’Abraracourcix, pour améliorer sa vie de couple, sans se douter des intentions réelles du grand gourou. “Avant, tout tournait autour des hommes et les femmes étaient des suiveuses, explique Fabcaro. Là, elles prennent la place qu’elles ont dans la société. J’adore le couple Bonnemine – Abraracourcix, qui se chamaille tout le temps mais s’aime énormément. J’avais envie de lui mettre un coup de projecteur. Et aussi que Bonnemine prenne les choses en main, qu’elle ait une vraie place et qu’Abraracourcix se retrouve un peu dépressif.”

Elle n’est pas la seule à prendre la lumière. Profitant de la vague de bienveillance qui s’abat sur le village, Assurancetourix entame un tour de chant avec des hits comme “Glaive lève-toi”, “Besoin d’Orion envie de Troie”, “On s’était dit rendez-vous dans Byzance” ou “Légionnaire particulier cherche légionnaire particulière”. “Pour le lettrage, il a fallu me corriger, parce que je ne connais pas ces chansons françaises”, avoue en riant le dessinateur exilé aux États-Unis, à Austin. “Je vais te faire une compilation, tu vas souffrir, s’esclaffe aussitôt son scénariste. Ce sont des tubes des années 80 que j’ai détournés avec des jeux de mots. Le concert d’Assurancetourix, c’est le point de bascule. Si les Gaulois se mettent à tolérer ses chansons -on ne va pas dire qu’ils les aiment- c’est qu’il est temps d’agir ! C’est le signe que tout ça va trop loin.”

Ce ne sont pas les sangliers qui s’en plaindront, eux qui se montrent désormais doux et affectueux avec leurs anciens poursuivants.

30 % de lecture en plus, mais moins de caricatures

Toute ressemblance avec Dominique de Villepin n'est pas totalement fortuite... ©Hachette Livre / Goscinny - Uderzo

Cette fois, c’est Conrad qui pose la question : “Combien de temps avez-vous pris pour lire cet album ?” La réponse est biaisée : on disposait de 45 minutes pour le feuilleter au Centre belge de la bande dessinée tout en préparant l’interview. Puis, il enchaîne : “Les Allemands ont compté : il y a 30 % de texte en plus que dans les albums précédents. Du coup, c’est plus long à lire. Un Astérix que je faisais avec Jean-Yves Ferri nécessitait entre 30 et 35 minutes de lecture. Celui-ci, il m’a fallu 45 minutes pour arriver au bout lorsque j’ai reçu les crayonnés.”

Les caricatures, elles, sont par contre, sont peu nombreuses. “Vicévertus est un personnage original, mais on s’est inspiré de BHL et de Dominique de Villepin. Les caricatures sont difficiles à faire bouger. Par exemple, on n’imagine pas BHL hurler, mais plutôt avec une petite bouche pincée. On ne peut pas le faire évoluer comme les autres personnages d’Astérix, hyperexpressifs. En plus, les caricatures ne conviennent qu’aux Romains. Si on ajoute une moustache gauloise à Michel Drucker, on ne le reconnaît plus.”

”Dans l’autre sens, conclut Fabcaro, les adaptations au cinéma fonctionnent rarement. Elles paraissent grotesques, car, pour le lecteur, les vrais personnages, ce sont ceux de la BD.” Et cela, même s’ils citent Star Wars et Rocky avec un sens de l’anachronisme désopilant.

La planche d'annonce de L'Iris blanc, qui ne se trouve pas dans l'album. ©Hachette Livre / Goscinny - Uderzo