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Les “Tactical Small Units”, pour vaincre le M23

(Par Gilles Mpembele, PhD, MBA, Senior Avionics Engineer at The Boeing Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri)

La nouvelle en avait surpris plus d’un. Le 29 juin 2022, la cheffe de la MONUSCO, Madame Bintou Keita, révèle que le M23 se comporte de plus en plus comme une armée conventionnelle avec une puissance de feu et des équipements de plus en plus sophistiqués. Si ce nouveau développement justifie sans aucun doute un accroissement conséquent des capacités opérationnelles de la MONUSCO et des FARDC, il ne devrait pour autant pas alarmer les spécialistes des questions stratégiques et tactiques.

Dans cette nouvelle configuration, les FARDC constituent désormais la force réactive et leur stratégie devrait logiquement migrer vers des méthodes de type insurrectionnel, dans une première phase de rééquilibrage tactique, pour finir en un déploiement conventionnel de pleine puissance, dans la phase finale d’annihilation du M23. Cet article développe un concept basé sur les Tactical Small Units, pour permettre aux FARDC de reprendre la main face à un ennemi suréquipé, mais dont l’apparente supériorité opérationnelle contient des vulnérabilités intrinsèques qui peuvent causer, à terme, sa déroute et sa chute.

Le dispositif tactique du M23 et ses vulnérabilités

Le dispositif offensif qui a tant alarmé la MONUSCO correspondait vraisemblablement au diagramme tactique ci-dessous. La puissance de feu des troupes du M23 en mouvement d’attaque représenté dans ce diagramme explique la relative facilité avec laquelle la ville de Bunagana et d’autres sont tombées entre leurs mains.

En outre, le dispositif de défense statique que le M23 déploie dans les villes sous son contrôle est à ce point surdimensionné que toute tentative de riposte conventionnelle des FARDC est virtuellement vouée à l’échec.

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En certains fronts, le M23 a pu réaliser un rapport de forces avantageux de 2:1 sur les FARDC. Ce rapport est encore plus important lorsqu’il s’agit des armes lourdes, avec une présence massive des canons d’un calibre supérieur à 100mm, qui ont assez facilement percé les lignes de défense congolaises. Dans les contacts où l’enjeu tactique consistait à prendre le contrôle d’une ville, cette supériorité de puissance de feu a permis au M23 d’implémenter des manœuvres offensives d’enveloppement somme toute classiques : fixer, désorganiser, envelopper. Mais le degré de sophistication de leur équipement a été mis au grand jour lorsque se servant de leur missile sol-air MANPADS, ils ont pu atteindre un des Sukhoi-25 des FARDC en vol de reconnaissance à Goma.

Les traits caractéristiques de l’avancée des troupes du M23, notamment l’organisation des formations d’assaut, l’espacement du personnel, le placement des armes lourdes spéciales, la localisation des éléments de sécurité, et d’autres composants révèlent indubitablement un soutien logistique important. D’une part, la mobilité tactique de cet arsenal constitue un défi permanent pour le commandement du M23, et d’autre part, la préservation des couloirs logistiques qui s’étendent au-delà de la frontière rwandaise constitue peut-être le talon d’Achille de ce dispositif.

Plus généralement, les vulnérabilités du dispositif tactique du M23 sont de quatre ordres : 1) une mobilité tactique limitée, du fait même de la lourdeur de leur équipement, de l’état défectueux des routes opérationnelles, et de la quasi-impossibilité de les acheminer à travers des terrains escarpés vers des sites en hauteur où les bases arrière des FARDC peuvent décider de s’établir, 2) la difficulté de maintenir un appui logistique continu sur un théâtre d’opérations contesté, 3) l’hostilité des populations locales qui peuvent par contre constituer un réseau important d’informateurs au bénéfice des FARDC, 4) la capacité limitée du M23 de mobiliser de nouvelles troupes et de compter sur des appuis extérieurs qui ont leurs propres limites.

La riposte des FARDC au moyen des Tactical Small Units

La première erreur stratégique des FARDC depuis le début de ce conflit a été de rechercher un assaut frontal conventionnel sur un ennemi suréquipé, doté d’une puissance de feu supérieure, et manœuvrant dans un contexte géostratégique avantageux. La deuxième erreur a été de recourir à des interventions extérieures dont on sait qu’elles n’auront pour effets que de figer les positions des belligérants, d’octroyer une certaine légitimité internationale au M23, et de fragiliser, de démobiliser et de démoraliser les FARDC.

La nouvelle stratégie des FARDC, proposée dans cet article, est de forcer le M23 à être partout en tout temps en employant une pression constante sur l’ensemble de son dispositif tactique. L’objectif est d’éparpiller, de disperser les forces du M23, et de les diluer progressivement jusqu’à l’usure complète. Des unités mobiles, constituées de 4 ou 5 personnes, avec des objectifs et un mode opératoire bien défini peuvent être déployées à l’assaut des forces du M23 selon le procédé tactique du « hit-and-run » : frapper l’ennemi, puis disparaitre dans la nature.

Ces unités mobiles ont été conceptualisées comme des Tactical Small Units, et les FARDC devraient intensifier leur utilisation, avec une douzaine d’attaques par jour, de jour comme de nuit. Pour atteindre leur cible, ces unités devraient utiliser des voies secondaires d’infiltration, et parfois des sentiers de fortune, avec un arsenal limité constitué d’armes légères d’assaut comme le AK-47 ou le M16, d’un lance-roquettes RPG-7, d’un lance-grenade individuel Mle F1, et d’un moyen de communication radio. La durée effective de l’opération ne devrait pas dépasser 4 secondes, et la retraite vers les bases arrière devraient être orchestrée de telle sorte que les troupes poursuivantes du M23 perdent le soutien de leurs armes lourdes et s’exposent aux embuscades et tirs de barrage des unités des FARDC positionnées en hauteur.

Un résultat direct de cette action est que les FARDC prendraient le contrôle de facto des routes et voies d’accès vers les villes présentement occupées par le M23, perturbant ainsi leurs capacités logistiques. Et lorsque la méthode est appliquée sur les positions du M23 et leur équipement à l’intérieur des villes sous leur occupation, elle permet aux Small Units d’éviter les défenses statiques de l’ennemi et de les attirer hors des villes où même des affrontements au corps-à-corps peuvent être envisagés.

Pour soutenir l’action des Small Units, un réseau local d’informateurs devra être mis en place dans toutes les villes de l’est du pays, et en particulier dans celles sous occupation du M23.

Il s’agit pour les populations locales de surveiller les positions, mouvements et équipements du M23 et de transmettre ces informations en temps réel au commandement des FARDC. A l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, la production et la circulation de l’information ont été à ce point démocratisées, qu’elles constituent en elles-mêmes une arme importante contre des forces d’invasion. L’intelligence militaire pourra alors intégrer la clandestinité et le secret dans la collecte, la transmission, le traitement et l’exploitation de cette information. Le M23 ne peut logiquement pas bénéficier d’un tel support et cela est une vulnérabilité importante face aux FARDC.

Après la phase préliminaire de désorganisation et de fragilisation de l’ennemi, la bataille finale entre les FARDC et le M23 sera de type conventionnel. Elle se déroulera nécessairement sur des terrains accidentés où l’artillerie lourde sophistiquée et la puissance de feu du M23 seront inopérantes.

Le travail des Small Units ne connaitra de véritable succès tactique que s’ils arrivent à sortir les troupes du M23 de leurs positions, et loin des routes principales dans cette région. Certains combats se dérouleront au corps-à-corps, les armes légères seront prépondérantes, peut-être quelques mitrailleuses automatiques et d’autres armes portatives. Si l’objectif est l’annihilation finale du M23, la victoire appartiendra à celui qui aura la plus grande capacité de déplacement, mais aussi à celui qui pourra aligner le maximum de ses forces et qui sera prêt à payer le prix le plus fort.

La guerre est un affrontement de volontés

Les stratégies militaires ne sont pas uniques et les doctrines tactiques qui les sous-tendent se valent les unes les autres, mais ce qui fait réellement la différence sur le champ de bataille c’est la volonté de défaire et de vaincre l’ennemi. Le général prussien du 19ème  siècle, et théoricien militaire, Carl von Clausewitz écrivait ceci : « la guerre est un affrontement de volontés ». Les FARDC ne viendront à bout du M23 que dans la mesure où elles arrivent à cristalliser la volonté populaire de vaincre définitivement le M23. Cette volonté doit se matérialiser dans la conduite de la guerre de manière générale, et dans l’exécution des stratégies de combat sur le champ de bataille. Mais cette exigence de volonté ne concerne pas que le soldat au front. Elle concerne tout le commandement militaire chargé de conduire la guerre, et au-delà, le pouvoir politique et l’ensemble de la nation. Dans cette architecture, le maillon faible de la chaîne n’est ni la population congolaise, ni le soldat au front.