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Le Professeur émérite Jean-Marie Mutamba Makombo décrypte l’ouvrage «Une vie de combats (Mémoires)» de Sylvestre Mudingayi

*L’endroit était bien choisi pour ce genre de cérémonie. C’est dans le magnifique cadre Maïsha, en face de l’hôpital Médecins de Nuit, sur avenue du Livre à la Gombe que le Professeur émérite Jean-Marie Mutamba Makombo a procédé à la présentation du livre «Une vie de combats (Mémoires)» écrit par Sylvestre Mudingayi. Dans cette plongée littéraire (texte de présentation), l’on découvre des magnifiques choses. Voici ce que cet éminent orateur en dit dès la première page : « Dès que le livre est tombé entre mes mains, je me suis dépêché de le lire. J’étais curieux de découvrir le texte parce que début janvier 1979, il y a plus de 44 ans, le président honoraire du Sénat, Sylvestre Mudingayi, avait accordé au jeune professeur que j’étais deux interviews pour étoffer ma thèse sur les Evolués que je venais de défendre neuf mois auparavant. »

La suite est encore plus captivante : «Le souvenir que je garde de ce grand homme, c’est le respect de l’heure. Il m’a fait des remarques lorsque je suis arrivé à sa résidence du Quartier Palais de Marbre avec un petit retard. L’autre souvenir, c’est qu’il portait la cravate en pleine saison du M.P.R. C’était avant les Treize Parlementaires. Vous comprendrez que lorsque le petit-fils Sylvestre Ntumba Mudingayi m’a sollicité pour présenter les Mémoires de son grand-père, je ne pouvais pas me débiner. » L’épisode de la cravate en pleine dictature mobutienne illustre parfaitement la bravoure de même que la forte personnalité de cet illustre personnage mis en lumière à travers ses mémoires.

Jean-Marie Mutamba Makombo a rappelé à l’assistance la façon dont cet ouvrage est tombé entre ses mains. Cette heureuse rencontre, il la doit aux «Retrouvailles téléphoniques » avec un ami, collègue professeur, écrivain et éditeur, en l’occurrence, Charles Djungu Simba. C’est ce dernier qui a publié «Les Mémoires de Sylvestre Mudingayi» aux éditions du Pangolin à Bruxelles. L’orateur s’est remémoré la belle époque du Club O (Opinion) au cours de laquelle il porta les galons de Membre de l’Association des Critiques Littéraires de Kinshasa. Ce professeur émérite a, d’entrée de jeu, martelé que la séance de présentation d’un livre n’est pas une séance académique. C’est quoi alors ? Selon  lui, présenter un livre c’est montrer l’intérêt du livre, et dire pourquoi ce livre doit être recherché et lu. Mais, il souligne que la relation des faits doit toujours être soumise à la critique historique.

«Comment le petit-fils a-t-il écrit ce livre ? » A cette question, il répond que Sylvestre Ntumba Mudingayi leur a confié avoir transcrit les enregistrements des entretiens qu’il a eus avec son grand-père, et les a ajoutés au contenu de deux longs textes de conférence laissés par l’intéressé. Abondamment illustré, cet ouvrage se scinde en 12 sections, à savoir : Avant-propos ; Le Fils du Chef ; le Blanc et l’Indigène ; L’émancipation à travers le monde associatif ; Mon combat  pour une école officielle laïque, L’effervescence politique ; La Marche vers l’Indépendance ; Le Grand Déménagement ; L’Attaque de Luputa ; Mon retour à la politique ; La retraite politique ; et Oraison Funèbre.

Parcourant ce livre, le Professeur Makombo y ressort le concept-clé «Evolués». Il les situe comme suit : «Les évolués appartiennent à la génération de ceux qui sont nés entre 1905 et 1929. Ils viennent après la génération de ceux qui ont établi les premiers contacts avec les Européens (1880-1904) et avant la génération des premiers universitaires (1930-1954). Les évolués ont profité de la multiplication des écoles : création des écoles normales, moyennes et professionnelles… » Né en 1912, Sylvestre Mudingayi a donc fait partie des «Evolués».

Après ses loyaux services successivement au Service des Finances du District de Sankuru puis de Léopoldville, ce digne fils du Congo a fait carrière à la Banque du Congo Belge, de 1932 à 1967. Ce compatriote a marqué les esprits à Lusambo. En 1953, il a fait partie des 15 Congolais qui ont visité la Belgique suite au vœu formulé pour voir les Belges au travail.

«Pourquoi les évolués ont demandé l’Indépendance ? » s’interroge le Professeur Makombo. A l’époque, il existait une forme d’apartheid. « Les seuls rapports existant entre blancs et noirs étaient les relations de travail. Au bureau, les blancs ne se donnaient pas la peine d’appeler les employés par leur nom. Ils avaient tous le même nom : CLERC ! Les ordres étaient secs et à exécuter sans manquement, sinon la chicotte. Le Congolais considérait le blanc comme un être parfait. Il était tout et possédait tout, « un dieu quoi ! »… Le blanc, par contre, voyait en l’indigène un petit enfant à qui l’on pouvait tout imposer, tout inculquer : bête comme tout, incapable de réfléchir. » C’était cela le contexte de la période coloniale.

Mais en 1956, le groupe de Conscience Africaine de l’Abbé Malula fait bouger les lignes. Dans ses mémoires, Sylvestre Mudingayi révèle : «Les Belges s’entêtaient. Ils ne pensaient pas que nous pouvions devenir indépendants un jour. Nous, les cercles des évolués, on ne visait que l’égalité avec les blancs. » Tout est donc parti de là.

Comme présentateur de «Une vie de combats (Mémoires)», le Professeur Makombo a relevé les combats menés par Sylvestre Mudingayi. Ce dernier avait cultivé l’anticléricalisme. Il était devenu «opposant de la religion catholique» parce qu’il était révolté du renvoi des enfants protestants de l’école pour des raisons confessionnelles. C’était son principal combat. Quant aux autres combats, tout lecteur peut le découvrir dans cet ouvrage fort intéressant «Une vie de combats (Mémoires)».

James Mpunga Yende

PRESENTATION DE « UNE VIE DE COMBATS (MEMOIRES) » DE SYLVESTRE MUDINGAYI

Mon premier contact avec le livre de Sylvestre Mudingayi  que je vais vous présenter,  je le dois aux retrouvailles téléphoniques avec un ami, un professeur, un écrivain de renom, un éditeur qui m’a offert « Les Mémoires de Sylvestre Mudingayi « qu’il vient de publier aux éditions du Pangolin à Bruxelles. Ce coup de fil de Charles Djungu Simba a ramené à mon souvenir les activités littéraires que nous organisions  il y a une trentaine d’année dans notre club O, comme Opinion. La camarade a arraché à notre affection trois de nôtres : le jeune Monokho, le professeur émérite Lukusa Menda et le professeur Muyambala. Nous restons comme  des buttes-témoins  avec les professeurs Yoka Lye, Djungu Simba et moi-même. Je garde de cette époque les galons de membres de l’association  des Critiques Littéraires de Kinshasa décernés  par le chef de la corporation.

Dès que le livre est tombé entre mes mains, je me suis dépêché de le lire. J’étais curieux  de découvrir le texte parce que  début janvier 1979, il y a plus de 44 ans, le président honoraire du Sénat Sylvestre Mudingayi avait accordé au jeune professeur que j’étais deux interviews pour étoffer ma thèse sur les Evolués que je venais de défendre neuf mois auparavant. Le souvenir que je garde de ce grand homme, c’est le respect de l’heure. Il m’a fait des remarques lorsque je suis arrivé à sa résidence du Quartier Palais de Marbre avec un petit retard. L’autre souvenir, c’est qu’il portait la cravate en pleine saison du M.P.R. C’était avant les Treize Parlementaires.

Vous comprendrez que lorsque le petit-fils Sylvestre Ntumba Mudingayi m’a sollicité pour présenter les mémoires de son grand père, je ne pouvais pas me débiner.

Dès le départ, deux observations  s’imposent. La séance de présentation d’un livre n’est pas une séance académique. On n’est pas là pour pinailler, et relever des coquilles et des errata. On s’attachera plutôt à montrer l’intérêt du livre, et dire pourquoi ce livre doit être recherché et lu. Cependant, la relation de faits doit toujours être soumise à la critique historique. Car la mémoire humaine est faillible.  L a production du mémorialiste sert  des matériaux bruts à l’historien. On en a des exemples. Luaghy Epole a publié en 1997 le Mémoires du Haut Fonctionnaire de l’administration publique du Zaïre. Pascal Luanghy fut nommé bourgmestre de la commune Albert d’Elisabethville après les  consultations communales de 1057. Mopila a publié ses mémoires  en espagnol en 1949 ; c’est un congolais qui a accompagné le médecin qui  l’employait. Il a fréquenté l’Ecole des Beaux arts de Madrid, a été acteur du cinéma et a voyagé en Europe. La famille d’Anicet Kashamura a préparé ses mémoires posthumes en 2021 sous le titre : « Les routes de ma vie. Souvenirs et Réflexions ». Comment le petit-fils a-t-il écrit ce livre ? Sylvestre Ntumba Mudingayi nous dit qu’il a transcrit les enregistrements des entretiens qu’il a eus avec son grand-père, et les ajoutés au contenu de deux longs textes de conférence laissés  par l’intéressé. Le livre est illustré abondamment (32 photos), plus 3 photocopies de lettres, et de journal. Il compte 128 pages  de format 14,8 cm X 21 cm. Le récit s’organise autour  de 12 sections : Avant-propos, Le Fils du Chef, Le Blanc et l’Indigène, L’Emancipation à travers le monde associatif, Mon combat pour une école officielle laïque, L’effervescence politique,  La marche vers l’indépendance, Le grand déménagement , L’Attaque de Luputa, Mon retour à la politique, La retraite politique, et Oraison funèbre.

A LA GOMBE, IL Y A UNE PLACE DES EVOLUES. QUI SONT LES EVOLUES ? QUI ETAIENT LES EVOLUES ?

A l’exception de Paul Panda Farnana, le premier universitaire congolais, né en 1888, et l’abbé Stéphano Kaoze, « le premier prêtre de la seconde évangélisation », ordonné en 1917, les évolués appartiennent à la génération de ceux qui sont nés entre 1905 et 1929. Ils viennent après la génération de ceux qui ont établi les premiers contacts avec les Européens (1880-1904) et avant la génération des premiers universitaires (1930-1954). Les évolués ont profité de la multiplicité des écoles : création des écoles normales moyennes et professionnelles, particulièrement à partir des années 1925, création de l’école des candidats commis à Boma (1906), réforme de la scolarité des candidats commis de Boma portée de six à huit ans , dont deux post-primaires (1931).

Sylvestre Mudingayi, né en 1912, entre à l’école primaire de Saint Trudon en 1923, poursuit ses études à l’école des frères à l’école des Frères de la Charité de Lusambo, et achève le cycle de 8 années des candidats commis en 1930. Etant fils de Chef, l’Etat colonial a tenu à ce qu’il fasse les meilleures études de l’époque. Il entre aussitôt dans la vie active, mais comme instituteur comme le voulaient les missionnaires, ni comme secrétaire greffier dans sa chefferie comme le voulait son père. Il travaille d’abord au service au Service des Finances du district de Sankuru, puis au Service provincial des Finances de Léopoldville. Finalement la Banque du Congo Belge, qui était la seule banque du pays, va le débaucher. Il fera carrière à la banque de 1932 à 1967.

Sa situation matérielle très honorable, ses responsabilités professionnelles le rangent dans la catégorie des évolués à Lusambo. En 1934, il  est désigné comme président de l’Action Catholique ; Association des Anciens Elèves de Lusambo  encadrée par les Frères de la Charité. Cette association avait été créée pour propager la foi chrétienne. Peu après, il va prendre ses distances et créer l’Association Mutuelle du Sankuru.  L’ASMUSA visait l’échange des connaissances et l’entraide entre les membres. En 1944, il est élu à l’unanimité pour prendre la charge et l’initiative d’organiser un cercle des évolués qui prendra le nom de Cercle Léopold III à Lusambo. Il a pris ce nom pour attirer la majorité des Blancs qui épousaient la cause de Léopold III dans les conflits dynastiques. Lorsqua le chef-lieu de la province du Kasaï a été transféré de Lusambo à Luluabourg en 1949, et que tous ceux qui étaient dans l’administration provinciale à Lusambo sont venus à Luluabourg, la Banque du Congo Belge a aussi transféré Sylvestre Mudingayi.    A Luluabourg, Mudingayi a créé le Cercle Union Fraternelle avec ses collaborateurs qui venaient de Lusambo.

Sylvestre Mudingayi a obtenu la carte de mérite civique. Il est entré au Conseil de province en 1951, et au Conseil de gouvernement en 1954. En 1953, il a fait partie des 15 Congolais qui ont visité la Belgique suite au vœu formulé pour voir les Belges au travail. Faisant partie du voyage : pour la province orientale, Jérôme Alazamani, chef du centre extra-coutumier de Stanley et mem bre effectif du Conseil de la province, Anbert Bonghoulou, Chef d’atelier, section ménuiserie, dans une écile d’apprentissage ; pour la Katanga, le grand chef de lunda, Mwata Yamvo Bako Ditende, Bonaventure comme Makonga, instituteur et commis de l’administration, co-rédacteur au  journal Nyota, Jodeph Kiwele, enseignant à l’INSTITUT Saint Boniface d’Elisabethville, musicologue renommé ; pour la province de Léopoldville, Antoine Roger Bolamba, de La Voix du Congolais, et Henri Bongolo, chef de la cité de Léopoldville et assistant médical à l’Hôpital de campagne pendant la seconde guerre mondiale ; pour le Kivu, Charles Fariala, conseiller au centre extra-coutumier de Bukavu, pensionné, installé à son compte comme menuisier et transporteur , Corneille Mpoze, instituteur devenu grand chef de la chefferie Kabare des Bashi ; pour la province de l’Equateur , Adolphe Mandjongo, chef du secteur de Gombe de Gumba, et Jules Mbila, tourneur diplômé à l’Otraco, membre de la commission régionale du Travail et du Progrès Social Indigène ; pour le Kasaï, Sylvestre Mudingayi, commis-chef à la Banque du Congo Belge et membre effectif du Conseil de la province, Hemery-Joseph Pene Senga, chef du secteur de Busambala, membre effectif au Conseil de la province. Le secteur privé était représenté par André Paka, comptable depuis plus de 20 ans au Crédit Foncier Africain à Matadi, et Isaac Simba, capita menuisier  depuis plus de 30 ans à la Sabena.

POURQUOI LES EVOLUES ONT DEMANDE L’INDEPENDANCE

Les évolués voulaient être assimilé aux blancs. Ils se différenciaient des « Bassenji’ », les sauvages. Paul Lomami Tshipamba avait posé la question dans LA Voix du Congolais : « Quelle sera notre place dans le monde de demain ? ». Mais comme Sylvestre Mudingayi l’écrit sans ses mémoires : page 27, le blanc voulait toujours se tenir à distance de l’indigène. Les blancs avaient leur propre cité, différente de celle des noirs. Il existait d’un côté des magasins, des boucheries, des restaurants, des cinémas pour les blancs, et de l’autre, des magasins pour les noirs. C’était l’apartheid sans le dire. Le blanc ne tendait jamais la main à un noir, fut-ce-t-il son collaborateur. Le nègre n’avait droit à aucune formule de politesse. Les seuls rapports existant entre blancs et noirs étaient les relations de travail. Au bureau, les blancs ne se donnaient pas la peine d’appeler les employés  par leurs noms. Ils avaient tous le même nom : CLERC ! (page 30). Les ordres étaient secs et à exécuter sans manquement, sinon la chicotte. Le Congolais considérait le blanc comme un être parfait. Il était tout et possédait tout, «un dieu quoi ». (page 29). Le blanc, par contre, voyait en l’indigène un petit enfant à qui on pouvait tout imposer, tout inculquer : bête comme tout, incapable de réfléchir. « Les noirs ne pouvaient pas tenir une réunion de plus de dix personnes sans y avoir été autorisés au préalable » (page 31). Sylvestre Mudingayi avoue que la mystification avait atteint un tel degré que la curiosité poussait certains noirs « à suivre le blanc le blanc dans la brousse pour savoir s’il faisait ses besoins  come eux » (page 30).

En 1956, le groupe de Conscience Africaine de l’Abbé Malula dort don manifeste  fin juin Al2opolsville. Sylvestre Mudingayi me dit qu’il n’est pas  surpris à Luluanourg, parce que les idées se complètent. Dans ses mémoires, page 70, répété page 77, il écrit : « Les Belges s’entêtaient. Ils ne pensaient pas que nous pouvions devenir indépendants un jour.  Nous, le Cercle des évolués, on ne visait que l’égalité avec les blancs. ».

L’année 1958 fut fertile en coups de boutoir assénés contre le pouvoir colonial. Ce fut tout d’abord l’algarade  de Joseph Kasa-Vubu lors de son installation aux fonctions de bourgmestres de la commune de Dendale le20 avril 1958. Puis, ce fut le tour des membres du Conseil de Gouvernement. Gaston Diomi, bourgmestre de la commune de Ngiri-Ngiri, souleva la question  de « la consultation des populations   autochtones »  dans un texte remis le 16 juin au Gouverneur général, président du Conseil de Gouvernement. Pour lui, les Congolais devaient désormais être associés au moment de la prise des décisions.

Aussi revendiqua-t-il leur participation dans les plus hautes instances. Ce texte ne fut pas soumis à la discussion.

Deux jours plus tard, Arthur Pinzi, Pascal Luanghy et Gaston Diomi, tous les trois, bourgmestres et membre du Conseil de Gouvernement, rédigèrent une nouvelle motion. Forts de leur légitimité, ils entendaient traduire les aspirations politiques du peuple congolais. Cette motion lue par Arthur Pinzi, fut contresignée par douze des vingt-huit congolais présents au conseil de gouvernement. Elle s’articulait autour de quatre points : la revendication des libertés fondamentales, La démocratisation des institutions congolaises, La défense d’un Congo unitaire et centralisé,  Par opposition à la compagne de presse fédéraliste des colons du Katanga, et la nécessité pour le Gouvernement Belge de se prononcer sur le statut futur du Congo. Sous la pression des autorités coloniales, sept des douze signatures se rétractèrent.

Dans ses mémoires,  Sylvestre Mudingayi rapporte cet incident page 64 : « Le simple mot ‘indépendance’ prononcé par Pinzi avait suffi pour que le Gouverneur général suspende la séance. Nous avons  eu très peur car le Gouverneur général ainsi que tous les Belges étaient furieux. Ils disaient que ce n’était pas possible et se demandaient comment on pouvait imaginer des choses pareilles. Comme moi, j’étais considéré comme le plus modéré des membres du conseil du Gouvernement, le Gouverneur général s’était tourné vers moi pour demander ce que j’en pensais et comment cela se faisait que l’on en parle maintenant. Alors, j’ai pris mon courage à deux mais – il en fallait – pour dire que c’était l’idée de Pinzi et moi aussi comme tout le monde je venais de l’entendre ».

QUELS SONT LES COMBATS MENES PAR SYLVESTRE MUDINGAYI ?

Sylvestre Mudingayi a cultivé l’anticléricalisme. Tout en étant Président de l’Action Catholique ; il était révolté du renvoi des enfants protestants de l’école officielle pour des raisons confessionnelles p.41). Pour lui ; l’école qui était le monopole des missions catholiques devait être à disposition de tous ; sans condition ; il a démissionné et est devenu « opposant de la religion catholique » (p.41).

Il a créé l’Association Mutuelle du Sankuru. Il m’a confié que les réunions étaient programmées de 8 heures à midi les dimanches pour empêcher les membres d’aller à la messe. En 1942-1943, le groupe a lancé une gazette dénommée « Produc ». Ce bulletin avait l’originalité d’être manuscrit ; il circulait entre les collègues de la banque et les amis du Secrétariat provincial de Lusambo. Chacun d’eux consignait des faits observés ; particulièrement les vexations et les injustices et rapportait des informations centralisées par un rédacteur ; on se le passait de main en main après avoir paraphé ; et on le Muté à Luluabourg ; Sylvestre Mudingayi va créer le cercle Saint-Clément dirigé en coulisses par les missionnaires.

En 1953 ; lors du voyage des notables congolais en Belgique ; Sylvestre Mudingayi fait la connaissance de Auguste Buissert ; député de Liège ; franc-maçon ; membre du parti libéral. Buissert deviendra ministre des colonies en 1954. Il va implanter les écoles laïques, les athénées, pour les noirs.  Le ministre Godding l’avait fait pour les enfants blancs à la fin de la seconde guerre mondiale. C’est le branle-bas de combat. Les missionnaires disaient aux noirs que « l’école laïque était un enseignement du diable qui introduira le communisme au Congo, que ceux qui permettront à leurs enfants d’w aller ; trouveront la mort » (p.57)

Les évolués se passionnaient pour ou contre l’école laïque depuis que pascale Luanghy, commis, David Mukeba, planteur, Moise Tshombe, commerçant, avaient présenté individuellement en 1951 des vœux au conseil de gouvernement dont ils étaient membres pour l’organisation d’un enseignement officiel non confessionnel. Ils prenaient position pour Auguste Buisseret ou faisaient la neuvaine pour sa mort.

En 1954, Mudingayi se fait l’éditeur responsable du  journal « La Lumière » pour soutenir l’enseignement officiel. La Lumière rappelle Proluce. Le journal voulait apporter la lumière aux congolais pour qu’ils connaissent et saisissent leurs droits. Il critiquait notamment la discrimination raciale instaurée dans les magasins pour blancs. Il luttait contre l’imposition au Congo du néerlandais (flamand) comme langue d’enseignement. Dans cette affaire, Mudingayi fut jeté au cachot.  Pour lutter contre les idées de La Lumières, les catholiques vont à leur tour lancer en 1956 le journal L’Abeille qui va défendre l’enseignement libre. Ce journal avait pour éditeur Paul Ngandu.

QUELLES SONT LES ORIGINES LOINTAINES DU CONFLIT LULUA-LUBA ?

En 1949, le chef-lieu de la province du Kasaï est transféré à Lusambo à Luluabourg. Tous ceux qui «étaient dans l’administration provinciale à Lusambo sont allés à Luluabourg. La majorité » était des Luba, des tetela et Kuba. Mudingayi est arrivé » à Luluabourg en 1950. Les Lulua ont commencé à se plaindre : pourquoi les premières places dans « leur territoire «  étaient occupées par des étrangers (p.50, p.89). Frustrés, ils étaient indignés de se voir dénigrés et pensaient que les blancs avaient une préférence pour les Baluba. Ils vont officialiser la création de l’Association Lulua_Frères en 1951.Le conflit va éclater de la compétition électorale pour la désignation des conseillers de la commune de Luluabourg en décembre 1958. Le 6 mai 1959 ; le chef Sylvain Kalamba Mangolo écrivit une lettre à l’Administration locale demandant qu’il soit reconnu roi des Lulua. En Juillet se produisit la fuite du rapport du commissaire de district assistant Dequenne. Il recommandait d’établir une chefferie unique ayant à sa tête Kalamba, de reconnaitre un d’étranger aux Baluba, et de prendre une décision avant décembre 1959, ce qui va jeter le feu aux poudres.

QU’EST-CE QUE C’EST Le. P.N.P. ?

Sylvestre Mudingayi a créé le Parti National du Progrès (P.N.P) que  les adversaires ont transformé en Parti du Nègres payés ou Penepene na Mondele.

Le P.N.P. était un parti de l’Ordre. Page 79, il déclare dans ses mémoires : «Moi que l’on appelait modelé ; je suis allé dire aux Belge qu4il fallait donner l’indépendance. Faute d’indépendance, il fallait d’abord donner une autonomie interne mais tout en insistant sur la nécessité de préparer les cadres dans tous les domaines : l’Administration publique et privée, la diplomatie, l’économie, les officiers militaires, etc. »

En revanche, il constate que « les repris de justice, les truands, eux qui se conduisaient mal dans le pays » étaient des adeptes des partis extrémistes, démagogues, pour l’indépendance immédiate (pp.67-68, p.90).

Pendant la campagne électorale de main 1960, il fut attaqué à coups de couteau par la Jeunesse du MNC/ Kalonji ; grièvement blessé pour mort. Un peloton de la force publique le récupéra. Il est resté dans le coma une semaine, et fut transféré en Belgique pour les soins. Il est revenu en politique  aux élections du 1965 sous le couvert du Parti Rassemblement du Peuple Luba. Elu Présidant du sénat, il a perdu son poste avec l’institution du monocaméralisme de la constitution du 24 juin 1967. Le Président Mobutu n’a pas voulu qu’il retourne travailler à la banque. Une ordonnance l’a nommé le 26 mars 1968 Administrateur et Président de la sucrière te l’Institut de Gestion du Portefeuille lui a notifié la fin de ses fonctions à la tête de la SUCRAF en juin 1972. Il est décédé le dimanche 23 novembre 1986.

Jean-Marie Mutamba Makombo

Professeur émérite/ Université de Kinshasa