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Fin de vie : le «oui mais…» de la Convention citoyenne au suicide assisté ou à l'euthanasie

Favorables à une évolution de la loi, les 184 Français tirés au sort sont cependant divisés sur les modalités d'accès à l'aide active à mourir. Ils alertent d'une seule voix sur la «situation alarmante de notre système de santé» et demandent l'accès aux soins palliatifs «pour tous».

À la question complexe de la fin de vie, la Convention citoyenne n'a pas souhaité apporter une réponse simpliste. Dimanche matin, leur rapport a été adopté à 162 voix pour, sur 176 votants. Certes, après avoir planché quatre mois sur ce sujet délicat, une majorité de 184 citoyens tirés au sort (76 %) ont tranché en faveur de l'ouverture d'un accès à une aide active à mourir. 23 % des conventionnels se sont à l'inverse prononcés contre cette évolution. Un pourcentage qui a augmenté entre le débat et la fin de la Convention.

Mais ces seuls pourcentages masquent toute la diversité des points de vue sur les contours que pourrait prendre cette évolution. Car, au-delà du pour et du contre, la question du comment ne fait pas consensus. À la question posée par la première ministre : «Le cadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ?», les citoyens répondent à 97 % que le cadre d'accompagnement de la fin de vie doit être amélioré. Une grande partie d'entre eux le jugent inadapté aux situations de fin de vie. Mais la Convention citoyenne, loin de se borner à cette question contrainte, voire orientée, est allée bien plus loin dans son analyse.

« Inégalités d'accès aux soins palliatifs »

Dans un manifeste aux allures d'avertissement au gouvernement, les citoyens insistent sur la dégradation de l'exercice du soin sur le terrain : « Il est plus que jamais nécessaire de renforcer notre système de santé afin d'accompagner l'ensemble des patients, et plus spécifiquement ceux en fin de vie ». Inquiets, ils pointent le « manque de soignants », les « déserts médicaux », « l'engorgement des services d'urgence » et les « inégalités d'accès aux soins palliatifs » sur le territoire.

Pour y remédier, ils appellent les pouvoirs publics à faire un « effort considérable » en prenant des mesures fortes, comme la création d'un droit opposable aux soins palliatifs, l'égalité d'accès à l'accompagnement de la fin de vie ou encore le renforcement de la formation des professionnels de santé. Au passage, quelques remarques cinglantes émaillent le rapport. Comme cette allusion au budget accordé au plan de développement des soins palliatifs, dont le montant, en comparaison d'autres dépenses publiques, montre « combien ce sujet n'est pas appréhendé aujourd'hui comme une question prioritaire ».

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Ce n'est qu'après ce constat sans fard et ces requêtes qu'une position majoritaire sur l'aide active à mourir s'exprime, « avec de nombreuses nuances ». Même dans le camp des partisans de l'évolution, les avis sont divisés. Les contours de ce nouveau droit et les conditions pour y accéder ne font pas consensus. En tout, dix-neuf approches d'accès à l'aide active à mourir ont été proposées et mises au vote. Un « champ des possibles » plus qu'un mode d'emploi clé en main d'un nouveau modèle français de l'aide active à mourir.

La plus grande partie des « pour » (40 %) estime que le suicide assisté et l'euthanasie doivent être indifféremment proposés. Ce groupe de citoyens considère l'aide active à mourir « comme un soin » qui « soulage les souffrances » et un « accompagnement » pour des situations ou pathologies « pour lesquelles la médecine n'a pas de solution ». Cette double option du suicide assisté et de l'euthanasie permettrait de « ne pas exclure des cas de souffrance ». Ses partisans relèvent d'ailleurs que ce sont les progrès de la médecine qui ont favorisé « l'émergence de situations médicales parfois inextricables ». Ils considèrent donc l'aide active à mourir comme « une contrepartie aux progrès de la médecine ».

Les dérives d'une systématisation

Une autre partie des citoyens (28 %) juge qu'il faut avant tout privilégier la possibilité du suicide assisté qui favorise l'autonomie du patient. D'autant que cette forme d'aide active à mourir ne nécessite pas l'intervention des soignants pour réaliser le geste létal. L'euthanasie devrait alors être autorisée uniquement de manière exceptionnelle pour ceux qui ne peuvent pas accomplir ce geste eux-mêmes. « La singularité de notre proposition d'aide active à mourir, c'est la primauté donnée au suicide assisté » dans une optique de « responsabilisation » des patients, souligne ce groupe. Évitant l'écueil d'une « trop grande implication » des soignants, ce modèle de recours « exceptionnel » à l'euthanasie permettrait de prévenir « des dérives de sa systématisation ». Mais, là encore, des interrogations persistent. Notamment sur la question de la prise en compte des souffrances psychiatriques, psychologiques ou existentielles. Deux autres groupes d'opinion, les partisans du suicide assisté seul (proposition votée à 10 %) ou de l'euthanasie seule (proposition votée à 3 %) ou de l'euthanasie, sont un peu moins nombreux.

Visiblement très sensibles aux risques de dérives de la légalisation d'une aide active à mourir, la plupart des citoyens favorables à cette évolution ont en outre souhaité l'inscrire « dans le cadre d'un parcours d'accompagnement et de soin global », à coordonner avec les soins palliatifs. Ils ont imaginé ce parcours comme une succession d'étapes jouant le rôle de garde-fous, débutant avec l'expression d'une « demande libre, éclairée et révocable à tout moment ». Il passerait ensuite par un « accompagnement médical et psychologique complet », une « évaluation du discernement indispensable » puis une validation de la demande par une procédure collégiale et pluridisciplinaire. Enfin, l'acte létal serait encadré par le corps médical. Tout ce parcours serait mené sous la surveillance d'une commission de contrôle. Alors que les soignants ont joué un rôle d'alerte et se sont positionnés en masse contre l'aide active à mourir, les citoyens ont aussi jugé qu'une clause de conscience devait leur être accordée.

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Qui pourrait accéder à ce droit, sur quels critères ? Là encore, des désaccords se sont exprimés. Comme si les théories se heurtaient au cadre d'une mise en œuvre concrète. Une difficulté résumée par les citoyens opposés à l'aide active à mourir, même sous conditions : «En cas de légalisation d'une aide active à mourir sous conditions, il sera difficile de faire le tri entre les différents types de douleurs et de souffrance exprimées et d'appliquer correctement les critères définis : où mettre le curseur ? Comment évaluer et décider de manière juste ? Comment définir ce qui est recevable ?».

Les conventionnels favorables à une évolution se sont cependant accordés sur des critères « prioritaires ». La capacité de discernement de la personne est apparue comme une « condition essentielle ». L'aide active à mourir pourrait-elle être autorisée pour les personnes inconscientes ou ne pouvant plus s'exprimer ? Certains citoyens mettent en avant la possibilité de se référer aux directives anticipées ou à l'avis de la personne de confiance. Mais pas tous. Sur le plan médical, l'incurabilité, les souffrances réfractaires et la souffrance physique en particulier, sont considérés comme des critères importants à prendre en compte pour ouvrir l'aide active à mourir. La prise en compte de la notion de « pronostic vital engagé » fait davantage débat. Tout comme la question de l'aide active à mourir pour les mineurs - sujet à forte charge émotionnelle et polémique - divise. Au sein de la Convention, un groupe de citoyens, tout d'abord nommé «absolu » puis rebaptisé « universel », prône pour sa part un accès à l'aide active à mourir plus large, « sans autre condition que la volonté de la personne et l'évaluation de son discernement ».

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En parallèle de toutes ces oscillations sur la meilleure façon de légaliser une aide active à mourir, les opposants ont affûté leurs arguments. Leur refus de cette rupture avec «l'interdit de tuer» s'articule autour de cinq grandes idées : le manque d'application de la loi actuelle sur la fin de vie, le risque pour les personnes vulnérables, la remise en cause de notre système de santé, l'atteinte à notre modèle de société et de solidarité, les risques d'élargissement du cadre de la loi. « Il n'est pas judicieux de changer la loi pour des cas particuliers. Ne serait-il pas suffisant de commencer par offrir à tous les malades des soins palliatifs adéquats ? », interrogent-ils. La légalisation de l'aide active à mourir pourrait «entraîner une démultiplication des conflits d'intérêts en faisant primer l'économique», avertit ce groupe de citoyen et «affecter l'effort de recherche et développement sur la fin de vie et les douleurs réfractaires».

Lucides, les citoyens avertissent : leurs travaux intenses, riches, féconds, permettront de « nourrir le débat public» plutôt que de « le clore ».