Burkina Faso
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GERMAIN BITIOU NAMA, COORDONNATEUR DU FRONT PATRIOTIQUE : « Nous n’avons pas  affaire au MPSR »


Le 4 août 2022, il a été porté à la tête du nouveau mouvement qu’est le Front patriotique. Nous parlons de Germain Bitiou Nama, coordonnateur de ce Front. Le journaliste et acteur social très connu des Burkinabè, a désormais pour nouveau rôle de conduire cette structure composée de partis politiques et d’organisations de la société civile. Le samedi 6 août dernier, en début d’après-midi, l’homme nous a reçus à son domicile à Ouagadougou. Lisez plutôt le contenu de nos échanges sur divers sujets !

« Le Pays » : Le 4 août dernier, le Front patriotique a procédé à la signature de sa Charte. Avant tout propos, pourquoi le choix de la date du 4 août qui, il faut le dire, constitue un symbole pour les Burkinabè ?

Germain Bitiou Nama : Vous nous donnez l’occasion de présenter le Front patriotique aux Burkinabè pour qu’ils comprennent nos réelles motivations et pour les engager à se mobiliser au sein du Front patriotique afin que nos objectifs qui sont ceux de la grande majorité de notre peuple, puissent être atteints. Pour ce qui est du choix du 4 août, si vous étiez là, le jour de la cérémonie, vous auriez dû lire derrière les officiels, une banderole sur laquelle il était écrit : « Prenons le destin de notre pays en main ». Il s’est posé la date symbole qui pouvait incarner ce slogan. Beaucoup ont trouvé que le 4 août qui symbolise ce sursaut du peuple burkinabè pour changer les rapports entre notre pays et les puissances néocoloniales, mais également pour engager les Burkinabè à la conquête d’une véritable indépendance, convenait le mieux pour ce lancement. Voilà pourquoi nous avons choisi cette date.

Avec le risque que vous soyez qualifiés de sankariste !

Effectivement, cela peut créer la confusion mais ceux qui me connaissent, savent que je ne suis pas un sankariste. Mais je ne suis pas contre les sankaristes. Il n’y avait aucune raison pour moi, de m’opposer au choix de cette date. Ce qui est important pour moi, ce sont mes positions personnelles et tout ce qui peut concourir à rassembler les gens, à les unir pour atteindre les objectifs que nous nous fixons.

On a connu Germain Nama journaliste. Aujourd’hui, vous prenez la tête d’une structure à connotation politique. Est-ce que Germain Nama met les pieds dans l’arène politique ?

Avant d’être journaliste, je suis enseignant de philosophie. C’est mon premier métier. Par la suite, j’ai animé et été membre d’associations telles que le MBDHP dont je suis membre fondateur, l’UIDH (Union internationale des droits de l’Homme) dont je suis membre fondateur, la F-SYNTER dont je suis également membre fondateur et servi le bureau national pendant 10 ans, entre autres. C’est donc pour dire que le journaliste est venu un peu tard. Maintenant, vous parlez de la jonction avec la politique. Disons qu’on peut faire de la politique sans être dans les partis politiques. De ce point de vue, je peux dire que j’ai toujours fait de la politique. En tant que citoyen, je me suis toujours engagé dans le champ politique pour dire ce que je pense et agir dans le sens de mes convictions. Donc, il n’y a rien de nouveau dans mon engament actuel. En revanche, ce qui peut surprendre un peu, c’est le fait que je me retrouve à la tête d’une organisation qui rassemble des partis politiques, des associations et mouvements de la société civile. Mais le Front patriotique n’est pas une première au Burkina Faso. Si vous vous souvenez, le Collectif des organisations de masses et de partis politiques (COMPP), notre devancier, avait pu réunir effectivement des partis politiques et des OSC pour engager et mener des luttes ensemble. En réalité, tout est dicté par la situation. Si la situation nécessite que le pays se lève, à travers ses fractions organisées, évidemment, le pays se lèvera. Nous avons pensé que la situation actuelle nécessite que des patriotes se regroupent, qu’ils soient des partis politiques ou de la société civile, et viennent au secours de notre pays.

Comment avez-vous apprécié la mobilisation autour de cet évènement qui, rappelons-le, s’est tenu au Centre Cardinal Paul Zoungrana ?

La mobilisation était bonne mais elle aurait pu être meilleure. Nous avons limité la participation des militants en raison du cadre qui ne pouvait pas recevoir beaucoup de monde. Nous avions donné des instructions pour que chaque structure soit représentée par un quota de militants et ce, pour éviter de gérer un flux de monde qui irait au-delà de la capacité des lieux. Mais vous avez dû constater que les gens sont venus nombreux et donc, la mobilisation a été bonne même si elle a été perturbée à la fin par ceux qui ne veulent pas entendre parler du Front patriotique.

A ce propos, que savez-vous exactement de cet incident ?

Je ne saurais vous donner des informations avec exactitude parce que nous étions à l’intérieur pendant que cela se passait dehors. Ce qui m’a été rapporté, c’est qu’un individu est venu provoquer la sécurité et il y a eu des altercations. Nous tiendrons une conférence au cours de laquelle des détails vous seront certainement communiqués sur cette affaire.

Comment Germain Bitiou Nama appréhende-t-il son nouveau rôle ?

Je l’appréhende naturellement avec fierté. Je n’ai pas pensé être à la tête de ce mouvement mais des gens que je respecte, sont venus me solliciter pour en assurer le leadership. Ils ont pensé que mon profil permettait de toucher le maximum de monde et de faire passer le message. Ils ont estimé que j’avais le profil d’un premier responsable et il se trouve que la vision correspondait à des interrogations que je me faisais. En effet, j’étais en train de m’interroger sur la situation de notre pays suite au fait que le Collectif avait quasiment disparu. Ses activités avaient totalement cessé. Dans ma vision, je pense que c’est l’absence de cette coalition, de cet outil qui a manqué et qui a permis au coup d’Etat de pouvoir se faire. Bien sûr, ce n’est pas la seule raison et il faut analyser aussi la situation politique pour comprendre pourquoi les gens sont restés les bras croisés, rendant plus facile la prise du pouvoir par la junte militaire. Je me suis dis que si on reste les bras croisés, cela va être difficile pour tout le monde. D’abord pour les libertés et ensuite pour l’avenir du pays lui-même. Il faut que nous nous interrogions sur la raison pour laquelle il est impossible d’avoir des régimes stables dans notre pays. Pourquoi des coups d’Etat perpétuels ? Que pouvons-nous faire pour empêcher les coups d’Etat ? Voilà les interrogations fondamentales que j’avais à mon niveau. Je pense que beaucoup de Burkinabè se posent les mêmes questions parce que l’éternel recommencement dérange tout le monde. Il dérange le simple citoyen dans sa vie quotidienne. Il dérange les entreprises économiques en raison de l’instabilité, entre autres. Les questions étaient posées et il était urgent de travailler à trouver les réponses à ces questions.

« Le régime de Roch Marc Christian Kaboré n’a rien fait pour qu’on puisse le défendre »

Que reprochez-vous au pouvoir en place, le MPSR ?

Avant de répondre à cette question, je vais dire tout de suite que nous n’avons pas  affaire au MPSR. Notre préoccupation, c’est le pays, c’est le Burkina Faso et son instabilité chronique. Quelles solutions pérennes allons-nous trouver pour permettre à notre pays d’être viable pour nos enfants et nos petits- enfants ? Voilà la préoccupation principale. Maintenant, il se trouve que la junte militaire qui a fait un coup d’Etat, peut nous concevoir comme des gens hostiles. Effectivement, nous condamnons les coups d’Etat. Nous ne sommes pas d’accord avec les coups d’Etat et nous ne sommes pas dans une opposition frontale avec le MPSR. Nous avons tout simplement des objectifs que nous voulons atteindre avec les instruments que nous offre notre loi fondamentale.

Comment allez-vous vous y prendre pour ne pas être perçus comme des adversaires du MPSR quand on voit les incidents du 4 août dernier ?

Les tenants du pouvoir n’ont qu’à libérer l’espace public pour permettre l’expression libre des Burkinabè et ils comprendront quels sont les messages que nous voulons faire passer au peuple. Mais voilà, il y a des gens qui sont pris de fébrilité, pensant que nous sommes venus pour les chasser. Nous sommes des Burkinabè et nous avons notre point de vue sur la gestion de notre pays. Et nous avons le droit et le devoir même de les exprimer publiquement afin que les Burkinabè puissent les connaitre et prendre position par rapport à ce que nous disons. Donc, je ne vois pas pourquoi des Burkinabè vont se lever pour empêcher d’autres Burkinabè de parler, de s’exprimer et de dire ce qu’ils pensent de la gestion et de l’avenir du pays. C’est totalement aberrant de voir ce qu’il s’est passé l’autre jour. C’est vrai que des gens sont fébriles mais ils n’atteindront pas leurs objectifs en tentant de nous intimider. Si vous essayez d’utiliser la manière forte, vous finissez par engager tout le monde dans la violence. La question est: où irons-nous si on engage la violence ? Ceux qui veulent nous empêcher de parler, n’ont pas le monopole de la violence.

On vous prête des intentions insurrectionnelles. Ceci expliquerait cela !

Est-ce que nous avons parlé d’insurrection ? Nous avons simplement présenté notre charte, notre plateforme de lutte au peuple burkinabè. D’où vient-il qu’on parle d’intentions insurrectionnelles ? En tous les cas, ceux qui sont au pouvoir pensent-ils y rester éternellement ? La junte militaire a-t-elle l’intention de rester éternellement au pouvoir ? Nous sommes dans un débat national où il faut écouter tout le monde si nous voulons que ce pays sorte de l’ornière. C’est très inquiétant de voir que l’on cherche à étouffer la parole alors que la transition devrait être un moment de libération de la parole afin que tous les Burkinabè s’expriment sur l’avenir de leur pays. Si l’on veut bâillonner d’autres pour donner la libre expression à ceux qui sont de votre avis, là on se met au travers des traditions qui ont toujours caractérisé notre histoire et notre peuple parce que notre peuple aime s’exprimer. Celui qui veut confisquer la parole au peuple est sur un mauvais chemin et je ne conseille pas à la junte militaire de tenter cela. Tous ceux qui l’ont tenté l’ont payé à leurs dépens.

Pourquoi n’avoir pas pensé à créer ce Front patriotique pour soutenir le régime démocratique qu’était celui de Roch au moment du putsch ?

Vous ne pouvez rien créer quand la situation n’est pas propice. Le régime de Roch Marc Christian Kaboré n’a rien fait pour qu’on puisse le défendre. Il était sous les critiques, nos critiques et mêmes les critiques de ses propres militants. Quand tu n’étais pas fermé et tu écoutais les gens, tu sentais qu’il y avait des débats houleux, à l’époque, au sein même du MPP, qui désapprouvaient vraiment la façon dont les choses étaient menées à l’intérieur de leur parti. Mais on n’en tenait pas compte. Quand il y a eu effectivement le coup d’Etat, vous avez constaté que même les militants du MPP ne sont pas sortis. Les gens étaient dans le dépit. Dans une situation pareille, tu ne peux pas mobiliser des gens pour un quelconque front patriotique. Sinon, c’est comme si tu défendais un régime qui s’était séparé des aspirations du peuple. Ce n’était donc pas un moment favorable. Mais aujourd’hui, tout le monde comprend qu’on ne peut pas gouverner de cette manière. Je pense que le MPP lui-même réfléchit à sa gestion et il doit avoir le courage d’en tirer les leçons.

Quel est l’agenda ultime du Front patriotique ?

Si vous vous attendez à ce que le Front patriotique disparaisse avec le MPSR, je pense que ce n’est pas cela notre intention. Le Front est une structure de veille permanente qui est chargée de surveiller la gouvernance dans notre pays. C’est parce qu’il a manqué justement d’instruments de vigilance, que le coup d’Etat a eu lieu. En septembre 2016, qu’est-ce qui a fait échouer le coup d’Etat du général Gilbert Diendéré ? C’est le peuple mobilisé parce qu’il était conscient que le processus en cours, était son affaire. Il faisait corps et âme avec ce processus et donc, il n’entendait pas laisser des gens lui arracher ce qui lui était cher. Rien ne nous empêche de renouveler cela mais il faut que les institutions soient en adéquation avec nos aspirations. Le Front patriotique est venu justement pour donner cette conscience non seulement au peuple, mais aussi et surtout à nos dirigeants pour dire qu’on les a désormais à l’œil et qu’ils ne peuvent plus faire n’importe quoi. En réalité, la junte a peur alors que si le Front patriotique atteint ses objectifs, elle aussi en bénéficiera. Nous sommes contre les coups d’Etat y compris un coup d’Etat contre Damiba parce que le coup d’Etat ne nous mènera nulle part. Mais nous sommes pour que, un pouvoir quel qu’il soit, soit un pouvoir légitime. Cette légitimité ne consiste pas à aller chercher et à s’entourer de ses petits copains pour diriger le pays, en leur donnant des privilèges et en se donnant des privilèges soi-même. Une telle attitude frustre le peuple. Elle empêche que le peuple s’organise et se rassemble autour de l’Exécutif pour mener le combat sécuritaire parce que les militaires qui ont pris le pouvoir sont eux-mêmes suspects. On ne les voit pas comme des gens qui sont venus pour sauver le peuple, pour combattre l’insécurité mais comme des gens qui sont venus pour profiter de la situation.

Etes-vous sûrs que vos objectifs sont ceux du MPSR ?

Nous souhaitons qu’il s’investisse dans la vision que nous avons définie parce que c’est une vision patriotique. S’il se met à l’écart, cela voudra dire qu’il se met en dehors de ce que les Burkinabè souhaitent pour leur avenir et pour leur pays.

« Les OSC que les militaires ont regroupées autour d’eux, sont des OSC alimentaires »

Voulez-vous dire que vous plaidez pour une réorientation de la transition ?

Je peux dire simplement que les militaires doivent constater eux-mêmes que la transition qu’ils ont concoctée, n’est pas une transition légitime. Voilà l’analyse que nous faisons par rapport à cela et tant que la transition ne sera pas légitime, le rassemblement qu’ils veulent et la réconciliation dont ils parlent, ne fonctionneront pas. Les choses ne peuvent pas fonctionner autour et dans le mensonge. Quand vous faites croire aux gens que vous venez pour les libérer alors que les gens voient autre chose, ça ne peut pas marcher.

Que voient les gens par exemple ?

Les gens voient que les militaires sont en train de s’installer dans les postes les plus juteux alors que leur place est ailleurs que dans l’Administration publique. Par ailleurs, on voit bien que toute l’Administration est en train d’être envahie par les hommes du MPSR alors que l’on dit qu’il faut dépolitiser l’Administration. Ils nous ont convaincus, en quelques mois, qu’ils sont venus pour eux-mêmes.

Voulez-vous dire que les militaires ont trompé les Burkinabè ?

Ils ont trompé tout à fait les Burkinabè et ils continuent de les tromper. Le président Damiba oublie qu’il est militaire. Il fait de la politique. C’est quelqu’un qui est entré dans les habits du politicien et qui fait de la politique politicienne.

Malgré tout ce que vous dites, le MPSR a des soutiens au sein du peuple.

Même le diable a des soutiens. Et dans le Burkina que nous connaissons tous, il suffit d’avoir un peu d’argent pour se faire des amis. Vous savez qu’ils ont mis la planche à billet en action, pour débaucher un certain nombre d’organisations de notre Front patriotique ? Nous le savons mais ce n’est pas cela qui va arranger leurs problèmes et les problèmes du pays.

Selon vous, comment rendre la transition légitime comme vous le souhaitez ?

Déjà, il faut que les militaires eux-mêmes en prennent conscience. Il faut qu’ils prennent conscience que leur transition n’est pas légitime. Ils ont laissé en rade, la population la plus consciente du Burkina. Ils l’ont laissée de côté tout simplement parce qu’ils ne veulent pas la vérité. Lorsqu’ils se résoudront à vouloir la vérité, ils joueront carte sur table et les Burkinabè pourront s’exprimer. C’est ce que nous leur demandons. Nous leur demandons de nous laisser nous exprimer, de nous laisser nous adresser aux Burkinabè pour leur expliquer notre point de vue sur la marche du pays.

Quand vous parlez de la population la plus consciente du Burkina, à qui faites-vous référence?

Regardez les OSC que les militaires ont regroupées autour d’eux. Ce sont des OSC alimentaires. Les OSC sérieuses au Burkina Faso, tout le monde les connait et aucune de ces associations n’a été appelée. Celles à qui ils ont fait appel, c’est pour en faire des hauts-parleurs ou bien de gros bras comme ceux qui sont venus nous attaquer pendant notre cérémonie. En fait, c’est travailler à contre-courant de l’histoire. C’est contre-productif pour eux et c’est malheureusement contre-productif pour le pays tout entier.  

De quels moyens dispose le Front pour l’atteinte de ses objectifs ?

Les moyens sont d’abord ce que la Constitution et les lois du pays nous donnent. C’est d’abord l’expression à travers les canaux de communication publics et privés. C’est aussi la sensibilisation de notre peuple à travers tout le pays ou les manifestations. Notre préoccupation, ce n’est même pas le MPSR, c’est le pays.

« Ce sont les militaires qui se sont embourgeoisés et qui ont pris goût à l’embourgeoisement, qui confisquent le pouvoir pour perpétuer justement leur embourgeoisement »

Le pouvoir ne vous intéresse pas ?

Non ! Dans le Front, il y en a dont la vocation n’est pas de conquérir le pouvoir. Moi, par exemple, je suis un représentant d’une organisation de la société civile dont la vocation n’est pas de conquérir le pouvoir. Si je suis à la tête d’une organisation de ce genre, les objectifs que nous poursuivons sont autres. Mais on ne peut pas empêcher les organisations politiques qui sont avec nous et dont la vocation est de conquérir le pouvoir, de continuer à faire leur travail politique, du reste, qui est autorisé par la Constitution. Seulement, nous veillerons à ce qu’elles le fassent dans de bonnes règles parce qu’on veut changer le pays. On veut changer les mauvaises mœurs politiques. Donc, nous aurons l’œil sur la pratique politique en général et en particulier sur celle de nos membres qui sont des partis politiques. Nos ambitions sont larges et vont au-delà du MPSR qui n’a pas de vision. Nous voulons apporter une vision à notre pays.

De quelles garanties disposez-vous pour affirmer que le Front patriotique ne va pas imploser face aux difficultés qui ne manqueront sans doute pas ?

Je ne suis pas un magicien pour apporter une réponse à cette question. Nous travaillons à recentrer toutes les organisations autour de nos objectifs et à leur donner le courage de se battre pour l’aboutissement de notre plateforme. Maintenant, si à un moment ou un autre, une organisation estime qu’elle veut aller voir ailleurs, elle est entièrement libre d’y aller. Nous faisons notre travail pour renforcer notre conviction, pour rassembler le peuple autour de nos objectifs.

Le Front est composé en grande partie des insurgés de 2014. Est-ce à dire que les insurgés veulent se regrouper ?

Les insurgés ont été déçus parce qu’après l’insurrection, ils pensaient que le pays évoluerait positivement. Ils ont constaté le contraire. Par la suite, les insurgés se sont démobilisés et chacun est retourné dans sa boutique pour gérer, tranquillement, ses propres affaires. Maintenant, les gens se rendent compte que ce n’est pas la solution. Et s’ils se rendent compte que ce n’est pas la solution, cela est salutaire pour le pays parce qu’on ne doit jamais démissionner par rapport aux intérêts du pays et à l’intérêt supérieur de notre peuple. Pour rien au monde, on ne doit démissionner. Donc, que certains insurgés reviennent et reprennent le flambeau de la lutte pour assurer la vigilance par rapport à la gouvernance de notre pays, c’est une très bonne chose.  

Le Front est composé d’acteurs civils. En face, il y a un régime militaire. Ne craignez-vous une confrontation sanglante ?

D’abord, nous ne faisons pas ce distinguo entre civils et militaires parce que les militaires eux-mêmes font partie du peuple. Maintenant, ce que nous disons, c’est que la corporation militaire, notamment une certaine élite, a tendance à croire qu’elle est le messie qui peut sauver le Burkina Faso. C’est une erreur. En fait, ce sont les militaires qui se sont embourgeoisés et qui ont pris goût à l’embourgeoisement, qui confisquent le pouvoir pour perpétuer justement leur embourgeoisement. Pensez-vous que tous les militaires sont dans cet état d’esprit ? Je ne le crois pas. Je crois qu’il y a des militaires qui sont dans la même disposition d’esprit que nous, combattants du Front patriotique. Nous ne voulons pas une société burkinabè séparée en militaires et en civils qui se regardent en chiens de faïence ; les uns avec des fusils contre les autres qui n’ont que leurs bras et leur bouche. C’est un mauvais spectacle pour notre pays et c’est aussi contre cela que nous nous battons. 

A la décharge des militaires, ce sont des civils qui les appellent souvent à prendre le pouvoir. C’est le cas du coup d’Etat contre Roch en janvier dernier. N’est-ce pas ?

On peut aussi dire que ce sont des militaires qui s’invitent au pouvoir. Pendant combien de temps Roch a-t-il résisté en refusant de mettre un militaire dans son gouvernement ? Mais il a fini par en prendre. On va finir par penser qu’ils ont même pourri la situation sécuritaire pour justifier leur prise du pouvoir. Que voulez-vous ? Mais toutes les analyses sont ouvertes. Prenons le cas de Damiba, commandant de la première région militaire, la région militaire la plus puissante, à qui on a donné tous les moyens pour faire la guerre contre le terrorisme. C’est lui qui revient faire un coup d’Etat. Pensez-vous que c’est normal ?

« Les militaires n’ont aucune solution politique à apporter à ce pays. Leur place, c’est dans les casernes »

Ils ont estimé certainement que les civils n’étaient pas à la hauteur des défis.

Si c’est ainsi, il n’a qu’à regarder sa gouvernance. A-t-il réglé la question de la sécurité ? C’est même pire que sous Roch. La situation sécuritaire est plus dégradée. Nous sommes aujourd’hui à 2 millions de déplacés, à 3 millions de personnes qui sont en insécurité alimentaire. Nous sommes en saison hivernale et il y a plus de 5 millions de personnes qui ne savent même pas où elles vont dormir avec les pluies. Est-ce que cette situation est mieux qu’avant ? Qu’est-ce qu’il a pu faire pour améliorer la situation ? Rien ! Sur le plan sécuritaire, c’est pareil. A ce stade, il n’a rien apporté de mieux que ce que Roch a fait. Moi, je ne défends pas Roch. J’ai passé le temps à le critiquer d’ailleurs. Mais les militaires n’ont aucune solution politique à apporter à ce pays. Leur place, c’est dans les casernes.

Voulez-vous dire que les militaires n’ont pas les moyens de redresser le pays ?

C’était une erreur d’avoir pris le pouvoir. S’ils ont pris le pouvoir, c’est dire qu’ils ont les moyens de régler la situation. Ils pensent que la situation est militaire et qu’ils peuvent la régler en prenant les rênes du pouvoir. A mon avis, la question qui se pose, c’est la capacité d’un leadership politique à engager le peuple tout entier dans sa défense nationale. Aucun d’entre eux ne s’aventure dans une vision de ce genre parce qu’ils ont peur du peuple. Ils ont peur de donner des armes au peuple.

Avec raison quand on imagine les dérapages éventuels !

En Algérie, ils n’ont été libérés que quand ils ont donné des armes au peuple. D’abord, il faut poser l’objectif et travailler à ce que l’objectif soit atteint. Quand on pose un objectif, cela ne veut pas dire qu’il se réalisera de suite mais il faut qu’on voie les jalons que vous posez. Ils n’ont aucune vision. Organiser un débat entre Sandaogo et moi et je lui montrerai qu’il n’a pas de vision.

Si vous étiez, à cet instant précis, en face du président Damiba, que lui auriez-vous dit en rapport avec la situation actuelle du pays ?

Je lui dirais de constater son échec cuisant et cela est lié à une absence totale de vision. Sa plus grosse erreur, c’est d’avoir perpétré un coup d’Etat. Il est le premier à se rendre compte que les coups d’Etat ne règlent pas les problèmes du pays. Et comme cela ne règle pas les problèmes du pays, il n’a qu’à tirer les conséquences de son incapacité à régler les problèmes du pays.

Demandez-vous à Damiba de plier bagage ?

Je dis seulement qu’il n’a qu’à tirer les conséquences. Je pense que ce serait mieux ainsi.

Propos recueillis par Didèdoua Franck ZINGUE et Boureima KINDO