Cote d\'Ivoire
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Municipales à Cocody / Pourquoi Éric Taba et Yasmina Ouégnin ne pouvaient pas gagner

Le rideau est tombé sur les élections municipales â Cocody, soldées par la large victoire du maire sortant Jean-Marc Yacé.
Un scénario prédit longtemps à l’avance par le politologue TOURÉ Joseph André et relayé le 7 juillet 2023 sur les sites Opéra news et Vnews.ci
À la faveur des récents événements survenus à la mairie de Cocody, nous vous proposons à nouveau, cette excellente analyse prospective.

Les prochaines élections locales, à savoir les régionales et les municipales se tiendront le 2 septembre 2023, sur toute l’étendue du territoire ivoirien.
Situées à deux ans de la prochaine présidentielle ivoirienne, ces consultations, quel que soit leur verdict, constitueront une base de données solides pour les différentes formations politiques dans l’optique de 2025. Cela montre toute l’importance que les hommes politiques, la société civile et tous les observateurs du marigot politique national attachent à ce scrutin.
Si les regards ne manqueront pas d’être focalisés sur les scores réalisés par les partis politiques dans leurs bastions traditionnels ou supposés tels, l’on gardera toutefois un œil curieux sur la commune de Cocody où la bataille s’annonce âpre entre les candidats en lice que sont, Jean-Marc Yacé, candidat PDCI et maire sortant, l’honorable Yasmina Ouegnin, indépendante, Éric Taba, Directeur du protocole du Président de la République et cheval du RHDP et Étienne Prosper M’Ponon du PPA-CI, pour ne citer que les visages les plus connus.
Commune abritant la résidence officielle du chef de l’Etat, celles des diplomates en service à Abidjan, les locaux de la télévision nationale, les principaux camps militaires de la capitale ivoirienne, des réceptifs hôteliers de premier rang, les meilleurs centres hospitaliers sans compter la première université du pays et autres grandes écoles de référence, Cocody ne manque pas d’attrait et aiguise des appétits toujours renouvelés au sein de la classe politique ivoirienne.
Surtout du côté de la coalition au pouvoir, le RHDP qui bute inlassablement sur cette bastille, imprenable jusque-là. Une infortune qui pourrait s’expliquer par la constitution de l’élection de Cocody. En d’autres termes, quelle est la nature ou encore de quel bois la population votante de la commune est-elle faite?

     LA NATURE DE L'ELECTORAT À COCODY 

D’une superficie de 132 km² pour une population frôlant les 700.000 habitants selon les chiffres du dernier recensement général de la population et de l’habitat, Cocody est commune de plein exercice depuis 1980.
Son premier maire est feu Usher Assouan qui exercera 2 mandats avant de passer le relais à Mel Eg Théodore qui gouvernera sur toute la décennie 1990-2000. Ils sont tous deux de la bannière PDCI-RDA.
En 2001, avec l’avènement du Président Laurent Gbagbo au pouvoir, c’est Gomont Diagou du FPI qui rafle la mise aux élections municipales de 2001. Il restera aux affaires jusqu’au 11 avril 2011. Contraint à l’exil suite à la crise post-électorale de 2010, son intérim est assuré pendant deux ans par feu Niahoua Jacques Dogo qui passera le flambeau par la suite à Mathias N’goan Aka, déclaré vainqueur des élections de 2013. Ce dernier honorera un seul mandat pour faire place depuis 2018, à l’actuel maire, Jean-Marc Yacé.
Il faut remarquer que depuis 1980, excepté l’alternance de 2001 au bénéfice du FPI, la commune de Cocody a toujours été administrée par le PDCI-RDA. Et cela n’est nullement un hasard.
C’est qu’avec l’indépendance acquise en 1960, sous la houlette du Président Félix Houphouët-Boigny, ce sont 160 logements qui y seront construits pour loger les agents de l’Etat.
Au temps du parti unique, on imagine bien que tous ces agents militaient d’office à cette adresse politique et au fil du temps, auront su implanter solidement cette formation politique dans les habitudes et les cœurs des populations locales.
À côté de cette bourgeoisie PDCI, va éclore en 1990, avec l’avènement du multipartisme, une génération d’universitaires, progressistes, d’obédience socialiste et amoureux de la démocratie et de la souveraineté. Ils sont conduits par les Bernard Zadi Zaourou, Francis Vangah Wodié, Laurent Gbagbo, Barthélémy Kotchy, Harris Memel Foté, Bamba Moriféré et bien d’autres.
Ces grands maîtres des amphithéâtres ont une forte influence sur les étudiants électrisés par leurs enseignements dans un contexte général de liberté symbolisée par le vent de l’Est qui souffle sur le monde et rend possibles tous les changements dont rêvent tous ces jeunes gens.
Leur armes de combat sont le Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur ( Synares) pour les enseignants et la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire ( Fesci), pour les apprenants.
Bien évidemment, les deux syndicats, dans une synergie idéologique, ne mettent pas longtemps à bousculer l’ordre ancien et mettre sous contrôle les campus et résidences universitaires de la commune.

Autre entité constitutive de la population locale, une couche de jeunes cadres qui sortent des communes populaires d’Abidjan pour prendre pied dans les nouveaux quartiers de Cocody.
Pour la plupart, ils ont en partage avec les universitaires et les étudiants, la liberté de penser et d’agir.
Pour nous résumer, on dira que l’électorat à Cocody est constitué d’une forte base du PDCI-RDA à laquelle s’ajoute une population de gauche qui est loin d’être quantité négligeable.

          L'INFORTUNE DES PRO OUATTARA 

Le RDR, hier et aujourd’hui le RHDP, tiennent leur infortune continue de ces indicateurs là. Et cela, malgré les moyens colossaux que le Président Ouattara et les siens y injectent depuis plus de 20 ans pour espérer un triomphe local.
Éric Taba pourra-t-il enfin conjurer le mauvais sort, cette année ? L’homme peut-il faire mieux que ses infortunés prédécesseurs ?
Rien n’est moins sûr surtout avec le retour dans l’arène, cette année, des partisans du Président Laurent Gbagbo, ambitieux de s’installer à nouveau à l’hôtel communal de Cocody.
Autre écueil qui fragilise la candidature d’Éric Taba, c’est l’absence d’une figure marquante du RHDP à Cocody, c’est à dire une personnalité à laquelle on pourrait identifier ce parti dans la commune. En effet, à peine les militants ont-ils le temps de se familiariser avec un nom et un visage, que ça change à la consultation électorale d’après.
Pour illustration, au début, il y a eu feu Hamed Bakayoko qui après son échec, a fini par trouver refuge à Abobo. Ensuite, Félicien Agbahi, Célestin Koala, Affoussiata Bamba Lamine, puis Mathias N’gouan en 2018.
Pour le dernier cité, il faut indiquer qu’élu cinq ans plus tôt sous la bannière PDCI, l’homme avait pour lui un bilan flatteur et un attractif projet écologique intitulé  » Cocody, cité verte et puits de carbone ». Son passage au RHDP à 2 mois des élections entraînera sa ruine, battu largement par Jean-Marc Yacé du PDCI.
De plus, si depuis quelques mois, le candidat Éric Taba tourne dans les différents quartiers de la commune et les villages rattachés où il se montre généreux à souhait, la critique dénonce en revanche une approche opportuniste et un élan du cœur calculé, donc loin d’être naturel. Et ce n’est pas la stratégie de conquête par les ethnies et autres replis claniques, déroulée ces derniers temps par le porte étendard du régime actuel, qui montera sa côte auprès d’un électorat aussi particulier que celui de Cocody. Parce qu’ici, rares sont observables les scènes de transhumance d’ électeurs et autres, achats des consciences.

YASMINA PEUT-ELLE GAGNER SANS LE PDCI ?

Qu’en est-il de l’honorable Yasmina Ouegnin ?
Député de Cocody, la fille de l’ambassadeur Georges Ouegnin, – qui fut l’ombre de feu Félix Houphouët-Boigny pendant plus de 30 ans en qualité de Directeur de protocole-, est à son troisième mandat. D’abord élue sous l’étiquette PDCI en 2011, elle rempile en 2016, cette fois en tant qu’indépendante parce que rebelle à « l’appel de Daoukro » de 2014, fondant le PDCI dans le RHDP. Nous y reviendrons. En 2021,  » YAS », comme la nomment ses intimes, retrouvera les couleurs du PDCI après le divorce intervenu entre temps entre les présidents Bédié et Ouattara et triomphera à nouveau.
Le moins que l’on puisse dire au regard de ces résultats électoraux, est que Yasmina Ouegnin a commencé depuis une décennie, à construire une histoire avec la commune de Cocody. Un lien sans plis ni rides pour l’heure. Mais cela est-il un gage suffisant pour voir sa candidature indépendante l’emporter le 2 septembre prochain, dans le contexte politique actuel?
Difficile de répondre par l’affirmative, les éléments d’analyse qui suivent montrant peu d’enthousiasme pour cette thèse.
Regardons de plus près. En décembre 2011, ont lieu les élections législatives. Les plaies de la violente crise post-électorale à Abidjan sont encore béantes et bien évidemment le FPI de Laurent Gbagbo appelle au boycott. Le scrutin est marqué par une forte abstention avec notamment un taux national de participation de 36, 56 %.
À Cocody, Frédérique Lucienne Yasmina Ouegnin est élue avec un taux de participation de 15, 71 %.

En 2016, elle rempile mais cette fois, avec le dossard de candidat indépendant.
C’est que, cette année là, le PDCI, tenu par l’accord de Daoukro, rejoint le RDR au sein du RHDP pour faire liste commune et choisit la ministre Affoussiata Bamba comme tête d’affiche au détriment de Yasmina Ouegnin.
La base du parti septuagénaire ne partage pas l’inspiration diu président Bédié et les mécontents se rangent alors du côté de la fille de l’ambassadeur Georges Ouegnin qui a pour colistier, Stéphanie Koudougnon, pro Gbagbo et visage bien connu de la gouvernance Gomont Diagou.
Et bien que la consigne officielle du FPI reste toujours la non participation aux élections, nombre de militants de gauche choisissent d’accompagner Koudougnon qu’ils considèrent comme un moindre mal. La recette fait mouche et la liste Yasmina Ouegnin- Stéphane Koudougnon gagne les élections

En 2021, Yasmina est à nouveau élue avec l’étiquette PDCI qu’elle a retrouvé après la rupture intervenue en 2020 entre le PDCI et le RHDP.
De ce qui précède, se dégage une constante: Yasmina a toujours gagné grâce à l’engagement militant des bases du PDCI même s’il ne faut pas perdre de vue la sympathie des pro Gbagbo à son endroit.
C’est pourquoi sa candidature indépendante au scrutin du 2 septembre prochain face au PDCI et au PPA-CI de Laurent Gbagbo, apparaît comme un gros défi, voire mission impossible.
Comment, en dehors de ces deux officines qui lui ont, chaque fois, servi d’échelle pour se hisser au parlement, Yasmina va-t-elle s’y prendre pour s’installer à l’hôtel communal de Cocody ? Quels leviers compte-t-elle actionner pour nourrir durablement sa rébellion contre la discipline du parti? Les réseaux sociaux ?
Populaire sur ces canaux, la député de Cocody a vu sa côte baisser depuis l’annonce de sa candidature aux municipales, avec notamment un flot inhabituel de propos dépréciatifs observés à son encontre. Un signal qui, s’il se poursuit, donnera du crédit à ses détracteurs qui voient cette candidature indépendante comme le caprice de trop de l’enfant roi.
Aussi, en dehors de ses publications sur les réseaux sociaux, les actes posés par la jeune parlementaire en faveur des populations, sont peu visibles à Cocody et cette observation revient inlassablement dans les griefs portés contre Yasmina Ouegnin.
Au total, la tâche s’annonce herculéenne pour l’honorable Frédérique Lucienne Yasmina Ouegnin surtout qu’en face, se dresse Jean-Marc Yacé, le maire sortant et cheval du PDCI dans la course du 2 septembre 2023.

JEAN MARC YACÉ, UN BILAN AVANTAGEUX ET UNE GROSSE MACHINE POLITIQUE

C’est un truisme d’affirmer que l’homme aura le soutien de la grande majorité des bases du PDCI alignées sur la discipline du parti et la dévotion au président Henri Konan Bédié.
À cela, il faut ajouter les partisans du Président Laurent Gbagbo, en cas d’accord entre le PDCI et le PPA-CI pour faire chemin ensemble à ces élections locales.
De plus, Jean-Marc Yacé a pour lui un bilan fort apprécié des administrés avec notamment les travaux de voirie, le relèvement des plateaux techniques des centres de santé de la commune, la construction et la réhabilitation des écoles, l’aide apportée aux couches les plus fragiles de la population, l’équipement de la police municipale, le soutien aux forces de police et de gendarmerie et l’engagement en faveur de l’autonomie financière des femmes et l’insertion professionnelle des jeunes, observés en 5 ans d’exercice.
À ce tableau, il convient d’ajouter l’inauguration récente et la mise en service de la mairie annexe d’Angré Djorogobité pour décongestionner les services municipaux de Cocody-centre.
Dans le même ordre, il faut mentionner le capital sympathie amassé par le premier magistrat de la commune de Cocody grâce à sa fille Olivia Yacé, Miss Côte d’Ivoire 2021 qui aura marqué l’histoire de ce concours de beauté et porté haut les couleurs ivoiriennes à Miss monde.
En somme, une belle carte de visite qui fait de l’actuel maire de Cocody, le principal favori pour les municipales à venir et cela, sans.faire injure au candidat Etienne Prosper M’ponon du PPA-CI. qui ne manque pas également d’atouts.
En effet, partisan de Laurent Gbagbo, il apparaît comme le candidat principal du peuple de Gauche de Cocody. S’il advenait qu’il fasse chemin à part,- donc sans le PDCI-, l’affaire serait pour lui, loin d’être une balade de santé parce qu’iEponon se mettrait ainsi à dis les bases du PPA-CI où le sentiment dominant est aujourd’hui en faveur d’une alliance des deux poids lourds de l’opposition ivoirienne pour changer le gouvernail de la Côte d’Ivoire en 2025.

Une hypothèse qui reste peu probable pour l’heure même si en politique, tout reste possible.

TOURÉ Joseph André
Analyste politique