Cote d\'Ivoire
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Côte d’Ivoire-AIP/ « Le Centre de guidance infantile plaide pour une meilleure prise en charge adaptée à chaque pathologie » (Dr Lambert Moké Botthy)

Abidjan, 20 mars 2023 (AIP)- En Côte d’Ivoire, le Centre de guidance infantile (CGI) est le centre national public de référence dans la prise en charge des troubles psychopathologiques chez l’enfant et le jeune adolescent. Ayant ouvert ses portes en 1974 au boulevard Jacob Williams à Adjamé, non loin de la Grande Mosquée d’Adjamé, il est situé depuis 1994 dans l’enceinte de l’Institut national de santé publique (INSP), à cheval sur les communes d’Adjamé et du Plateau (District autonome d’Abidjan). Le CGI est à ce jour, le seul établissement public, pivot dans le réseau de prise en charge médico-sociale en santé mentale de l’enfant et du jeune adolescent, avec pour but d’améliorer la qualité de vie de ces enfants et de leur famille.

L’AIP est allée à la rencontre de Docteur Lambert Moké Botthy, pédopsychiatre et actuel responsable du CGI, méconnu du grand public. Il évoque l’importance du Centre et les difficultés rencontrées dans la prise en charge de ses patients. Interview.

AIP: Quelle est la principale cible du Centre de Guidance infantile ?

Docteur Lambert Moké Botthy: Nous prenons en charge les enfants et les jeunes adolescents (0 à 16 ans). En pédiatrie, l’âge est compris en 0 et 15 ans parce que c’est la période où l’enfant achève sa puberté. Mais en psychiatrie de l’enfant, nous allons jusqu’à 16 ans parce que lorsqu’on adresse les enfants qu’on a suivi au CGI vers le service des adultes, les pathologies sont mal connues compte tenu de la délicatesse de leur statut. Pour les consultations simples, nous recevons en moyenne 350 à 400 enfants/an.

Quelles sont les pathologies qui y sont traitées ?

Les enfants qui sont référés dans notre Centre souffrent de troubles du comportement tels que la dépression, les difficultés scolaires, les troubles épileptiques/neurologiques, les retards de langage, la toxicomanie, les sévices corporels et/ou autres abus sexuels, les retards psychomoteurs (de la station assise, de la marche, dans le maintien du cou), la trisomie 21 (enfants abusivement appelés « enfants mongols » ou enfants serpents), troubles du sphincter (« pipi au lit »), certains stades d’autisme, etc.

Quelles peuvent être la cause de ces pathologies ?

Ces pathologies peuvent être héréditaires ou survenir suite à une atteinte neurologique, à savoir, la méningite, le neuropaludisme, les convulsions, la souffrance cérébrale néonatale, etc.

Quel est le profil du personnel exerçant dans le Centre ?

Nous avons une équipe pluridisciplinaire. Il y a un seul médecin-chef (que je suis), des infirmiers, des sages-femmes, des travailleurs sociaux, à savoir, les inspecteurs d’éducation spécialisées et des maîtres d’éducation spécialisées.

Nous avons aussi un rôle de formation car nous recevons des étudiants de l’Institut national de formation sociale (INFS), de l’Institut national de formation des agents de santé (INFAS), des étudiants en médecine, des étudiants en psychologie et des élèves-magistrats. Ces différents étudiants nous servent de bénévoles durant leurs stages.

Comment se fait la prise en charge médicale des patients ?

Lorsqu’un enfant vient dans le centre, après entretien avec les parents, le premier examen clinique obligatoire demandé est l’électroencéphalogramme (EEG), un examen qui permet de détecter plusieurs troubles neurologiques en lien avec des anomalies de l’activités cérébrale. A partir de là, la pathologie est précisée et ensuite l’enfant est conduit dans le service indiqué pour ses soins, qui je précise, sont très longs (une durée moyenne de six mois à deux ans, selon la pathologie, pour avoir les premiers bons résultats).

La prise en charge est autant rééducative que médicamenteuse. Le plus important est de faire comprendre aux parents de conduire les enfants très tôt à l’hôpital lorsqu’ils constatent une anomalie.

Comment les malades sont référés dans le Centre, puisqu’il est méconnu du grand public ?

Nos relais sont généralement les parents des enfants qui y prennent des soins. Ils en parlent autour d’eux lorsque dans leur milieu proche, ils soupçonnent qu’un enfant a une anomalie psychique. Aussi, les médecins pédiatres ont été formés à la détection de certaines défaillances psychiques et motrices de leurs petits patients. Il y a aussi les éducatrices/eurs permanent(e)s exerçant dans les établissements préscolaires qui réfèrent les parents lorsqu’un trouble est constaté chez leurs élèves.

Avez-vous quelques résultats probants après la prise en charge des enfants ?

Nous avons de bons résultats puisque nous arrivons à rendre beaucoup d’enfants autonomes, c’est-à-dire, qu’ils arrivent à la longue à lire correctement, à se tenir debout ou marcher seul, à prendre soin d’eux-mêmes (bain, manger, écrire…), certains sont intégrés dans des petits métiers. Mais c’est un travail d’équipe et de patience entre nos professionnels et les parents.

Nous prévenons les parents que la prise en charge de certaines pathologies est pour toute la vie, mais le plus important est de les rendre autonomes. Mais parfois, certains se découragent, compte tenu des frais couteux, et se tournent vers les guérisseurs traditionnels, évoquant aussi des causes mystico-religieuses. Les perdus de vue sont nombreux.

Prenons l’exemple d’un enfant souffrant de trisomie 21. Il est fragile, tant au niveau du langage, des intestins, de la vue et/ou au niveau psychomoteur. Cet enfant doit être suivi et faire des examens médicaux réguliers. Il lui faut l’examen « caryotype » (380.000 FCFA), une IRM (320.000 FCFA), l’EEG, les tests psychologies (compris entre 200 à 250.000 FCFA)… Sans oublier qu’il doit faire des séances de rééducation deux à trois fois/semaine (d’un cout 15 à 20.000 FCFA/séance). Des médicaments peuvent coutent au moins 20.000 FCFA la boite, à prendre deux boites dans le mois, sur six mois. Or généralement, nos assurances-santé ne prennent pas en charge les maladies que nous traitons. Voyez la difficulté des parents…

Quels sont vos besoins pour remédier à cette insuffisance de la prise en charge qui est très onéreuse ?

L’Etat fait beaucoup en termes de prise en charge et en y affectant du personnel paramédical fonctionnaire et des équipements, mais les réalités du terrain nous rattrapent. Aussi, les parents n’ont pas les moyens d’aller dans les structures privées.

Au niveau des ressources humaines

Nous sommes en nombre très insuffisant. Au CGI, il nous faut au moins trois autres médecins pour soutenir le nombre grandissant de patients. Pour respecter les normes, nous recevons au moins 12 enfants/jour en consultation, ce qui est énorme en pédopsychologie où l’accent est mis sur l’écoute. Nous sommes malheureusement obligés de demander aux parents de revenir les jours suivants pour des consultations lorsque notre quota est atteint. Certains perdent patience parce qu’ils trouvent que l’attente est longue…

Aussi, pour le personnel paramédical fonctionnaire, nous avons besoin d’au moins quatre psychologues, d’orthophonistes, de plus d’inspecteurs d’éducation spécialisée, de maitres d’éducation…

Au niveau du matériel d’apprentissage

Il nous faut davantage d’instruments et ouvrages d’apprentissage/jeux qui actuellement sont usagés et en nombre très insuffisant.

Au niveau du plateau technique

Il y a un manque criant, sans oublier le coût des frais des analyses médicales, dont beaucoup sont fait dans le privé. L’Etat fait beaucoup, mais nous lançons encore un appel aux Fondations et aux personnes de bonne volonté, car les équipements du laboratoire d’analyses médicales doivent être renforcés et subventionnées pour amoindrir les coûts d’au moins 50 à 60%. Cela permettra aux parents de supporter et permettre une meilleure prise en charge des enfants et éviter ainsi les perdus de vue. Nous avons recours parfois à des personnes de bonne volonté et des réseaux pour avoir par exemple les tests psychologiques (200 250.000 FCFA) et les mettre à disposition des patients. Nous n’avons pas de lignes budgétaires qui prend en compte cela.

L’EEG (entre 35 à 60.000 FCFA selon les structures) est devenu un examen standard alors que nous n’en disposons pas. Nous plaidons pour l’acquisition de cet appareil (avec un neurologue qui viendra deux fois/semaine) dans nos locaux pour faciliter et amoindrir la prise en charge.

Au niveau des médicaments aussi. Pour un traitement de l’épilepsie qui dure deux à trois ans, à un moment donné les parents de l’enfant sont épuisés. Je peux citer plusieurs exemples de pathologies.

Au niveau des infrastructures

Bien vrai que nos services ne sont pas très connus au plan national, mais notre Centre est très  fréquenté et nos locaux sont dépassés et débordés, en termes de contenants. Soit, nous devons être délocalisés, ou encore, comme la cour de l’INSP est vaste, des bureaux et des salles adaptées pour la rééducation des enfants peuvent être construites, avec des aires de jeux.

Pour exemple, par manque de locaux, le personnel paramédical reçoit les patients ensemble dans une grande salle commune, alors que les entretiens doivent être confidentiels. La salle de rééducation est commune alors que les pathologies sont distinctes. La salle de rééducation psychomotrice doit être différente de celle de l’orthophoniste (troubles du langage), ou encore des troubles scolaires. Nos patients doivent être dans un environnement adapté. Nous plaidons pour la construction d’un bâtiment qui correspond véritablement aux normes de prise en charge correct de chaque pathologie en équipement et en ressources humaines. Car le volume de travail qu’abattent le personnel est immense. Ils travaillent avec plus d’amour et patience.

(Interview réalisée par Tra Lou Sonia)

(AIP)

tls/cmas