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«Sans collier», ménopause et années de plomb

Michèle Pedinielli écrit comme elle parle et comme elle vit, sans retenue, avec énormément d’humour et une façon bien à elle de raconter la mafia et les malfrats. Ses polars ne sont pas classiques, on ne s’y ennuie jamais car on est trop attachée à l’héroïne, la détective privée Ghjulia Boccanera, dite Diou, personnage récurrent de ses romans, la cinquantaine, célibataire, éruptive, drôle, foutraque et follement sympathique. Dans Sans collier, elle vit en coloc à Nice avec un ami qui est comme un frère, Dan, homosexuel, dans les bras duquel elle se réfugie quand elle a des idées noires, et ça arrive souvent.

Sa dernière enquête nous avait plongés dans le maquis corse avec la Patience de l’immortelle, cette fois Diou apprend qu’un jeune ouvrier moldave a mystérieusement disparu d’un chantier de construction à Nice, au moment même où le patron de l’entreprise qui l’employait, un Italien, meurt d’une crise cardiaque dans sa voiture. C’est qu’on construit à tout va à Nice, ce qui met la détective hors d’elle. «Tu vois, chez nous, on est concerné au plus haut niveau par le changement climatique. La preuve, on accueille des conférences au sommet sur l’environnement avec plein de ministres qui arrivent en avion, on organise des expos de photos prises d’hélicoptère de l’Amazonie déboisée parce que c’est bien triste, on invite des chanteurs qui couinent qu’il faut sauver les chasses d’eau en faisant pipi sous la douche, écrit Pedinielli. Mais en même temps, comme dirait l’autre, on autorise l’arrachage d’arbres centenaires qui gênent la construction du tramway, on signe l’extension du deuxième aéroport de France, on songe à organiser un grand prix de F1 dans les rues de la ville et on délivre un permis de construire pour un temple de marchands dont les centaines de mètres carrés de façades seront entièrement recouverts de vitres réfléchissantes.»

«J’emmerde la nature»

Pas besoin d’avoir l’esprit mal tourné comme Diou pour imaginer un lien entre les deux morts. D’autant que, quelques jours plus tard, le cousin de l’ouvrier, qu’elle venait juste d’interroger, disparaît à son tour. Parallèlement, une voix s’élève, entre deux chapitres, celle d’une femme qui s’enregistre car elle perd la mémoire. On ne sait pas qui elle est, c’est un peu perturbant au début car on peine à faire le lien entre elle et les morts suspectes. On sent en elle une colère sourde qui frôle la folie, il lui est arrivé quelque chose de terrible mais quoi ?

Tout cela obsède Diou mais pas autant que les premiers symptômes de la ménopause qui la rendent dingues. Ce qui nous vaut des passages hilarants, tel celui-ci. «J’emmerde la nature, Jo, j’emmerde la nature. Je l’ai toujours détestée, tu le sais : ses principes, ses lois immuables, ses “c’est comme ça, on n’y peut rien, c’est la vie”. La nature, c’est l’injustice érigée en norme, c’est le plus fort qui écrase le plus faible, c’est les vieux et les malades qu’on laisse traîner à la fin du troupeau pour qu’ils se fassent bouffer en premier, c’est les femelles qu’on se partage pour perpétuer l’espèce. La nature, à la base, je la vomis, mais là, avec l’invention de la ménopause, je la conchie !»

Sautes d’humeur

Mais le plus important n’est pas là, il est dans ces activistes italiens que l’on voit soudain apparaître au détour d’une page. «On les appelait cani sciolti, chiens sans collier, parce qu’ils ne voulaient appartenir à aucune organisation politique. Ils ne supportaient ni la bureaucratie stalinienne, ni le sectarisme des autres mouvements. Ils pensaient que la classe ouvrière méritait mieux que ça», écrit Michèle Pedinielli. Monica, Rossella, Alberto et Ferdi ne supportent pas les chefaillons, l’autorité aveugle et bornée, ils sont jeunes et décidés à changer le monde, à voler au secours des opprimés de la terre.

A un moment, ces différentes histoires vont se rejoindre et prendre tout leur sens, on va se retrouver plongés dans les années de plomb et le terrible attentat de la gare de Bologne. De foldingue, le style va devenir plus grave mais pas de panique, la ménopause n’a pas été mise sur pause et Diou ne nous épargne aucune de ses sautes d’humeur. Pas facile d’être drôle dans un polar, c’est sans doute ce qu’il y a de plus dur car on tombe vite dans le potache. Michèle Pedinielli y parvient haut la main, elle nous offre chaque fois une bouffée d’énergie et de bonne humeur.

Michèle Pedinielli, Sans collier, l’Aube noire, 256 pp, 18,90 euros

Michèle Pedinielli participe ce week-end à Quais du polar, au cœur de Lyon. En raison du nombre important d’autrices et auteurs présents à ce festival, nous publierons une chronique polar par jour jusqu’à dimanche. Abonnez-vous à la newsletter Libé Polar en cliquant ici.