Congo
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Le syndrome du Congolais : Pourquoi, alors même qu’il ne s’y sent pas bien, le Congolais reste-t-il au même endroit ?

(Par le Prof. Patience Kabamba)

Commençons ce MDW par deux postulats anthropologiques que la plupart des personnes admettront facilement.

1.        Dans l’ensemble, lorsque les gens se sentent mal à propos de quelque chose dans leur vie, ils sont plus susceptibles d’apporter des changements. Si quelqu’un se sent mécontent de l’emploi ou du manque d’emploi, il est plus susceptible de prendre des décisions et d’entreprendre des actions qui changeront son emploi, et donc de changer ce qu’il ressent. 

2.        Lorsque les gens se sentent bien dans leur vie, ils sont plus susceptibles de continuer à faire la même chose. Par exemple, si quelqu’un se sent bien avec son partenaire ou ses parents, il est plus susceptible de passer du temps avec eux et d’être généreux avec eux, à la fois dans l’amour qu’il leur témoigne et dans les choses qu’il fait pour eux. 

Les sentiments sont donc importants, selon Beth Allgood (2023). C’est l’une des raisons pour lesquelles il est si important de comprendre les sentiments des gens. Il nous indique si quelque chose fonctionne ou si quelque chose doit être changé. Ce que les gens pensent des choses est une information très importante.

Ce que vous pensez de votre vie détermine le type de choix que vous faites. Si vous n’êtes pas satisfait de votre travail, de vos relations, de votre capacité à faire les choses que vous voulez faire ou d’autres choses importantes dans votre vie, vous êtes plus susceptible d’apporter des changements si vous le pouvez. Par exemple, si vous avez l’impression qu’il n’y a pas d’opportunités pour vous de faire le genre de travail que vous voulez faire dans votre communauté, vous êtes plus susceptible de quitter cette communauté ou, si vous ne pouvez pas vous déplacer, de faire tout changement dans votre vie que vous pouvez afin que vous soyez plus heureux de vos opportunités de travail. 

Paradoxalement, nous remarquons qu’avec le Congolais, son sentir mal ne déclenche pas une réaction soit de changer son travail ou de quitter sa communauté, c’est-à-dire, en d’autres termes de transformer son pays. (Il y en a effectivement qui ont quitté le pays et d’autres qui continuent à vouloir le quitter (1/10eme des Congolais vit à l’étranger)). Les raisons de l’inaction de la grande majorité des Congolais sont à trouver dans l’histoire même de ce peuple qui a intégré le fait que toute gouvernance étatique est nécessairement despotique. Nous n’avons pas encore intégré le fait que dans toutes les régions du globe la manière dont les peuples se gouvernent varie avec le temps et selon les circonstances. A la place d’un pouvoir autocratique, concentré entre les mains d’une poignée d’individus, il est possible de gouverner le Congo collectivement avec très peu de concentration de pouvoir par un individu.

Qu’est-ce qui nous empêche d’y parvenir ?

Toute société repose sur ses élites pour inspirer la marche à suivre après avoir compris les expériences de l’histoire. Malheureusement, comme le soulignait Bob Herbert de New York Time, « Si l’histoire nous apprend quelque chose, c’est le fait que nous n’avons jamais appris d’elle. » En effet, je serais tenté de convenir avec mon ami Gary Feinman (2023)  qui pense que les sociétés n’apprennent pas assez de leurs histoires parce que les ramifications à long terme des récentes décisions historiques restent incomprises et inachevées. La plupart des problèmes que nous connaissons aujourd’hui sont les produits accumulés des décennies durant des problèmes mal résolus dans l’histoire de l’humanité. Je pense personnellement à la question non-résolue de légitimité de pouvoir au Congo. Les décennies de guerres civiles et d’invasion par les voisins (2003-2023) que le pays a connues étaient dû au problème de légitimité des ceux qui s’accaparaient du pouvoir. Corneille Nangaa nous a encore enfoncé dans ce même pandémonium.

Comme le l’ai souligné plus haut, il subsiste au sein de l’élite intellectuelle congolaise des mythes qui proviennent de leur formation dans les sciences humaines en Occident. La plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a. Notre élite ne nous délivre que les résultats de sa formation occidentale acquise soit sur place au Congo, soit en Occident.

Cette formation occidentale qui a envahie notre cursus académique contient trois mythes qui continuent de polluer le milieu intellectuel et qui devraient être remise en question plus souvent que nous ne le faisons. Et, je pense que c’est cela qui serait à la base de la léthargie du Congolais face à ce qui déstructure sa vie. 

Le premier mythe est celui qui suppose que les êtres humains en état de nature seraient mauvais, brutaux et egocentriques à tel enseigne que seul le pouvoir et la coercition de l’Etat peuvent les rendre raisonnables. S’il est vrai que toute personne humaine a une grande capacité d’égocentrisme, il est aussi vrai que comme espèce, nous sommes capables de coopération avec des personnes qui sont différentes de nous.

Nous sommes la seule espèce animale  qui en soit capable. Les humains ne sont pas par nature uniformément méchants ou egocentriques, mais le présent et le passé nous ont appris que nous sommes à la fois capables de coopération et d’égocentrisme selon les circonstances et le contexte. Nous n’avons pas une nature unidimensionnelle. L’attitude coopérative est  situationnelle. 

Le second mythe est celui qui nous fait croire que la plupart de nos sociétés prémodernes avaient universellement une organisation despotique et coercitive. Selon cette ligne d’argumentation la gouvernance autocratique que nous connaissons au Congo proviendrait de notre passé. Exceptés pour l’ancienne cité d’Athènes et la République de Rome, tous les autres seraient restés despotiques jusqu’à la Renaissance et aux Lumières européennes qui auraient adopté la raison, la science et la démocratie comme mode de gouvernance.

Le troisième mythe est justement le fait d’exclure la modernité du passé lointain et de croire que c’est seulement avec les Lumières de la pensée rationnelle que le peuple pouvait s’organiser démocratiquement en une forme de gouvernement où les voix, le pouvoir et les ressources n’étaient pas monopolisés par une poignée d’individus, comme c’est la cas aujourd’hui au Congo.

Ces mythes doivent être dénoncés car les sociétés prémodernes, en Afrique par exemple, n’étaient pas nécessairement despotiques. On a connu des communautés gouvernées collectivement qui ont résisté à l’invasion européenne.

Le royaume Yaka en est un exemple. 

La gouvernance est catégoriquement différente du gouvernement. Les Congolais doivent se battre pour une gouvernance collective de leurs biens communs et sortir à tout prix d’un gouvernement par une petite minorité qui s’accapare du bien commun et laisse la majorité croupir dans la misère pendant qu’il se la coule douce.